obstruction à la loi Molac

Lettre ouverte à ceux qui font obstruction à la loi Molac : un linguiste s’adresse à une députée

de Médéric GASQUET-CYRUS
Publié le Dernière mise à jour le

Face à l’obstruction à la Loi Molac, lettre ouverte (initialement tweet) de Médéric Gasquet-Cyrus à Cathy Racon Bouzon, députée des Bouches-du-Rhône (LREM).

Le 27 avril 2021

Bonjour Cathy Racon Bouzon

Merci pour votre réponse – attendue – relative au recours que vous avez signé, avec d’autres, concernant la loi Molac sur les langues régionales. Ce recours déposé le 22/04/21 porte précisément sur l’article 6 jugé par vous « inconstitutionnel ».
Permettez-moi d’ajouter des précisions.

D’une part, ce recours remet de fait « en cause la promulgation du reste de la loi » car le Conseil constitutionnel, une fois saisi, peut décider de revoir l’intégralité de la loi. Ce recours la met donc en cause à votre demande. Dans tous les cas, ce recours retarde considérablement la promulgation de la loi car le temps que le conseil constitutionnel l’examine, plusieurs mois peuvent se passer. Il y a clairement une obstruction temporelle : la loi ne peut être promulguée.

Concernant l’article 6, les communes doivent déjà, de fait, permettre aux familles de scolariser les enfants dans une langue régionale. Et si la commune n’offre pas d’enseignement de/en langue régionale, elle doit financer (en accord avec l’autre commune concernée) la scolarisation des enfants concernés dans une autre commune. L’article L 212-8 du code de l’éducation affirme que les communes doivent trouver un accord avant d’en appeler au préfet. Mais l’accord doit être trouvé.

obstruction à la loi Molac

Les tweets adressés par Cathy Racon Bouzon à Médéric Gasquet-Cyrus

La loi Molac confirme donc ce qui existe déjà.

Les écoles qui proposent des enseignements de/en langue régionale sont sous contrat, parfois financées par les collectivités territoriales, et compensent souvent un manque d’offre du service public. Elles ne s’opposent en rien à l’école de la République, au contraire.

Toutes les conventions internationales signées par la France (ONU, Union Européenne…) donnent des droits fondamentaux aux enfants concernant l’éducation et les langues. Ainsi, la loi ne fait que clarifier et faire respecter les engagements de la France qui, jusqu’à présent, pratique plutôt des formes de discrimination et d’empêchement concernant les langues régionales, en désaccord avec les textes qu’elle signe par ailleurs.

Je vous invite à lire l’article de mon collègue Philippe Blanchet, spécialiste du sujet, qui a bien examiné tous les textes, notamment le code de l’Éducation.

La saisine pour inconstitutionnalité traduit bien une volonté d’obstruction.

Enfin vous vous dites « très attachée à notre patrimoine culturel dont font partie nos langues régionales, mais » – et votre MAIS est terrible – « encore davantage à notre école publique que je n’accepte pas de mettre en péril« . Qu’est-ce qui est mis en péril ?

Ce qui est mis en péril depuis plusieurs siècles, c’est le riche patrimoine linguistique et culturel de la France, minoré, minorisé, stigmatisé, bafoué par des politiques centralistes et des interdictions, pour faire triompher, seul, le français.

Ce qui est mis en péril ce sont les droits fondamentaux d’accès à l’éducation et à la culture, pourtant garantis par des textes de loi que la France ne respecte pas dans sa propre République. Cette même France qui va faire la leçon de la diversité ailleurs en la niant ici.

Ce qui est mis en péril, ce sont des langues déclarées comme « en danger », à des degrés divers, par tous les organismes dont l’UNESCO.

Et avec elles, l’accès à un patrimoine, à des cultures, à de l’histoire, à des identités culturelles et familiales.

Ce qui est mis en péril, c’est la possibilité historique pour la France, avec la loi Molac, de sortir de l’idéologie purement monolingue (le « mono qui nie » !) et d’intégrer enfin sa diversité linguistique autrement qu’à travers du folklore et du simple « patrimoine ».

Alors non, « notre école publique » n’est pas « en péril » avec cette loi, ou même avec ce simple article 6.

Ce sont des dizaines de langues de France qui sont en péril parce qu’une volonté politique, depuis plusieurs siècles, fait tout pour les minoriser.

Et ce qui est terrible c’est de voir, en 2021, que l’on oppose comme vous « l’école de la République » avec des écoles tout aussi républicaines et légales, parce qu’elles proposent de la diversité linguistique et culturelle.
Rien n’a donc changé, pour certains…

La loi Molac est historique.
Espérons que l’histoire retiendra cette loi comme émancipatrice, libératrice et enrichissante pour la République, et ne retiendra pas cette énième obstruction dont l’idéologie date de plusieurs siècles.

Merci de m’avoir lu.

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1 commentaire

pcosquer 7 mai 2021 - 21h44

Merci pour votre engagement Monsieur GASQUET-CYRUS. Il serait nécessaire que tous les linguistes et enseignants de langue qui comprennent l’intérêt fondamental de la diversité humaine se lèvent et défendent les langues qui sont les premiers outils collectifs de cette diversité humaine. Elles permettent l’avènement ( la construction) d’une intelligence partagée dans une communauté linguistique donnée… Mais c’est peut-être ça justement qui dérange. En effet, on peut penser que sans les langues, c’est le racisme scientifique qui triomphe , suivi de sont corolaire le colonialisme puis de sont héritier: le développement uniformisant que l’on veut nous imposer… Le développement durable n’étant à mon sens qu’une suite à ce lamentable ensemble de concepts qui, au cours de l’histoire, tend à vouloir déterminer ce que doit être la race humaine… Aujourd’hui, faire semblant de protéger la planète permet de faire taire… Alors les langues qui permettent autant de solution qu’il peut y avoir de langue est anti-système… anti-uniformisation et curieusement on retrouve dans cette uniformisation, la prétention française qui a tenté par le passé de s’emparer de « l’universalité ».

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