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La fin de l’État nation ?
Les USA et la France sont deux nations secondaires nées à quelques années d’intervalle (1783 pour les États-Unis et 1789 pour la France). Dans les deux cas et malgré des systèmes politiques opposés, l’état a phagocyté la nation pour donner naissance à ce que Nietzsche qualifiait de « plus froid des monstres froids » : l’état-nation dont le modèle s’est généralisé à l’ensemble de la planète et qui est responsable de deux guerres mondiales et de tous les désordres contemporains.
Aujourd’hui ce modèle est à bout de souffle et ses deux représentants principaux se vautrent lamentablement dans un populisme fascisant qui laisse augurer des lendemains difficiles. Aux USA la structure fédérale pourrait permettre d’éviter le pire, alors que la France jacobine parait bien désarmée…
La nation française est une nation mal-née.
Dès l’origine, la bourgeoisie, qui s’est installée au pouvoir en 1789 sans rompre avec les méthodes de l’ancien régime, a trahi les promesses révolutionnaires en transformant cette nation politique, dont les valeurs étaient liées à un contrat de citoyenneté, sans aucun caractère ethnique, en une nation ethnique avec une seule langue et une seule culture, celles des nouveaux maitres, ainsi qu’ une seule histoire, celle de l’expansion du pouvoir central…
Cette dérive centraliste qui nie la réalité a produit un nationalisme autoritaire et xénophobe qui est à l’origine de la doctrine d’extrême droite actuelle.

Longtemps la Bretagne a semblé résister à cette idéologie mortifère…
Mais les dernières élections ont montré un affaissement de cette résistance sans doute en lien avec l’effondrement des langues et de la culture autochtones. Cette situation marque la faillite de l’Emsav qui aurait dû constituer une barrière sanitaire contre cette contamination. Il est vrai qu’une partie du mouvement culturel s’est « fonctionnalisée » depuis que la Charte giscardienne lui a octroyé quelques sous et quelques postes ce qui amène ses membres a présenter comme de grandes avancées ce qui s’apparente plutôt à des soins palliatifs.
Quand à l’Emsav politique il est quasiment inexistant.
Son parti le plus important est l’UDB Union Démocratique Bretonne dont le grand mérite est d’avoir maintenue vivante l’idée bretonne depuis soixante ans mais qui a pris une claque aux européennes après s’être allié naïvement à d’ anciens jacobins (radicalement repentis aux dires de certains udébistes…
À noter qu’aucun bilan de ce fiasco ne semble avoir été tiré ?
Ce parti s’accroche à son idée première qui pouvait paraître légitime avant 1983 et selon laquelle rien ne serait possible avant que la gauche française n’accède au pouvoir. Mais les promesses mitterrandiennes de réparations historiques pour les peuples de France ont fait long feu provoquant le découragement de nombreux militants ce qui a même failli faire disparaître le parti.
Malgré ses années de bons et loyaux services au profit d’une gauche hexagonale majoritairement jacobine il s’est fait sèchement remettre à sa place par le Nouveau Front Populaire qui ne lui a accordé aucune circonscription lors des dernières législatives…
Le numéro de septembre du Peuple Breton a publié un article de Rémi Carbonneau qui met en avant l’idée d’une sixième république fédérale en mentionnant deux ouvrages de Robert Lafont : « La Révolution régionaliste « (1967) et « Autonomie.De la région à l’autogestion » (1976).
Se référer à Robert Lafont est une excellente idée sauf que les deux livres cités expriment un état de la pensée de leur auteur depuis longtemps dépassé.
Le livre de Gérard Tautil , »Robert Lafont et l’occitanisme politique« , nous livre en annexe une traduction de deux articles de Robert Lafont publiés en occitan dans la revue Occitania en 2006 et qui peuvent servir à notre réflexion pour renouveler l’Emsav politique.

L’auteur nous délivre un diagnostic lucide des causes et des conséquences de la situation actuelle:
» Au printemps 1983, Mitterrand dut reconnaître que le capitalisme global conduit au grand galop par les Américains et qui avait pénétré toute l’Europe, ne laissait aucune liberté à gauche. (…) À partir de la défaite de ses ambitions d’indépendance financière, l’homme qui avait entraîné au Panthéon tant d’espérances devint le plus gaulliste des présidents et prit le temps, pendant un double mandat, de finir d’enfoncer la politique étrangère dans les coups manqués, la politique africaine dans un désordre colonialiste et d’énormes massacres, la politique de l’Élysée dans des scandales de cour (…) La gauche tomba, le Parti Communiste fut réduit à un fond de sac, la droite libérale prouva son incapacité à gouverner et le Front National monta. Sous ce « règne » très triste d’un chef d’État médiocre dans la manigance, pris par l’angoisse de la mort voisine, la société française muait. Et comme la classe politique, tout occupée à maintenir ses avantages dans un duel de spécialistes du chaos, ignorait de plus en plus la réalité du pays, les citoyens avaient cessé de se fier à elle. Cela persista sous tous les gouvernements de centre droit ou de centre gauche, incapables de comprendre la pagaille qui s’était installée dans la société française et à laquelle ils répondirent par des finasseries ou par l’incapacité face aux grands mouvements qui lançaient les gens dans la rue. Ils pataugeaient dans la boue d’une fin d’histoire de France. » En 2007 il dévoilait son idée de l’avenir: « (…) à un certain niveau d’histoire prospective plus personne de sérieux ne croit plus du tout en la France. La recherche qui nous poussa, il y a vingt ans à en finir avec une histoire de France mensongère, toute en bourrage de crâne, tourne de plus en plus en la dénonciation d’une destinée historique terroriste, pétrie d’injustice, de sang et d’orgueil (…) De la croisade albigeoise aux guerres d’Indochine et d’Algérie, apparaît une belle continuité et la célébration de la mission civilisatrice de la colonisation ne passe pas facilement. Les pur-sang de la Marseillaise commencent à avoir honte des sillons sanglants. (…) quand la France guerrière et terroriste chute, il est incontestable que l’Occitanie sorte de l’ombre. »
Et nous ajouterons à l’Occitanie la Bretagne ainsi que les autres territoires mis sous le boisseau par la France.
« Le changement arrive pour moi au printemps de 1983 (…)La révélation que la refondation (de la France) était impossible m’apparut dans toute sa lumière. » On voit ici que pour Robert Lafont il n’est plus temps de rêver à une nouvelle république fédérale comme l’espèrent encore une partie de nos emsaverien.
« C’est le moment où raisonnablement je pensai et j’écrivis que la France entrait dans sa transformation; ce qui ne signifie pas que le dénouement ne soit pas difficile, pathétique et même tragique. Une ruade de nationalisme sous forme d’ État autoritaire et policier nous menace assez . (…) Mais depuis peu le discours sur la décadence de la France, spirituelle et matérielle, est devenu général et accepté. La révolte des banlieues et le grand mouvement de la jeunesse contre le CPE sont le signe que de la décadence lente on passe à la crise (avec les périls qu’elle implique). Je sais que la majorité des Français n’est pas encore prête à s’en apercevoir: c’est toujours le règne de la croyance et la fameuse arrogance nationale. Mais la brèche est ouverte. Prenons en acte. »
Robert Lafont nous demande de « faire la distinction entre les années soixante-dix du siècle passé, où on pouvait penser à une refondation de la France, et le moment actuel limité (…) par une fin certaine mais compliquée et périlleuse de l’État. »

C’est ce dénouement français qui a commencé sous nos yeux.
Robert Lafont avait le projet d’une « autre Europe, élaborée avec la collaboration des citoyens (…) Nous sommes déjà après le morcellement de l’espace en territoires, après les frontières et les États. C’est ici que les Euro-régions doivent se faire« .
« Émergence d’un nouvel État-Nation?
Il n’y a pas de projet aussi anachronique et pour les gens aussi repoussant: cela pue à des siècles d’oppression et de guerre.
La vision d’avenir qui se prépare est autre: c’est une Europe fédéraliste d’espaces dynamiques. (…) Mon songe est un espace occitan-catalan, membre fondateur d’une fédération démocratique européenne. »
Même si Lafont s’adressait en priorité à la jeunesse occitane nous pouvons faire nôtres ses leçons pour réinventer l’Emsav et préparer l’avenir d’après l’État-nation.
Pour nous il pourrait prendre la forme d’un espace celtique (Bretagne – Irlande – Écosse – Pays de Galles – Cornouailles + Galice?) qui rejoindrait l’espace occitan-catalan dans cette nouvelle Europe démocratique.
Fin de l’État nation : titre et illustrations de NHU Bretagne
1 commentaire
Je partage cette analyse. Ce qui me désole c’est que toutes ces réflexions et il y en a beaucoup un peu partout ne changent rien. Il manque un levier. Il me semble qu’aux USA le levier c’est la promesse double de prospérité et de liberté « great again ». En Bretagne le levier n’est ni l’emsav, ni l’Udb, ni rien d’ailleurs. La réunification pourrait être un levier. Mais le mouvement est incompris et contesté. Mon facteur pense que Diwan fait de la politique trop « à gauche » … Il voudrait re-parler breton et essaie d’en dire quelques mots à son fils. Mais nous sommes en pays gallo. Les bretonnants n’apprécient ni le brezonneg chimik de Diwan ni des gallos-apprentis-bretons. J’ai bien dit que la toponymie des pays de Rance est encore en moyen et vieux Breton, mais mon facteur est parti très vite. La Bretagne veut quoi en premier au fin fond de son cœur? La méfiance règne entre nous d’abord. La prospérité et la liberté nous conviendraient? Alors oui, mais je vous parie qu’aucun ne croit en avoir les moyens sur un territoire jugé trop petit. Le fléau de la domination : Paris sur la Bretagne, l’homme sur la femme, les petits chefs partout, nous empêchent de voir plus loin. Serions nous devenus petits dans nos têtes? La France a-t-elle réussi à nous annexer au point de nous anéantir? De nous isoler les uns des autres, de nous faire nous disputer comme si nous étions individuellement dangereux pour nos voisins, nos parents? Sommes-nous devenus des croyants partisans du plus fort, du plus riche, du plus savant, au point de nous écraser sous lui? Je plaide depuis longtemps pour la mise au travail de notre intelligence collective dans des asso et des conventions citoyennes pour débattre de ce que nous voulons : Laisser Paris nous mener par le bout du nez et du porte-monnaie? et pourtant nous voyons bien que les petits pays se débrouillent mieux que les grands parce qu’ils savent utiliser leurs moyens en fonction de leurs besoins . http://www.facebook.com/Celte que j’aime .