Interview de Joannic Martin, vice-Président du Parti Breton / Strollad Breizh, par Erwann Peñsec
Sommaire
Tout d’abord, même si le Parti Breton existe depuis longtemps, pourriez-vous le décrire succinctement pour ceux qui ne le connaissent pas ?
Le Parti Breton / Strollad Breizh est une formation politique qui rassemble tous les Bretons et amis de la Bretagne décidés à s’engager politiquement pour redonner à la Bretagne des structures politiques, économiques et culturelles pour une Bretagne émancipée, écologique, solidaire et entreprenante.
Le mouvement a tenu son congrès fondateur le 23 mars 2003 à Rennes, où avaient été élus les premiers dirigeants, provenant du PRG, du PS ou encore du RPR. C’est dans l’ADN du parti d’accueillir des militants de la gauche, du centre et de la droite dans ce but commun.
Aujourd’hui, nous comptons 200 membres et des élus municipaux sur les cinq départements bretons. Nous sommes le seul parti qui se définit comme nationaliste breton, démocrate et europhile.
Notre cap, c’est l’émancipation du peuple breton.
Pourquoi, selon vous, la Bretagne ne parvient-elle pas, malgré les nombreuses revendications et sa forte identité, à voir l’émergence d’un vaste mouvement au moins autonomiste, voire indépendantiste, comme c’est le cas en Écosse, Catalogne, ou même Corse ?
On observe un mouvement global d’émancipation des peuples d’Europe de l’ouest avec des partis nationalistes qui obtiennent des succès électoraux dans les pays cités depuis une quinzaine d’années. On peut avoir l’impression que la Bretagne regarde passer le train sans que rien ne bouge.
En réalité, les Bretons expriment largement leurs aspirations régionalistes, autonomistes ou indépendantistes par les urnes, avec Le Drian autrefois, avec Chesnais-Girard aujourd‘hui en espérant des avancées. Malheureusement, les promesses électorales ne sont que des leurres.
Aux régionales 2021, chaque liste avait son régionaliste ou son autonomiste.
Cela en fait un certain nombre quand on regarde bien. Le vaste mouvement est là, émietté, timide et caché derrière les barons locaux des différents partis parisiens qui financent les campagnes électorales.
Le Parti Breton fête cette année ses vingt ans.
Quelles ont pu être, si l’on devait en retenir trois, les principales victoires obtenues par lui en faveur de la cause bretonne ?
La première victoire, c’est d’avoir réussi à proposer une candidature portée par le Parti Breton aux élections régionales 2021. Notre liste était composée de membres du Parti Breton / Strollad Breizh, mais aussi de personnes non encartées d’horizons variés, qui avaient le souhait d’engager le rapport de force nécessaire avec l’État pour obtenir un statut particulier pour la Bretagne.
La seconde, c’est l’opération de communication positive autour du « nationalisme » aux élections législatives de juin 2022.
On constate depuis que le mot est bien plus utilisé et accepté dans les médias et dans la population. Le mois suivant, le député Paul Molac déclarait d’ailleurs être « citoyen français de nationalité bretonne ».
Enfin, la dernière satisfaction, c’est la petite notoriété que nous commençons à avoir après vingt ans de construction. Le travail paye, mais il faut être conscient que cela demande de l’engagement.
Comment, fort de cette ancienneté, le Parti Breton juge-t-il l’évolution du mouvement autonomiste / indépendantiste depuis le début des années 2000 ? Y a-t-il un essoufflement, un renouveau, une métamorphose,… ?
Le mouvement breton existe depuis plus d’un siècle.
Il a connu différentes formes, des périodes de construction, de fort dynamisme, de disparition, de division ou de renouveau, en fonction du contexte politique.
Depuis 2000, il y a eu beaucoup d’espoir avec l’élection de régionalistes à la région Bretagne, mais cela a essentiellement profité au mouvement culturel. L’épisode des Bonnets rouges a été un tournant avec l’expression de fortes revendications. La réunification de la Loire-Atlantique aurait pu être un succès déclencheur. Quand on fait le bilan, beaucoup de désillusions et des partis qui ont cessé leurs activités.
Depuis 2020, nous remarquons deux tendances : d’une part, la multiplication de mouvements anonymes ou non déclarés en partis, d’autre part, l’arrivée d’une nouvelle génération de militants jeunes et engagés prêts à prendre la relève.
De manière générale, pensez-vous que la Bretagne avance sur la question de l’autonomie ? Comment jugez-vous l’action des élus régionaux ?
Le Président sortant, Loïg Chesnais-Girard, a débuté sa campagne en souhaitant « plus de Bretagne et moins de Paris » et a utilisé un certain nombre de marqueurs sur l’autonomie et la réunification.
De plus, comme je l’ai dit précédemment, mis à part le RN et LFI, lors des élections régionales de 2021, chaque liste avait son régionaliste ou son autonomiste. Un certain nombre d’entre eux ont été élus et ont favorisé le vote transpartisan d’un vœu demandant l’autonomie, soutenu par la quasi-totalité de l’hémicycle régional.
C’est un succès en soi, il faut le dire. Cependant, dans le jargon politique, un vœu n’est qu’une parole indiquant une tendance. Il n’y a pas d’actes véritables derrière, démontrant une réelle volonté d’engager un quelconque processus menant à l’autonomie de la Bretagne.
La Bretagne souffre terriblement de la fragmentation de ses partis politiques, qui empêche d’atteindre des résultats satisfaisants aux élections. Beaucoup regrettent l’absence d’alliance entre le Parti Breton / Strollad Breizh et l’UDB Union Démocratique Bretonne / Unvaniezh Demokratel Breizh, les deux principaux partis bretons, aux idées pourtant proches. Pourquoi n’y êtes-vous pas parvenus et y travaillez-vous ?
Les tentatives ont été nombreuses… avec plus ou moins de succès.
Comme en 2015 par exemple, cela n’a pas marché en région Bretagne avec « Nous te ferons Bretagne », mais l’UDB et le PB étaient réunis en Pays de la Loire derrière la liste de Gilles Denigot.
En 2021, nous souhaitions à nouveau faire campagne commune avec l’UDB, mais ils avaient un accord leur garantissant des élus avec EELV. Pour être complet, nous avions démarché d’autres acteurs du mouvement breton, la plupart se sont retrouvés eux-aussi sur d’autres listes.
Enfin, en décembre 2021, l’UDB a utilisé son véto à notre encontre à Région et Peuples Solidaires, bloquant l’étude de notre demande d’adhésion, nous empêchant d’envisager des collaborations avec les autres partis régionalistes de la plateforme dans l’optique des législatives.
Aujourd’hui, chacun trace son chemin en parallèle, espérons que cela soit utile aux Bretons.
Je trouve que les partis autonomistes / indépendantistes bretons ont trop peu d’arguments chiffrés, touchant directement au quotidien des habitants, qui ont donc souvent l’impression qu’il s’agit avant tout de revendications culturelles / identitaires. En Écosse, par exemple, les indépendantistes ont réalisé des études pour mesurer l’impact potentiel de l’émancipation sur le quotidien des ménages. Ayant lu le volet économique de votre programme, je le trouve également assez vague. Avez-vous, au sein de votre structure, des spécialistes travaillant à la constitution d’un argumentaire susceptible de mieux convaincre la population, pour qui le pouvoir d’achat reste la première priorité ?
Effectivement, le quotidien des Bretons est un axe majeur à mettre en avant pour convaincre la population. Vous avez raison sur le fait que les arguments doivent être encore davantage développés.
Durant les législatives 2022, nous avons appuyé notre campagne sur la défense de la qualité de vie bretonne, qui nous semble menacée par le manque de capacité institutionnelle et par le fait que les décisions se prennent à Paris.
Avoir plus de spécialistes travaillant à l’élaboration d’arguments chiffrés pourrait nous permettre de passer à l’étape suivante : convaincre la population que l’autonomie ne ferait pas que préserver le niveau de vie des Bretons, mais que cela permettrait également de l’améliorer.
Le Parti Breton a participé aux précédentes élections européennes. Qu’en sera-t-il de 2024 ?
Le Parti Breton / Strollad Breizh, en tant que parti pro-européen, a vocation à être présent aux élections européennes.
Nous voulons agir pour l’amélioration des institutions de l’UE, défendre les intérêts bretons dans les dossiers et militer pour la reconnaissance des peuples d’Europe de l’ouest.
Cependant, aujourd’hui, les élections européennes se déroulent sur une circonscription hexagonale unique. Nous n’avons donc pas les moyens financiers, ni l’intérêt de partir seuls.
En juin 2023, nous avons acté notre participation aux élections européennes avec la Fédération des Pays Unis. C’est un mouvement qui regroupe des partis politiques basques, occitans, lorrains, alsaciens et provençaux. Cette fédération a pour objectif de se regrouper avec d’autres mouvements écologistes et citoyens.
Rendez-vous en 2024 !
Plus généralement, quels seront les projets et axes de développement du Parti Breton pour les mois et années à venir ?
Notre principal objectif, c’est la séquence électorale 2026-2028, où se dérouleront successivement les élections municipales, législatives et régionales. Nous savons dès aujourd’hui que nous avons les moyens et l’envie d’être présents sur ces trois temps.
Ce sera une séquence très intense, importante mais aussi fatigante.
Nous devons continuer de nous structurer pour être prêts. Il y a des postes à prendre pour des nouveaux militants dynamiques qui font le projet de s’engager pour plusieurs années. Nous avons le projet de mettre à jour notre programme politique pour l’adapter aux enjeux actuels.
Enfin, il nous faudra beaucoup de candidats et de candidates sur toute la Bretagne.
Nous espérons augmenter notre nombre d’élus municipaux, car c’est là que se prennent les premières décisions en faveur de la Bretagne.
Merci pour cet échange et bravo pour votre travail,
Bevet Breizh !
1 commentaire
J’ai l’impression, comme beaucoup d’autres, que le PB zappe la « Bërtègn galezz » et sans Bërtègn galezz, point d’ Bërtègn.