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L’édition 2021, comme la précédente, du Festival Interceltique de Lorient restera dans les annales à plus d’un titre.
Année de la passation de pouvoir entre Lisardo Lombardia, directeur général depuis 2007 et Jean-Philippe Mauras. Elle vit aussi Jean-Pierre Pichard, salué comme « l’âme du festival » par plus d’un acteur culturel, tirer sa révérence. Elle fut encore celle de tous les interdits et de tous les dangers. Malgré tout, avec 45000 entrées payantes, le FIL s’en sort bien et peut affronter l’avenir avec sérénité.
Il ne pleuvait pas à Lorient sur l’Emvod ar Gelted qui voit, chaque année, la grande famille des Celtes des îles et du continent se réunir.
Non, il ne pleuvait pas.
Et ceux qui, quelques semaines plus tôt avaient lu dans Sciences et Vie relayé par la presse quotidienne « régionale » que, même d’un point de vue « génétique » (1) les Bretons avaient plus à voir avec les cousins insulaires qu’avec les Français (2) se réjouissaient de retrouver tous ces cousins dispersés par les vents mauvais de l’Histoire. C’était compter sans les esprits chagrins de ceux qui décident, toujours, et partout de tout gâcher. Enfin, plus exactement, de gâcher le plaisir du peuple, les joies du peuple et la culture du peuple. Un exercice dans lequel ils sont passés maîtres depuis deux bons siècles qu’un pouvoir qui se complait dans son auto-adulation distribue les ordres de célébrer, de commémorations, du 14 juillet en « Fête de la Musique ».
Une douche écossaise.
Il ne pleuvait pas d’eau. Non. Mais il tombait des pleins seaux de déception. Une douche froide … ou écossaise, c’est selon et c’était de circonstance. Du moins, au premier contact. Quoi, ce Palais des Congrès, si bruissant habituellement de cris et de rires, c’était encore lui, ce bâtiment terne de béton et de verre, pimpant comme une Loubianka soviétique ?
Ces drapeaux des huit nations celtiques reconnues par le Festival, auquel on ajouta récemment celui de l’Acadie, n’étaient-ils pas en berne ? Et où étaient passées les foules bruyantes, compactes, chamarrées, joyeuses qui déambulaient là, devant le bassin à flots, entre les stands des associations et le Quai des livres ? Et toutes ces délégations des cousins de la famille éclatée ? Les gaïteros et les pipers, les bandas de gaïtas et les pipe-bands ?
C’est que le FIL, sur injonction du préfet, le bras et l’œil de Paris dans les affaires des peuples, avait dû réduire la toile. Drastiquement. Au point que son équipe de professionnels, Lisardo Lombardia, le capitaine du navire en tête , quinze jours à peine avant le début des festivités, se demandait encore s’il allait avoir lieu ou s’il fallait l’annuler. Pas de Fil en 2020. Pas non plus de Fil en 2021 ? Autant commander un enterrement de première classe pour le plus grand rassemblement celtique au monde. L’année précisément où Lisardo l’Asturien, à la tête de l’armada depuis 2007, devait prendre une retraite bien méritée après quatorze années de service dévoué.
Interceltique : Lisardo passe la barre !
Le départ de Lisardo, justement, fut une des grandes affaires de cette drôle d’année 2021 placée sous le signe de la Bretagne …mais aussi hélas du pass sanitaire, des éructations d’un président qui se prend pour Jupiter et de nouvelles lois liberticides imposées par un État qui, depuis le début de la crise du covid n’a jamais dérogé à ses principes fondamentaux : s’inspirer des méthodes des pires régimes totalitaires de la planète, à commencer par la Chine … « Communiste ».
Lisardo, au bout de quatorze années- deux fois l’âge de raison, ne regrette rien. Comme s’il avait en quelque sorte la celtitude vissée au corps et à l’âme. Même s’il reconnaît que Jean-Pierre Pichard, le capitaine de l’époque, avait dû un peu lui forcer la main. Après vingt-deux longues années à la tête de la représentation des Asturies, reconnues et acceptées officiellement en 1987 à Lorient, le médecin de campagne celtibère avait l’âge, les connaissances et le réseau nécessaires. « Nous sommes des passeurs« , dit Lisardo , en regardant le large, au-delà du bassin à flots.
Il faut que les projets nous survivent.
« Le projet interceltique se reconstruit et se réinvente chaque jour. Le FIL représente un creuset de création, de vitalité et une projection dans l’avenir. Je suis persuadé qu’il a plus d’avenir que de passé« .
La relation d’amour entre M. Lombardia avec la Bretagne remonte à 1977, lorsque, étudiant en médecine encore, il s’entendit proposer par son professeur de psychiatrie d’aller faire un stage chez un collègue breton. La Bretagne et la psychiatrie : un vieux mariage pas toujours tranquille selon le docteur Philippe Carrer, ethnopsychiatre, qui a parfaitement démontré le lien entre consommation d’alcool et de psychotropes, le taux de suicides et la destruction programmée et systématique d’une culture par un État colonial.
Mais c’est une autre longue histoire. Lisardo, en tout cas, écoute, découvre.
Et s’immerge. Avec ravissement, il trouve un « autre Finisterre » et un pays semblable au sien où la mer célèbre chaque jour ses hiérogamies avec la terre et le ciel. En quatorze années, il a continué à développer les relations interceltiques qu’il considère comme primordiales, s’envolant chaque année pour une troménie des nations historiques du Fil, passant d’Acadie en Australie, en commis-voyageurs d’un celtisme à la fois ouvert et enraciné. En 2015, il porte sur les fonts baptismaux un festival entièrement dédié au Kornwall et à l’île de Man, « ce qui n’avait jamais été fait avant« . Et il consolide les liens entre salariés et bénévoles, contribuant à renforcer cette alchimie sans laquelle rien n’aurait eu lieu. Une alchimie, on s’en doute, qui est loin de plaire à tout le monde.
L’État français multiplie les chausse-trappes.
Depuis que le festival existe, un demi-siècle précisément, nombreux ont été les chausse-trappes lancés sous ses pieds par l’État français et ses affidés. A commencer par l’interdiction, depuis 2000, de faire payer au public la Grande Parade des Nations celtiques. « Une loi des années trente« , affirme Lisardo, « qui nous a fait perdre des centaines de milliers d’euros, même si la mairie actuelle serait favorable à ce qu’on vende pour la Grande Parade les badges qui permettent l’entrée au site du festival« .
A ces tracasseries s’ajoute la facture envoyée chaque année par l’État pour ses frais de police : « 40 000 euros pour la dernière édition du Fil« , déplore Lisardo, « même si cet été pour cause de crise sanitaire, l’État français a décidé de ne pas présenter la note». Surprenant tout de même, cette méthode, dans un pays où les CRS comme les autres policiers sont déjà payés par les impôts des contribuables !
Comportement à rapprocher en tout cas, des émissions en breton sur France 3, payées par la redevance télévisuelle et repayées par le Conseil Régional.
Rien de nouveau sous le soleil depuis que Gilles Servat chantait que les Bretons paient deux fois l’impôt. « Alors que nous ne sommes pas une société privée, mais une association de loi 1901 et que nous réinvestissons les bénéfices dans l’organisation des futures éditions« , regrette Lisardo Lombardia. Facture de l’État à laquelle s’ajoutent, surtout depuis la montée des risques liés au terrorisme islamiste, quelque 500 000 euros de frais de vigiles, imposés eux aussi par l’État.
Quant aux subventions ? « Celle du ministère de la culture s’élève à 50 000 euros sur un budget de 6 millions d’euros. Soit moins de 1 %. Quand tu penses que des festivals comme Avignon (ou les Francofolies de la Rochelle, note de l’auteur) sont subventionnés à 100 % ! »
L’annonce du décès de Jean-Pierre Pichard, qui tint la barre du grand paquebot interceltique de 1971, date de la première édition, à 2007, sonna ce vendredi 13 août comme un terrible coup de tonnerre. Ou de glas. « Jean-Pierre m’a refilé le bébé un premier avril et nous quitte un vendredi 13″, souligne Lisardo, visiblement affecté par la mort de l’ancien penn-soner du bagad de la kevrenn de Rennes / Roazhon, lauréat du concours national de bagadoù de première catégorie en 1970. Celui qui avait coutume de dire qu’ « à plusieurs minorités on se sent moins minoritaires », en ajoutant qu’en 1971, il fallait du talent et du courage pour parvenir à faire travailler ensemble les diables roux de cousins irlandais et les diables roux de cousins écossais, peut être fier du travail accompli dans des conditions difficiles. Gageons qu’il se retrouve aujourd’hui dans une taverne du Tir na n’Og à partager un « produit non laitier en provenance d’Écosse » avec ses compères Polig Monjarret et Pierrot Guergadic (3), les autres fondateurs d’un modeste Festival des Cornemuses devenu le grand Festival Interceltique de Lorient / An Oriant !
Un bilan malgré tout positif !
A l’heure du bilan, Lisardo Lombardia se veut optimiste. Et relativement satisfait. Avec 45 000 entrées payantes – deux fois plus que les vieilles Charrues – il tire sa fibule du jeu. C’est bien moins que les 170 000 de 2019. Mais le pari est tenu. « Notre prévisionnel devrait être atteint, dit sereinement Lisardo. Grâce à l’argent qu’on avait en réserve ».
Malgré tous les bâtons mis dans les roues, tous les chausse-trappes inventés par l’État français pour étouffer les cultures populaires en général et la culture bretonne et celtique en particulier, en dépit d’un passe sanitaire imbécile et liberticide, le FIL a tenu le cap, brillamment. Avec quatre-vingt groupes présentés auxquels s’ajoutent une cinquantaine de bagadoù et de cercles, il a atteint 40 % de la programmation initiale.
Un exploit dans les conditions imposées par le préfet d’une République qui ne veut voir qu’une tête et n’entendre qu’une langue.
Quant à la joie des danseurs et des danseuses qui, devant la scène de l’Espace Bretagne, se sont pris par la main, aux accents de Digabestr ou de Barba Loutig, pour enchaîner an-dro, hanter-dro et kas-ha-barh, elle n’est pas quantifiable et elle constitue un gigantesque pied de nez à un pouvoir dévoré de tentations totalitaires .
Gageons que l’édition 2022 tienne les promesses de celle de 2021. Et souhaitons bon cap et bon vent au nouveau timonier : le Vannetais Jean-Philippe Mauras !
Notes de l’Auteur.
(1) Terme utilisé par le Télégramme du 11 juillet 2021 dans le titre : « Les Bretons sont génétiquement différents ! »
(2) Ou le reste des citoyens français pour ne pas froisser certaines susceptibilités.
[2] Décédés en 2003 et en 2005.
Notes de NHU Bretagne.
Le Festival d’Avignon dans le sud de la France a reçu en 2019 (dernière édition d’avant crise dite sanitaire) une subvention d’argent public de 7 millions d’euros pour un budget global de 14 millions d’euros.
Soit 50% du budget du festival.
Pour 110000 entrées, cela donne 63,64€ par entrée.
Pour le plus grand Festival Interceltique du monde à Lorient, l’état central est beaucoup, beaucoup, beaucoup … moins généreux. En effet le pourboire jeté par le Ministère de la Culture et du Patrimoine est de 50 000 euros. En lettres pour confirmer : cinquante mille euros. Soit 28 centimes par entrée.
Tout simplement 140 fois moins.
Notre question est très simple : pourquoi ?