Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

de Mona BRAZ

Les 100 ans du Festival de Cornouaille et les 100 ans du Gwenn ha Du

Ce double centenaire, fêté en 2023, nous invite à honorer la mémoire de ceux qui furent à l’initiative de ces deux créations qui enracinaient la Bretagne à la fois dans l’humus fertile de son passé et de ses traditions, et dans la modernité.
Il s’agit en l’occurrence de Louis Le Bourhis pour le Festival de Counouaille et de Morvan Marchal pour le Gwenn ha Du

Première partie : Louis Le Bourhis et le centenaire du Festival de Cornouaille.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Le Festival de Cornouaille est né en 1923 suite à l’élection de la première Reine de Cornouaille. Il célèbre son centenaire cette année 2023. De 1923, année de sa création par Louis Le Bourhis, à nos jours, le festival est devenu un symbole : son histoire et son évolution sont liées à celles de la Bretagne et du peuple breton.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis le Bourhis, le fondateur des Fêtes de Cornouaille, devenues Festival de Cornouaille qui a 100 ans en 2023

Mais, qui est Louis Le Bourhis, cette figure légendaire et visionnaire ?

Louis Le Bourhis, né le 21 avril 1880 à Eliant, décède en 1955. Il est propriétaire de cafés et de cinémas dans le sud du Finistère. Kemper lui doit le Grand Café de Bretagne, la gestion et la création de cinémas dont l’Odet Palace. Ce cinéma créé par Louis Le Bourhis et inauguré en 1922, sera longtemps l’une des plus belles, des plus grandes et des plus modernes salles de tout l’ouest de l’Hexagone avec ses 1200 fauteuils amovibles pour transformer la salle de cinéma en salle de bal…
Kemper et la Bretagne lui doivent la paternité du Festival de Cornouaille, le troisième festival de Bretagne au niveau de la fréquentation, et le plus grand rendez-vous consacré à la culture bretonne.
Talonné par le Festival Interceltique de Lorient.

En homme de spectacle, Louis Le Bourhis cherche un moyen de faire de la publicité à l’occasion de l’ouverture de l’Odet-Palace. C’est une manifestation, alors banale, l’élection de jeunes filles jugées gracieuses et méritantes, appelées parfois « rosières », mais aussi « reines » qu’il amplifie en organisant une sorte de concours de niveau supérieur entre élues des différentes petites communes alentour.La Reine de Cornouaille.

Cette année-là, arrivent en train à la gare de Quimper / Kemper, des reines : de l’Aven (Rosporden), des Mouettes (Douarnenez), des Filets bleus (Concarneau / Konk Kerne), des Pommiers (Fouesnant / Fouen), des Brodeuses (Pont-l’Abbé / Pont-‘n-Abad), des Melenicks (Eliant), de l’Aulne (Châteaulin / Kastellin), des Fleurs de Genêt (Banaleg), des Ajoncs d’Or (Pont-Aven), de l’Isole (Skaer)…
Elles sont accueillies par la reine de l’Odet, Marie Guirriec, et le défilé commence.

Louis le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Fête des Reines de Cornouaille – Yvonne Hemon de Landudal élue Reine de l’Odet (en tablier court et grande coiffe) – Source : geneanet

Cette finale, organisée pour la première fois en 1923 avec le concours du comité des fêtes de Kemper, est alors appelée « La Fêtes des Reines » et bénéficie de la présence du célèbre chansonnier, Théodore Botrel qui y prononcera l’éloge de la Bretagne et des Bretons. L’élection est accompagnée de diverses manifestations : défilé, concerts, concours sportifs, etc…

Puis, en 1924, la Reine des reines est choisie parmi quinze candidates élues par les quinze comités locaux. Ces quinze jeunes filles, portant le costume breton de leur guise et ayant chacune deux demoiselles d’honneur sont accueillies à la gare par Louis Le Bourhis en personne et accompagnées dans toute la ville par un grand cortège de cavaliers, de bardes et de « gardes du corps ».

Pourquoi Théodore Botrel est-il présent en 1923 ?

Il y est invité à deux titres.
C’est en 1905 que le « barde » Théodore Botrel organise le pardon des fleurs d’ajoncs à Pont-Aven. Cette fête bretonne servira plus tard de modèle à la fête des Filets Bleus à Concarneau en 1907 et à la Fête des Reines de Quimper créée par Louis Le Bourhis en 1923, qui deviendra le Festival de Cornouaille. De plus, la première édition de la Fête des Reines commence par un hommage rendu aux victimes de la Première Guerre mondiale. Or, si Théodore Botrel est connu sous le nom de « barde » (parce qu’il est auteur, compositeur, interprète, mais il n’est pas membre de la Gorsedd de Bretagne), il est aussi qualifié de « chansonnier des poilus ».

Il meurt en 1925, et l’aspect de son engagement pour la France et contre l’Allemagne par la chanson n’est aucunement décrié par des porte-paroles autorisés du Mouvement breton comme Taldir Jafrennou.

Mais déjà s’amorce dans le journal Breiz Atao, en août 1925, sous la plume de Morvan Marchal, un courant conforté par la mise en doute, au plan national, non pas du sacrifice des Bretons ni de son ampleur, mais des raisons mêmes de la guerre et de ce sacrifice et des manifestations les plus excessivement patriotiques qui l’accompagnèrent ou l’encouragèrent. Après avoir regretté que Botrel ait «défendu le patriotisme français chez les Bretons», parmi toutes ses chansons, Morvan Marchal ne retient que «celles, bien rares hélas, où il n’est pas question de la France, du devoir Breton de se sacrifier pour elle, de Duguesclin et de bragou-braz».

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille – Grande Fête des Reines de Cornouaille et Théodore Botrel

Dans les années 1970, avec l’émergence de la nouvelle chanson bretonne et un renouvellement au sein du Mouvement breton, le rôle de Théodore Botrel pendant la Grande Guerre vaudra à la figure alors discutée du « barde breton », la plus péremptoire des condamnations, tandis que beaucoup de ses autres chansons continueront à être chantées et enregistrées…

De son côté, année après année, la Fête des Reines, devenue Fêtes de Cornouaille en 1934 et étendue à une semaine de durée, deviendra une des plus grandes manifestations culturelles de France (70 000 spectateurs payants en 2010, 150.000 en 2023).

Louis Le Bourhis, un proche de Taldir Jaffrenou, troisième Grand-Druide de Bretagne.

Louis Le Bourhis est très proche des régionalistes bretons et, en particulier, de leur principal hérault à l’époque, François Jaffrennou, Taldir de son nom de plume ou de druide Taldir.

Taldir Jaffrennou est un écrivain précoce et talentueux. En quatre années, de ses vingt à vingt-quatre ans, il rédige et publie sept recueils de poésie en breton qualifiés d’exceptionnels par Anatole Le Braz, Charles Le Goffic et Joseph Loth qui l’encense pour le caractère novateur de son œuvre.
Il est alors surnommé le « Mistral breton ».

Taldir Jaffrennou est plus connu aujourd’hui pour être l’auteur des paroles du Bro Gozh ma Zadoù adaptation de l’hymne gallois « Hen Wlad fy Nhadau ».
Le Bro Gozh ma Zadoù est déclaré hymne breton en 1903 par l’Union Régionaliste Bretonne.

Taldir Jaffrennou, la Bro Gozh ma Zadoù et la Gorsedd de Bretagne.

En 1899, François / Taldir Jaffrennou fait partie de la délégation de Bretons qui se rendent au grand festival culturel gallois, l’Eisteddfod (festival gallois de littérature, musique et théâtre où des compétitions suivies de remises de prix ont lieu dans diverses disciplines autour de la langue galloise, et principalement la poésie).

A cette occasion il est agréé comme barde par l’Archi-druide de la Gorsedd des bardes de l’Île de Bretagne sous le nom de Taldir ab Herninn, et la Gorsedd de Bretagne sera créée dans la foulée, inspirée par et placée sous le patronage de celle du Pays de Galles.

Dès 1899, il avait publié des poèmes en gallois avec son professeur de breton, François Vallée, et la poésie galloise, riche de 900 ans d’histoire, est un modèle au sens littéral pour lui qui écrit parfois dans la langue celtique sœur du breton.

La panceltisme

A une époque ou druidisme, engagements politique, linguistique et culturel sont indissociables, il s’enthousiasme pour le panceltisme et est délégué par l’Union Régionaliste Bretonne au Congrès panceltique de Dublin en août 1901. Dans ses journaux, il fera toujours une place importante aux actualités des pays celtiques et s’efforcera de toujours maintenir des liens avec la frange celtique des Îles britanniques grâce à sa maîtrise de l’anglais et du gallois.

Identifié comme une personnalité clé du mouvement culturel breton, il sera l’un des pivots de la Gorsedd de Bretagne jusqu’à la guerre de 1914 (qui interrompt le fonctionnement, conformément aux statuts), puis il succédera à Yves Berthou et deviendra Grand-druide de Bretagne en 1933, soit dix années après le lancement des Fêtes de Cornouailles.

Tout savoir à propos du druidisme et des druides

D’un point de vue historique, les bardes du Moyen Âge gallois étaient des poètes et musiciens professionnels, rémunérés par les seigneurs pour leur art. La tradition des jeux floraux de l’Eisteddfod, c’est-à-dire une compétition artistique entre poètes et musiciens en langue galloise, a laissé des traces historiques aussi anciennes que le XIIè siècle. Puis, cette tradition a été rénovée au XVIIIè siècle et, la Gorsedd des bardes de l’île de Bretagne étant avant tout une association d’écrivains et de musiciens, y a trouvé une place en 1819 avant de devenir le pilier de l’organisation.

Les cérémonies sont des célébrations spéciales accompagnées de proclamation de prix pour les artistes en compétition. Elles sont télévisées sur des chaînes locales et nationales. Dans cette foulée temporelle, c’est en 1888 que décède Evan Davies qui, ainsi que le rappelle la Revue celtique de cette même année :
« Le 23 février dernier (1888) est mort à Pontypridd, dans le comté de Clamorgan, M. Evan Davies, ou, comme il se faisait appeler, Myfyr Morganwg. Il avait acquis une célébrité bizarre en prétendant rétablir la religion druidique et en s’en faisant grand prêtre. Il avait trouvé un certain nombre de disciples qui se réunissaient à des dates déterminées à Pontypridd pour célébrer le culte druidique dont il croyait avoir retrouvé les rites mystérieux. »

Tout savoir à propos des pays celtiques

Des Congrès panceltiques furent organisés en Bretagne, par exemple en août 1912 à Douarnenez et en août 1927 à Riec-sur-Bélon / Rieg.

Cette rencontre marque le renouveau des relations interceltiques dont Taldir Jaffrenou sera l’un des acteurs importants en Bretagne. L’année suivante, en septembre 1900 à Guingamp / Gwengamp, il fait partie des créateurs de la Gorsedd des druides de petite Bretagne, placée sous la tutelle de l’Archi-druide du Pays de Galles.

Louis le Bourhis et An Oaled.

Louis Le Bourhis devient en 1935 l’un des trois administrateurs majeurs de la revue An Oaled / Le Foyer breton, créée par Taldir Jaffrennou en 1928. Il sera également codirecteur de la revue et de sa société éditrice, Armorica.

An Oaled a tenu une place très importante dans le mouvement breton dans la première partie du XXè siècle. Elle peut être caractérisée comme régionaliste et comme anti-nationaliste bretonne.
Elle prend la suite d’une revue de petit format, mais ayant plus d’une centaine de pages à chaque livraison qui avait pour titre Le Consortium breton et à laquelle elle ressemblait dans tous les aspects : format, typographie, illustrations de couverture et intérieures, manifestement pour créer une continuité la plus évidente possible.

Soixante dix numéros ont paru et, suivant la règle du Gorsedd de Bretagne dont il était le Grand Druide, Taldir Jaffrennou annonce, dans le numéro du troisième trimestre, que la publication va s’interrompre, à la suite de l’annonce de la guerre de 1939-1945.
Le public visé est un public cultivé et il ne s’agit pas d’atteindre la masse du public lui-même, car Jaffrennou estime que son rôle est de parler de spiritualité et non pas de matérialité. Il laisse cette tâche à d’autres.

Le but est de réunir les notables et les intellectuels, en temps ordinaire, et de toucher le public par des « festivals bretons » ou des « fêtes interceltiques » qui n’ont d’autres buts que de toucher l’esprit des gens communs en leur faisant apprécier les richesses culturelles et autres de la Bretagne. D’où sa proximité avec Louis Le Bourhis et son soutien à la création de la fête populaire des Reines de Cornouaille.

Les sujets abordés sont si variés que la revue peut être qualifiée d’encyclopédique, car aux sujets littéraires, s’ajoutent des articles d’économie, d’histoire, d’héraldique, de politique, etc.
Mais, puisque les commanditaires et les administrateurs sont, soit impliqués dans la Fédération Régionaliste de Bretagne (FRB), soit dans l’Union Régionaliste Bretonne (URB) et beaucoup dans la Gorsedd de Bretagne, Taldir Jaffrennou indique que les activités de ces trois associations seront rapportées dans la revue. En fait, la FRB et la Gorsedd auront An Oaled comme unique organe de presse. Les réunions non-publiques de la Gorsedd (appelées Gorsedd kuz), y sont rapportées en détail en breton, juste avant le récit des cérémonies publiques annuelles. La liste des nouveaux bardes investis y est donnée à la suite.
Le breton y tient une place importante, mais minoritaire.
L’un des aspects qui ont pu contribuer au succès relatif est l’aspect chronique de la Bretagne et du mouvement breton que lui imprime Jaffrennou.
Comme il l’avait fait dans Le Consortium breton, celui qui est alors considéré comme la personnalité la plus éminente du régionalisme breton, publie à deux ou trois reprises des morceaux choisis des lettres qu’il avait reçues dans ses jeunes années au moment du lancement de l’Union Régionaliste Bretonne et de la Gorsedd de Bretagne en 1898-1902. Ceci lui permet de faire œuvre d’archiviste-historien bardique dans l’esprit de rappel de la genèse du mouvement breton au XIXè siècle.

Dans chaque numéro, sous la rubrique « la Vie bretonne », au moins une dizaine de pages sont consacrés à des échos de la vie en Bretagne : vie politique, économique ou culturelle et à des annonces de naissances, mariages ou décès, dans les familles de personnalités bretonnes…
Nous y notons aussi l’importance des nécrologies, parfois liées à l’érection d’un monument par souscription, destiné à honorer le souvenir de Sir Robert Mond, deThéodore Botrel et d’autres personnalités bretonnes.

François Jaffrennou et ses amis, dont Louis Le Bourhis, ont comme devise « Bretons en France et Français à l’étranger » et ils ne veulent en aucun cas séparer la Bretagne de la France.

Soutenant l’idée du panceltisme, ils ne nourrissent aucun projet d’union politique avec les frères de l’autre côté de la Manche. Leur but est de donner plus de libertés à la Bretagne, à l’intérieur de la France.
Ils donnent des nouvelles du Parti Autonomiste Breton, mais sans les commenter. La naissance en 1932 du Parti Nationaliste Breton mené par Olivier Mordrel et François Debauvais les oblige à quitter leur apparente neutralité.
Les accrochages avec les Camelots du roi ou les communistes (après le revirement de ceux-ci qui les soutenaient en 19323) sont rapportés de manière satirique.

En 1933, lors du « congrès bardique » à Plestin-les-Grèves / Plistin, Taldir Jaffrennou donne les « trois attitudes » que doivent avoir les bardes et druides de Bretagne : « Patriotisme, Pacifisme, Loyalisme ». Si la première concerne la Bretagne dans la France, la troisième concerne la France, car dans An Oaled, on commémore les sacrifices des soldats de 1914 et on rend hommage à leur patriotisme dans la défense du pays, et l’on célèbre Jeanne d’Arc en français et en breton…

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Grandes Fêtes de Cornouaille

A la veille de la guerre de 1939, l’interdiction du Parti National Breton et de son journal Breiz Atao est clairement approuvée par Jaffrenou, Louis Le Bourhis et les responsables de An Oaled , pour le motif que Debauvais et Mordrel ont pris des contacts avec l’Allemagne nazie.
Les adversaires de ceux qui se retrouvent dans An Oaled / Le Foyer Breton, ripostent durement dans Breiz Atao, moquant les bardes, les druides et les autres régionalistes comme des gens d’un autre âge et leur reprochant leur loyalisme à la France. Jakez Riou, talentueux auteur en breton, en fera le prétexte à une pièce de théâtre burlesque, Gorsedd digor (La Gorsedd mise à nue).

Cette lutte politique contre le nationalisme breton a compté beaucoup dans le fait que Taldir Jaffrennou ait été fait Chevalier de la Légion d’honneur en 1938.

Lors de la deuxième édition de la Fête des Reines en 1924, la Gorsedd de Bretagne emmenée par Taldir Jaffrenou, Léon Le Berre, Fanch Gourvil et Émile Cueff, est sur la scène au côté des candidates et les premiers, assumant leur rôle de bardes, interprètent divers chants en breton.

Il était donc normal de voir la bannière historique de la Gorsedd de Bretagne parmi le défilé des 100 drapeaux bretons, des 1500 sonneurs et danseurs, à l’occasion du centenaire des Fêtes de Cornouaille et du Gwen-ha-du.

À Kemper, la trace de Louis Le Bourhis se retrouve en trois endroits : une plaque commémorative rue Sainte-Catherine, une rue au Petit Guelen et une passerelle Liot sur l’Odet.

Qu’est-ce que le panceltisme ?

D’un point de vue chronologique, on connaît les liens historiques qui existent depuis les grands mouvements migratoires de population des Vè et VIè siecles entre le pays de Galles, les Cornouailles et la Bretagne armoricaine, dont les langues respectives constituent la branche brittonique des langues celtiques, elles-mêmes rattachées au tronc des langues indo-européennes.
C’est la première définition généralement admise des pays celtiques, fondées sur l’utilisation d’une langue celtique, qu’elle soit brittonique ou gaélique.

Tout savoir à propos des langues celtiques

D’un point de vue archéologique, la découverte en novembre 2004 sur le sanctuaire religieux celtique de Tintiniac (en Corrèze, France) de sept exemplaires presque complets de carnyx presque complets du Ier siècle avant JC, semble témoigner du fait que cet instrument à vent guerrier, sans doute joué en troupe et essentiellement destiné à effrayer l’ennemi durant les batailles, est le premier véritable instrument commun connu aux tribus celtiques.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille – carnyx de Deskford

En effet, un autre exemplaire de carnyx a été retrouvé à Deskford / Deasgard dans le nord-est de l’Écosse, et date du IIè siècle avant JC. Enfin, c’est ce même carnyx que nous retrouvons sur le chaudron de Gundestrup, daté de la même période. Par ailleurs, la statuette en granit dite du « Barde à la lyre de Paule » trouvée en 1988 près de Carhaix / Karaez en Bretagne en confirme l’importance accordée par les anciens Celtes aux instruments à cordes, ici une lyre à sept cordes, ancêtre de notre harpe celtique. En Irlande la première représentation connue de cette famille d’instruments se situe vers le VIIIè siècle après JC, gravé sur une croix celtique de granit à Cardonagh / Carn Domhnach (Comté du Donegal / Contae Dhún na nGall).

Bardes et druides

Nous savons que les fonctions historiques et essentielles du barde étaient de conserver et de transmettre la mémoire de l’histoire et de la généalogie du clan ainsi que de chanter les louanges de son roi-protecteur, le plus souvent à l’occasion de banquets mais aussi de funérailles. Le barde était bien plus qu’un poète ou un écrivain. Par la parole et la musique il entretenait la mémoire et la cohésion d’un peuple. Bardes et druides disparurent, du moins dans leurs rôles et fonctions traditionnels sous le laminage de la romanisation et surtout de la christianisation. La tradition des bardes de cours royaux s’éteint au Pays de Galles autours de 1660 et vivote encore durant un siècle dans les milieux ruraux. Face à ce déclin, depuis Londres vont se former des sociétés qui auront les ressources financières pour soutenir et activer l’Eisteddfod jusqu’à un niveau national en 1883.

Tradition musicale en pays celtiques.

Nous voyons bien là la permanence d’une tradition autour de la musique qui prendra des formes modernisées et différentes.

En Écosse, le chant gaélique, la harpe et, plus connu à l’étranger, la cornemuse et les Pipeband. Au Pays de Galles la harpe et le chant lyrique, et les chœurs gallois d’hommes ou de femmes sont connus dans le monde entier. En Irlande la harpe, le fiddle et la tin whistle; et le chant et les claquettes universellement connus.
En Bretagne le chant, les binioù et bombardes, les festoù-noz et bagadoù.
Cette tradition musicale se doublant d’une tradition de la danse sauf au Pays de Galles où le poids puritain du protestantisme aura éteint la joie des corps et privilégié l’aspect intellectuel de la poésie et de la littérature…

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille – carnyx de Gundetrup

Du chaudron de Gundestrup à la Nuit de la Gavotte, du Barde à la lyre de Paule au Festival de Cornouaille de Kemper, de la harpe de cardonach au Festival Interceltique de Lorient : c’est dans cette tradition musicale celtique plusieurs fois millénaire que nos festivals bretons, qu’ils soient traditionnels ou « pop » plongent leurs racines.

L’interceltisme musical …

Selon Erick Falc’her-Poyroux, auteur de L’interceltisme musical, genèse d’une naissance :

« Nous savons que la musique jouait un rôle primordial chez les Celtes. En attestent les très nombreuses références dans les textes mythologiques connus. Dotée de pouvoirs magiques, la musique est l’un des attributs du Dagda, la principale divinité de la mythologie irlandaise, détentrice de la harpe magique dans laquelle sont présentes toutes les mélodies. Le passage le plus instructif concernant le corpus musical théorique de l’antiquité celtique dépeint la venue du dieu Lug à la capitale Tara, dans La Seconde Bataille de Moytura, sont énumérés les trois types de modes musicaux que tout musicien de cour gaélique devait maîtriser selon la mythologie :

‘Qu’on nous joue de la harpe’, dirent les troupes. Le jeune guerrier joua alors un refrain de sommeil aux troupes et au roi la première nuit. Il les jeta dans le sommeil depuis cette heure-là jusqu’à la même heure du jour suivant. Puis il joua le refrain de sourire et ils furent tous dans la joie et la gaieté. Il joua le refrain de tristesse, si bien qu’ils pleurèrent et se lamentèrent.

On sait donc que la musique en général, et la harpe en particulier, occupait une place prépondérante dans la culture des peuples celtiques durant le Moyen Âge, tant en Irlande et en Écosse qu’en Bretagne et au pays de Galles »

Unité culturelle des nations celtiques

L’une des principales critiques formulées depuis le XIXè siècle à l’égard des peuples celtiques est leur absence d’unité politique et administrative, de leur apparition mille ans environ avant JC (l’Âge de Bronze) jusqu’à leur disparition en tant que nations indépendantes au Moyen-Âge (en 1532 pour la Bretagne).
Mais n’oublions pas d’où venaient ces critiques : d’auteurs convaincus que seule l’organisation du monde à la romaine (un monde urbanisé, centralisé, hiérarchisé, cadastré et quadrillé) était valable.

De cette unité culturelle ancienne et parfois idéalisée entre pays celtiques, profitant des vents romantiques qui balayent l’Europe au XIXè siècle, naît l’idée et le projet de créer un mouvement celtique transfrontalier et transmanche.

C’est l’Eisteddfod de 1838 qui verra les premiers tissages de liens avec la Bretagne armoricaine.

La délégation bretonne sera composée entre autres de Théodore Hersart de la Villemarqué, alors inconnu mais en pleine préparation de son célèbre Chants Populaires de la Bretagne, publié en 1839, fruit d’un long travail de collectage. Malgré les polémiques autour de l’authenticité de ces chants, la Villemarqué sera considéré comme l’un des savants européens les plus éminents en matière de traditions populaires, et il correspondra avec ses pairs, parmi lesquels les frères Grimm.
Dans l’élan et les années qui suivent cette première rencontre, la Villemarqué fonde la Breuriez Breizh, une confrérie bretonne sur le modèle de l’assemblée druidique du Pays de Galles. Ce sera la première du pont que sera la coopération culturelle entre pays celtiques qui se développera à partir de la deuxième moitié du XIXè siècle. C’est ainsi que Saint-Brieuc / Sant Brieg accueillera en 1867 le premier Congrès Celtique International, faisant une belle place à la musique celtique et, notamment à la harpe celtique.

Congrès panceltique

La deuxième étape du mouvement culturel interceltique date de 1899 lorsque les Gallois invitent à l’Eisteddfod de Cardiff / Caerdydd, les organisations culturelles irlandaises, bretonnes et écossaises.

En 1900, c’est au tour des Irlandais d’organiser un Congrès panceltique, dont le président du comité d`organisation, Lord Castletown d’Apper Ossory, exprimait ainsi le but en 1898 :
« Réunir des représentants des Celtes de toutes les parties du monde, Irlande, Écosse, Galles, Île de Man, Bretagne Armorique, Australie, pour manifester aux yeux de l’univers leur désir de préserver leur nationalité et de coopérer à garder et développer les trésors de langue, de littérature, d’art et de musique que leur léguèrent leurs communs ancêtres. »

Panceltisme, interceltisme ….

Selon Wikipédia, le panceltisme (parfois abrégé en celtisme et évoluant vers l’interceltisme) est un ensemble d’idées qui postulent des intérêts communs entre les populations qui parlent des langues celtiques ou partagent des éléments de culture pouvant être caractérisés comme relevant de coutumes ou de récits mythologiques celtiques (Grande Celtie). Les références aux anciennes civilisations celtiques ont parfois été appliquées à des territoires où ne subsiste pas de langue celtique, comme l’ancienne Gaule (hors la Bretagne) — qui incluait la France actuelle, la Belgique, une part de la Suisse et la partie nord de l’Italie — ou l’Espagne.

Contrairement aux autres tentatives d’additions de territoires partageant un héritage linguistique, comme le pangermanisme, le panslavisme, le panhellénisme ou le pantouranisme, le panceltisme n’a généralement pas eu pour but de réunir politiquement les territoires ayant des langues celtiques vivantes. Probablement du fait que ceux-ci sont morcelés dans des îles, des presqu’îles et des péninsules à l’extrémité nord-ouest de l’Europe et qu’ils sont ou ont été rattachés à des ensembles politiques puissants (France et Royaume-Uni). Les visées politiques se sont limitées à des espoirs d’obtenir des autonomies politiques locales de la part des États respectifs et surtout à des fraternisations et des échanges culturels.

Un héros légendaire, Arthur, présent dans les récits folkloriques des langues anglaise, française et brittoniques, mais absent des cultures gaéliques, apparaît comme le héros symbolique et immortel d’une conception franco-britannique du panceltisme, puisqu’une légende, attestée au Moyen Âge, dit qu’il n’est qu’endormi dans l’île d’Avalon et qu’il reprendra la tête des Bretons insulaires pour abattre la domination anglo-saxonne.

Panceltisme et festivals interceltiques

Le panceltisme a eu ses heures de gloire de 1838 à 1939, mais après la Seconde Guerre mondiale, qui avait mis un frein aux relations entre nations celtiques, le terme interceltisme s’impose. On parle alors de renouveau celtique et de relations interceltiques qui se concrétisent par le biais de jumelages de collectivités territoriales et par des manifestations culturelles comme le Festival Interceltique de Lorient / An Oriant, les Celtic Connections à Glasgow /Glaschu , le Festival panceltique d’Irlande, le Festival des médias celtiques, le festival de musique Euroceltes, le festival d’art Celtic Vision en Irlande et le championnat d’Europe des luttes celtiques.

Il existe des festivals à thèmes celtiques (chants, danses, reconstitutions historiques, conférences) sur tous les continents.
Par exemple, le Festival celtique de Montréal (Canada), le Festival celtique national d’Australie, mais, aussi, dans un pays vu comme très latin, le Festival Celtica au Val Vény (Vallée d’Aoste).

Congrès Celtique et Ligue Celtique

Après la guerre de 1939-1945, deux organismes panceltiques (ou interceltiques) se partagent la scène : le Congrès Celtique et la Ligue Celtique. Parallèlement, des associations se consacrent à des échanges bilatéraux : Bretagne-Écosse, Bretagne-Irlande, Bretagne-Pays de Galles, Bretagne-Galice.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille – panceltisme

New World Celts (Celtes du Nouveau Monde), un mouvement fondé en 2001 en Floride, et qui veut promouvoir les cultures des six pays celtiques principaux en dehors de l’Europe, a des sections dans le sud-est des États-Unis, au Japon et en Australie, ainsi que des représentants à Hawaï et en Nouvelle-Zélande…

Voici deux extraits des trente-quatre pages de l’article que Charles Le Goffic consacre au panceltisme dans la Revue des deux mondes de mai 1900 :
« …À quelques milles de Belfast / Béal Feirste, dans une garenne perdue des Divis-Mounts, on voit un énorme rocher qui reproduit avec une netteté de médaille le profil d’un roi barbare couché sur le dos. Ses yeux sont fermés, mais non pour toujours. L’ensemble de la physionomie exprime l’assurance d’un homme satisfait de sa journée et qui s’est endormi dans la certitude d’un réveil prochain. Les Anglais appellent cette roche étrange la roche de Cave-Hill, et c’est pour eux une roche comme les autres. Mais les Irlandais, qui ont un peu tous ce « sourcil visionnaire » dont parle Dante, savent de science certaine que c’est là Finn Mac Cumhal en personne, le grand roi du Fianna au IIIe siècle de l’ère chrétienne. « Il dort maintenant, disent-ils, mais il se réveillera un jour, et une grande joie, d’un rivage à l’autre, inondera la verte Erin. »

La départementalisation arbitraire …

 » … Une autre prophétie dit, il est vrai, que le signal de la rénovation partira du Llydaw, qui est le nom gaélique de la Bretagne armoricaine. Rattachée à la France en 1532, la Bretagne lui est restée fidèle aux pires jours de son histoire et, alors même qu’elle croisait le fer avec la Révolution, on peut dire qu’elle combattait une forme de gouvernement, mais qu’elle ne travaillait pas pour son indépendance personnelle.
Jusqu’aux approches de cette Révolution, elle a gardé un semblant d’autonomie administrative.
Après la Révolution, c’est fini de son statut et de ses privilèges : elle rentre dans le droit commun.
On lui impose l’artificielle division en départements, qui semble plus propre à rompre les anciennes unités historiques, qui bouleverse les diocèses, mêle les intérêts, les dialectes, coud l’une à l’autre les régions les plus disparates. Le Morbihan et les Côtes-du-Nord, par exemple, fabriqués ainsi de pièces et de morceaux, semblent un vrai défi au bon sens. Les administrateurs sont choisis exclusivement parmi les personnes étrangères à la Bretagne. Et cela s’explique pour les hauts représentants du pouvoir central et s’entend beaucoup moins pour les receveurs de l’enregistrement ou les percepteurs des contributions qui ont directement affaire au menu peuple et devraient pouvoir lui parler sa langue. Mais il faut que les évêques eux-mêmes soient ignorants de cette langue.
Présentement un seul évêque parle et écrit le breton, et il occupe le siège de Moulins. »

Éradiquer la langue par la force.

 » … Longtemps on prend soin que la conscription disperse aux extrémités du pays les Bretons qui ne connaissent que leur langue. C’est cette langue qui est l’ennemi et qu’il importe de saper d’abord : aucun mot breton ne doit être prononcé dans les écoles primaires, même pour les explications orales. Les inspecteurs primaires répriment énergiquement toute tentative de ce genre. Chose incroyable, le clergé, au début, leur donne la main, les imite docilement, quand il ne raffine pas sur les mesures de répression. J’ai le souvenir très net de ce qui se passait vers 1872 à l’école des frères de Lannion / Lannuon : qui était surpris prononçant un mot breton connaissait les affres des anciens lépreux.  Il était retranché de la communauté scolaire et il lui fallait accepter, bon gré mal gré, un jeton de cuivre ou de plomb nommé « symbole » qui lui était aussi lourd que la tartarelle de drap jaune à l’échine du caqueux.

langue corse

« Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française » – Abbé Grégoire 1794

L’infortuné n’avait de cesse qu’il n’eût surpris en faute un autre camarade, auquel il passait le mortifiant « symbole . »
Du moins les prônes, la confession, le catéchisme, continuaient de se donner en breton ; une circulaire ministérielle, heureusement restée lettre morte (mais qui peut être reprise), décida en 1898 que l’usage de toute autre langue que la langue française était interdit en chaire. Pour tous nos gouvernants, depuis Napoléon, l’unification morale du pays apparaît comme étroitement dépendante de l’unification de la langue.

Vue singulière !
C’est la partie française de la Bretagne (Ille-et-Vilaine et Loire-Inférieure) qui se réserve le plus jalousement. Partout ailleurs, les anciens cadres politiques sont rompus. Et cela suffirait pour ruiner la thèse. Mais, quand elle serait vraie, on ne comprendrait point qu’elle servît à colorer cette lutte contre une langue doublement vénérable par sa noblesse et son antiquité.
Une statistique récente de  Paul Sébillot porte à 1 229 000 le nombre des Bretons bretonnants du Finistère, des Côtes-du-Nord, du Morbihan et de la Loire-Inférieure, auxquels il faudrait joindre les Bretons de Trélazé, de Chantenay, du Havre, de Paris et de sa banlieue.

Soit au total et à mon estimation personnelle 1 330 000 Bretons bretonnants, sur lesquels 728 000 s’exprimeraient uniquement en breton. Une langue parlée couramment et dans tous les usages de la vie domestique et publique par une si forte communauté d’hommes ne peut être assimilée raisonnablement à un patois en décomposition.
Cette langue a d’ailleurs une littérature à elle, un passé et un avenir.
S’il ne reste presque rien, sauf des inscriptions et quelques textes épars, de l’ancien breton, le moyen armoricain est représenté par des chartres, des mystères, le Catholicon de Lagadeuc, etc., etc.

Plus près de nous, avec le P. Grégoire de Rostrenen et Dom Le Pelletier, puis avec Le Brigand, La Tour d’Auvergne, Duigon (le père Système de Renan et de Michelet), Le Clec’h, Tanguy le jeune, etc., elle prend pied dans la science.
Mais c’est à Le Gonidec qu’était réservé l’incontestable honneur d inaugurer chez nous les vraies études celtiques.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Le Barzaz Breiz, l’oeuvre de Théodore Hersart de la Villemarqué

Le Barzaz Breiz

Bientôt paraît le Barzaz Breiz de la Villemarqué, dont la publication soulève un enthousiasme comparable à celui qui accueillit l’Ossian de Macpherson. Le tort de M. de la Villemarqué fut de donner le Barzaz Breiz pour une œuvre authentique, quand il n’était que le produit de sa collaboration intime avec l’âme populaire.

Telle quelle, l’œuvre était belle.

Elle fut féconde aussi : c’est de sa méditation assidue que sortirent tous ces chanteurs, ces folkloristes, ces savants, Brizeux, Souvestre, Prosper Proux, Le Jean, l’abbé Guillôme, Mgr Le Joubioux, Luzel, Le Men, etc., dont on a dit qu’ils formaient comme un bataillon sacré autour de l’arche des traditions bretonnes.
Et, pour ces deux derniers, s’ils se séparaient avec éclat du maître quelque temps plus tard et dénonçaient publiquement le caractère apocryphe du Barzaz, on ne voit point que leur foi poétique ait eu beaucoup à souffrir de leurs scrupules d’érudits.

Études celtiques.

La semence était jetée d’ailleurs : les études celtiques refleurissaient de toutes parts et leur pollen invisible, par delà les marches bretonnes, par delà le pays de France, allait éveiller l’Allemagne de Zeuss, l’Italie de Nigra et d’Ascoli.
Les premiers travaux de Zeuss remontent à 1853. C’est en 1870 seulement que M. Gaidoz fonda chez nous la Revue Celtique. Six ans plus tard, M. Gaidoz montait dans la chaire de celtique créée pour lui à l’école des Hautes-Études. Une autre chaire était fondée en 1882 au Collège de France et confiée à l’homme de ce temps qui fait le plus autorité en la matière, M. d’Arbois de Jubainville. L’impulsion que ce maître éminent donna aux études celtiques fut vraiment prodigieuse. Elle s’est traduite sous les formes les plus variées et notamment dans ce cours magistral de littérature celtique où ont pris place déjà la plupart des épopées irlandaises et galloises.

Deux autres classes de celtique étaient ouvertes peu après, à Rennes / Roazhon et à Poitiers, pour MM. Loth et Ernault. Il n’apparaît point que Poitiers ait jamais été un centre bien florissant pour les études celtiques. Mais la présence de M. Loth dans une chaire, puis à la tête de la Faculté de Rennes / Roazhon, allait servir tout à la fois au relèvement des études savantes et à la cause du breton populaire. Les Annales de Bretagne furent fondées pour répondre au premier de ces objets. Pour le second, M. Loth n’eut point à créer de toutes pièces un organisme qu’il trouvait sous sa main et qui n’était autre que l’Association Bretonne.

Vieille de trois quarts de siècle déjà, cette Association Bretonne ne laissa point de jouer un certain rôle en Bretagne au temps de Louis-Philippe. C’est à elle, par exemple, qu’on doit les premières tentatives de rapprochement avec le Pays de Galles et l’Irlande. Mais dissoute sous l’Empire, reconstituée sur de nouvelles bases, condamnée à l’archéologie perpétuelle, science inoffensive au premier chef, elle avait perdu toute action sur le public … Quand elle décida de créer en 1895 un comité de préservation du celtique armoricain.
Placé sous la présidence de M. le chanoine de la Villerabel, ce comité, qui comptait parmi ses membres les plus zélés M. François Vallée, M. le chanoine Le Pennéc, M. l’abbé Buléon, M. Guillaume Corfec, M. Jaffrennou, etc., résolut d’agir à la fois sur l’opinion par l’enseignement, les journaux et les livres.
En 1896, les collèges ecclésiastiques de Saint-Charles, de Guingamp / Gwengamp et de Plougernevel étaient dotés de chaires de celtique armoricain…
« Y a-t-il quelque unité dans les aspirations des Celtes du continent et des îles ?
Peut-on ramener à une formule générale ces formules si diverses et qui vont du séparatisme irlandais au régionalisme atténué des Bretons, en passant par l’autonomisme administratif des Gallois et des Écossais ?
Je pense que oui.
Séparatisme, autonomisme, régionalisme ne sont que des mots.
Ce qui s’agite au fond de la conscience celtique, obscurément, confusément encore, c’est le sentiment de la race et des droits de cette race à la vie intégrale…. Sous des devises différentes : Tra mor, ira Bryton ! Bepred ! Erin go bragh ! le même sentiment réapparaît chez les Irlandais, les Gallois et les Bretons, la même volonté de survivre, la même protestation contre la mort.
Et c’est pourquoi on les voit si jaloux de préserver leur langue, de la garder contre les empiétements des langues étrangères. Elle est la clef d’or, le magique sésame qui ouvre à deux battants les portes mystérieuses de l’avenir.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

« Apprends-moi les mots qui réveillent un peuple, et j’irai, messager d’espérance, les redire à ma Bretagne endormie » – Yann-Bër Calloc’h, écrivain et moète breton, 1888-1917



Reste à savoir si ce sont là des aspirations que doivent redouter également tous les pays où elles se produisent.
Il faut remarquer tout d’abord la forme atténuée et discrète du régionalisme breton. Les régionalistes de Bretagne ne demandent point pour eux un régime privilégié. Ils poursuivent, à un autre bout du territoire, la même fin que les régionalistes du Midi et de l’Est de la France. Leurs revendications ont un caractère purement objectif : l’effort même qu’ils tentent pour la préservation de leur langue ne saurait être considéré comme une atteinte aux droits du français. Il y a unanimité sur ce point chez tous ceux qui ont étudié de près notre système d’enseignement. Je n’en citerai d’autre preuve que ce passage d’un discours prononcé l’an passé au Congrès de la Ligue de l’Enseignement primaire par un ancien ministre, député du Morbihan. « Les instituteurs, disait M. Guieysse, n’ont pas toujours su le parti qu’ils pouvaient tirer d’une langue adaptée à l’esprit de la population et dans laquelle les enfants avaient commencé à penser. Ils ont cherché à la proscrire ; mieux vaudrait l’enseigner rationnellement quand cela est possible… Il y a toujours un avantage réel à posséder deux langues, et les Bretons perdraient beaucoup de leurs qualités natives, de leur originalité d’esprit, si leur langue natale venait à disparaître. » Cette déclaration est d’autant plus significative qu’elle émane du leader de l’opinion radicale en Bretagne et qu’il n’apparaît pas que M. Guieysse partage le moins du monde sur les autres points les sentiments des régionalistes
. »

Le Congrès celtique (Celtic Congress) est une organisation culturelle qui a pour but de promouvoir les langues celtiques des nations suivantes : l’Irlande, l’Écosse, le pays de Galles, la Bretagne, les Cornouailles et l’île de Man. Il est juridiquement né en 1920, mais il est héritier d’une histoire remontant au XIXè siècle, celle du mouvement des idées panceltiques ou interceltiques.
Le Congrès celtique, qui se veut apolitique, ne doit pas être confondu avec une organisation similaire, la Ligue Celtique dont les buts sont clairement politiques.

Le Congrès celtique est l’héritier moral de l’Association celtique (1901) et du Congrès pan-celtique qui avaient le même objectif de réunir les représentants des peuples celtes pour la promotion de leurs langues et de leurs cultures.

Le premier congrès celtique a été celui de Saint-Brieuc / Sant Brieg en 1867, organisé à l’initiative de Charles de Gaulle (oncle du général de Gaulle), et la pareille fut rendue en 1879, à l’Eisteddfod de Cardiff, auquel vint une délégation de Bretons.

De manière plus organisée, l’Association celtique, basée près de Dublin, invite dans cette ville des personnes de Galles, Écosse et Bretagne en 1901 et réitère l’organisation d’un congrès celtique en 1901 (à Dublin / Baile Átha Cliath) 1904 à Caernarvon en Pays de Galles), 1906 et 1907 (à Édimbourg / Dùn Èideann).
Le relais est pris par une première Union celtique basée en Belgique et qui organise des congrès pan-celtiques à Namur et à Louvain.

Louis Le Bourhis et le Festival de Cornouaille

Eisteddfod e Cymru

Un parlementaire et industriel gallois, Edward T. John crée une deuxième Union Celtique avec l’appui logistique de l’Union des Sociétés galloises qu’il préside.
En 1917, un congrès celtique est convoqué à Birkenhead, à l’occasion de l’Eisteddfod et il est le premier d’une série ininterrompue, sauf lors de la guerre de 1939-1945.
En 1920, une organisation dénommée « Congrès Celtique » se détache de l’Union Celtique et ses premiers statuts sont adoptés à Édimbourg en 1920. Les Cornouailles y sont alors admises, mais la demande de participation de la Galice exprimée en 1933 sera rejetée.

Le Congrès Celtique est resté constamment une organisation apolitique, bien que dans les années 1920, le National Party of Scotland (le précurseur du moderne Parti National Écossais / SNP Scottish National Party) ait cherché à accentuer sa participation, et que le nationaliste irlandais, Éamon de Valera fût pressenti pour être le directeur du congrès dans les années 1930.

Conclusion

À la fin du VIIIè siècle après JC, les Celtes qui avaient dominé la majeure partie de l’Europe, depuis plus d’un millénaire avant JC, n’existent plus en tant qu’entités indépendantes que dans l’extrême ouest de l’Europe, en Bretagne armoricaine, en Cornouailles, au pays de Galles, en Irlande, en Écosse et dans l’île de Man.

Éclaté en apparence, cet archipel celtique cultive pourtant des valeurs communes, comme l’illustrent le mythe toujours vivant du roi Arthur, le développement d’une forme de christianisme original (le christianisme celtique qui vivra plus de sept siècles jusqu’au XIIè siècle), et aujourd’hui encore, la persistance du bardisme et du druidisme et la grande vitalité des musiques et des festivals. La Bretagne armorique détient le joyeux privilège d’être la première région d’Europe en termes de nombre de festivals et de tailles de ceux-ci, attirant des publics du monde entier. Le drapeau moderne de la Bretagne, le Gwen-ha-du, est répandu fièrement dans toutes les parties du monde et sert de signe de reconnaissance entre les Bretons et Bretonnes du monde…

Ainsi vont depuis cent ans, le Festival de Cornouailles et le Gwen-ha-du !
Louis Le Bourhis et Morvan Marchal que tout séparait politiquement dans la vision de la Bretagne, entre régionalisme et nationalisme, sont réconciliés aujourd’hui dans l’appropriation populaire de leurs créations par les Bretons et les Bretonnes.

Sources

  • Lannig Stervinou : 1923, l’an 1 du Festival de Cornouaille, avec vidéo d’archives, de 14 mn https://www.letelegramme.fr/culture-loisirs/festivals/cornouaille/1923-lan-1-du-festival-de-cornouaille-6396216.php?fbclid=IwAR0dixlt_OtvRyH0A4n5NmO6VpxH4DWvAz0j7RNk5DHhpvx1HA5rN8x7db0
  • Quimper.bzh : Aux origines du festival de Cornouaille
  • Erwan Chartier : La construction de l’interceltisme en Bretagne, des origines à nos jours : mise en perspective historique et idéologique, 2010
  • Erick Falc’her-Poyroux : L’Interceltisme musical, genèse d’une naissance
  • Christian Bougeard : Les forces politiques en Bretagne : Notables, élus et militants (1914-1946)
  • Lionel Henry : Dictionnaire biographique du mouvement breton
  • Georges Cadiou : EMSAV : Dictionnaire critique, historique et biographique – Le mouvement breton de A à Z du XIXe siècle à nos jours
  • Michel Raoult : Druides et sociétés initiatiques contemporaines, 1992
  • Philippe Le Stum : Le néo-druidisme en Bretagne, origine, naissance et développement, 1998
  • Fañch Broudig : langue bretonne.org – 2009
  • Charles-Henri Morard : Panceltisme et paix universelle, 1891
  • Charles Le Goffic : Le mouvement panceltique, article de 34 pages publié dans la Revue des Deux Mondes en mai 1900. Edité sous forme de livret en mai 2017 par Le savoir en poche (CreateSpace Independent Publishing Platform). Accessible gratuitement en ligne : https://fr.wikisource.org/wiki/Le_Mouvement_panceltique
  • BNF-Gallica, Wikipédia, Ouest-France, le Télégramme, Fédération française de football, archives Conseil régional de Bretagne,

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