De 1960 à 2023, de Michel Debré à Paul Molac : le Parlement français et la partition de la Bretagne
Sommaire
Les diktats politiques de l’État central face à la réunification de la Bretagne
L’assemblée nationale pourrait examiner le 8 Juin une proposition de loi pour la réunification de la Bretagne, territoire à l’unité millénaire. Car fin avril, Paul Molac, député du Morbihan, a déposé cette proposition visant à demander à l’État de consulter les habitants de Loire-Atlantique à ce sujet.
63 ans après sa partition dans le cadre de la 5e République, la Région Bretagne administrative réunifiée rejoindrait ainsi dans l’unité la Bretagne judiciaire à 5 départements, officiellement Cour d’appel de Rennes. Pourtant, en 1956 et 1960, aucun citoyen des 5 départements bretons ne fut consulté par les urnes.
D’ailleurs, pourquoi un citoyen irait il briser l’unité territoriale de sa propre région, lorsque celle-ci est légitime ?
Revenons sur le jeu de dupes d’apparence démocratique de ces années décisives. Il touche toutes les régions françaises. Les actes y valent paroles mais pas forcément l’inverse. Ces paroles sont ici lourdes de sens.
L’état central : nier l’unité de la Bretagne puis fabriquer la partition de la Bretagne.
Dès le printemps 1946, les députés compagnons de la libération Jean Pierre-Bloch et Antoine Vourc’h – et l’ensemble des députés des 5 départements bretons – réaffirment la légitime unité territoriale bretonne devant l’assemblée nationale.
« Nantes, la vieille capitale bretonne, est rattachée à l’Anjou » se désole Pierre-Bloch le 22 mars.
Et Vourc’h de faire parler les cohésions le 25 avril : « Détacher la Loire-Atlantique des autres départements de Bretagne est illogique. La Bretagne forme un tout naturel. L’histoire, la géographie et la culture sont d’accord ».
Mais construire la France avec un pouvoir régional reste interdit dans l’immédiat après seconde guerre mondiale.
Jamais « déjacobinisée » en 1945, la France a une peur irrationnelle d’une Bretagne unie, pourtant massivement résistante.
Pas comme la France de Vichy, qui était allée jusqu’aux collaborations antisémite et militaire. Pour entraver la Bretagne, l’État fomente alors un acte d’agression, le plus souvent réservé à un état étranger ennemi vaincu : la partition du territoire de celui-ci.
L’État central l’impose, sachant qu’aucun dispositif législatif ne permet à la Bretagne de s’y opposer.
Avant 1956, l’illégitime région « pays de la Loire » n’existe même pas.
Les régions n’étant pas institutionnalisées (1972 puis 1982), l’État central a le champ libre.
Sans débat ni consultation, Bretagne et Poitou sont amputés d’une partie de leur territoire en 1956.
La Loire-Atlantique est annexée à une région hétéroclite. Avant cette date, cette illégitime région dite « pays de la Loire » n’existe absolument pas pour la population. Seulement pour les hauts fonctionnaires. Elle n’est que le résultat de dépeçages.
Cette région est la créature de l’État.
De 1968 à nos jours, elle ne cessera d’ailleurs officiellement de déclarer vouloir disparaître dans un « grand ouest » parisien. Elle y entraînerait la « Région Bretagne » administrative (4/5e de la Bretagne), dont l’appellation est d’ailleurs confiscatoire. Voilà qui révèle la véritable utilité de ces « pays de la Loire » pour le pouvoir central et le dessein destructeur de ce dernier pour les cohésions de la Bretagne.
Point crucial : cette politique est camouflée dans le cadre d’une réforme administrative.
L’acte de partition y est insidieusement normalisé.
Aucun mur ne séparant évidemment les citoyens des régions visées, nul n’est directement impacté. Seul le mouvement breton s’en inquiète. Sans balayer devant leur porte, le régime de Vichy, les 4e et 5e républiques ont même inventé une histoire nauséabonde de culpabilité collective bretonne pour tenter de justifier l’injustifiable.
André Chandernagor, haut fonctionnaire et ancien ministre, décrit clairement la paranoïa étatique lors de son passage à l’École Nationale de l’Administration en 1951 : « Les Français ont peur que la France ne se défasse. Ah, l’irrédentisme breton [revendication territoriale], ceci et cela… C’est pour ça, du reste, que quand on a fait les nouvelles régions, on s’est bien gardé de calquer les limites sur celles des anciennes provinces ». (France Culture, 21 mai 2013). Pour la Bretagne, ce sera donc pire.
Partition de la Bretagne : De Gaulle aux Nantais : « Vous êtes la Bretagne »
« Je ne vois pas là de question, les limites de la Bretagne, tout le monde les connaît, elles n’ont jamais changé » affirme Charles de Gaulle, président de la République, en conseil des ministres, le 12 mai 1960. Son premier ministre, Michel Debré, ne veut pas de réponse administrative à cette question administrative : « Laisser Nantes à la Bretagne, mon général, ce serait de la trahison ! » assène-t-il.
Debré renforce alors le diktat insidieux de 1956 par son décret du 2 juin 1960, signé de Gaulle.
En septembre 1960, de Gaulle est en visite en Bretagne.
Le 10 septembre, son discours public de Nantes se conclut ainsi : « Je vous remercie parce que vous êtes la Bretagne. Si j’avais un doute sur votre avenir, il serait levé à l’instant même quand je vois cette jeunesse bretonne en qui nous mettons nos espoirs ».
Le 11 septembre, il dit à Rennes : « Je place l’entité bretonne au dessus des découpages administratifs ». Les quotidiens L’Eclair de Nantes puis Ouest-France rapportent ses paroles. Mais de Gaulle ne déjugera jamais sa propre signature du 2 juin 1960. Les actes valent paroles mais pas ici l’inverse.
Deux départements ont pourtant changé de région dans le reste de la France. Pas la Loire-Atlantique.
Debré à l’Assemblée Nationale : réécrire l’Histoire.
Passons à 1961.
Le 30 juin, à l’Assemblée Nationale, Debré répond ainsi en introduction à la question orale sur la situation économique critique de la Bretagne : « Le département de la Loire-Atlantique prétend lui aussi être, au moins historiquement, un département breton ! » Il en sourit, comme gage de sa toute puissance au sommet de l’État. Il entend réécrire l’histoire. Il ose jeter le trouble là où il n’y en a jamais eu. Il fabrique ce doute.
Il affirme ensuite : « La nation est une, le territoire est un. »
La Bretagne est aussi une, son territoire est aussi un. Debré n’en a cure. Il peut nier sans risque. Il veut diviser pour mieux régner. Supranationalité, autonomie régionale et représentation proportionnelle resteront pour lui des menaces jusqu’à sa mort (Michel Debré, l’architecte du Général, Patrick Samuel, 2012).
L’intervention qui suit du député breton Gabriel de Poulpiquet, auteur de la question du jour, devrait pourtant dissiper les angoisses jacobines : « Les Bretons sont d’abord des Français. Ils ont toujours, sans ménagement, très loyalement et généreusement témoigné de leur fidélité au pays et de leur intégration complète à la mère patrie ».
La partition les attendra en retour.
Debré au Sénat : « C’est une réforme politique »
Puis, le 11 juillet 1961, Debré explique sa réforme régionale devant le sénat : « Toucher aux circonscriptions administratives, c’est envisager une réforme constitutionnelle et politique. Je reste fondamentalement jacobin. Que seraient 20 assemblées régionales élues et le drame qui pourrait en résulter pour l’unité nationale ».
Ses paroles suivantes coïncident même avec son décret du 2 juin 1960 : « Les circonscriptions territoriales peuvent à mon sens être un jour discutées et modifiées ».
Debré ne modifiera strictement rien.
L’État central est exclusivement parisien.
Il ordonne tout.
Rien ne se décide jamais en région.
En Loire-Atlantique, l’État a son obligé en la personne du sénateur Abel Durand : « Je partage entièrement les appréhensions exprimées tout à l’heure par M. le Premier ministre sur les risques qu’il y aurait à constituer des régions qui révéleraient peut-être – et j’ai quelques raisons de le sentir – certaines tendances à des autonomies régionales que je condamne ». Et l’absence de loyauté première de Durand envers la Bretagne ne dérange pas l’État, dont les valeurs ne sont pas universelles.
Un vœu d’unité du territoire breton, de Jean Guitton et de tout le Conseil général de Loire-Atlantique – avec le même Durand à sa présidence – est émis le 15 janvier 1962 (Presse Océan, 16 janvier 1962 ; Hubert Chémereau, historien). Le Conseil général n’a aucun pouvoir.
Son voeu ne rencontre aucun écho auprès de l’État central parisien.
Et Durand a son équivalent en Ille-et-Vilaine en la personne du député Henri Fréville. L’unité de la Bretagne est l’otage de leur paranoïa. A cette période, des états fédéraux prospèrent sereinement en Europe de l’ouest, notamment en Allemagne de l’ouest et en Suisse.
La partition de la Bretagne : une fausse partition.
En fait, la partition de la Bretagne est une… fausse partition !
Car elle reste interne à la France, invisible pour les citoyens : elle est sans frontières internationales, murs, barbelés, blindés et gardes. Elle ne divise ni familles, ni États et ne demande pas de passeports. Elle ne gène aucun Breton inconscient de son identité.
Quid des conséquences ?
L’État entrave tout simplement toutes les cohésions et dynamiques de vie et de développement de la Bretagne en tant qu’entité unie !
En 2015, L’État – puisqu’il est juge et partie – pouvait donc décréter la fin de l’aberration administrative ubuesque qu’il a institué.
Il le pouvait, sans opposition.
Il a préféré que sa réforme soit un nouveau « charcutage » autoritaire, faisant même disparaître l’Alsace des régions françaises. De 1960 à nos jours, l’Etat jacobin n’a donc toujours pas réparé ce qu’il a cassé avec une brutalité sourde en Loire-Atlantique.
Nier l’unité, effacer l’Histoire, occulter l’identité
La France provoque en Bretagne ce qui résulte d’habitude de conflits entre États souverains.
A titre de comparaison : la partition de la Bretagne n’est pas la conséquence de traités internationaux, comme ceux qui coupent en deux Pays Basque, Catalogne et Tyrol, en Europe de l’ouest. Elle diffère du sort de l’ancienne Alsace-Lorraine mais aussi de l’Allemagne, entre ex-RFA et ex-RDA. Toutes ces questions furent réglées ainsi aux XIXe et XXe siècles. Ces vraies partitions ne peuvent donc pas être confondues avec la fausse partition bretonne.
Malgré tout, les méthodes de l’État jacobin n’en restent pas moins celles appliquées à une partition territoriale : nier l’unité, effacer l’histoire, occulter l’identité.
Par contre, l’État, ses politiques et hauts fonctionnaires affirment pourtant être attachés à l’histoire et l’identité !
L’Histoire de Bretagne n’est surtout pas enseignée, afin que les citoyens restent ignorants, conformistes voire parfois malveillants envers leurs propres concitoyens.
Le plus surréaliste ?
Que l’État soit garant de la lutte contre toutes les discriminations, tout en organisant de fait la discrimination entre Bretons…
L’État central cultive l’ignorance des Bretons.
Ainsi certains Bretons s’opposent-ils entre eux ou s’égarent-ils par ignorance, entravant eux aussi le fonctionnement et le développement normal de leur propre région. L’effet Dunning-Kruger, aussi appelé effet de surconfiance, joue ici à plein : moins un individu en sait sur un sujet, plus il surestime sa connaissance.
Pour le pouvoir central, c’est tout bénéfice : l’ignorance partagée est le gage de l’affaiblissement de la Bretagne.
Mais un État démocratique est-il légitime lorsqu’il nie et divise ainsi ?
« Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé » (1984, George Orwell).
Dans tous les régimes, proférer une contre-vérité, surtout si elle est énorme, constitue un test de puissance.
L’absence de réaction au mensonge confirme la force de celui qui le prononce et la soumission de ses interlocuteurs. Un individu, un peuple, une société qui ne réagit pas exprime son abrutissement, son allégeance et son apprivoisement.
Debré : « Après la fin de la nation, la fin de la liberté«
L’État central lui-même ne tolèrerait jamais pour la France le traitement qu’il inflige à la Bretagne.
Dixit Michel Debré, alors maître des requêtes honoraire au Conseil d’État : « En 1975, la Commission Européenne fait éditer une carte dans laquelle le mot « France » a disparu, Paris n’est plus que le chef-lieu d’une région intitulée « Ile-de-France », toutes les régions sont rattachées à Bruxelles, seule capitale ».
« Je proteste d’une manière si vigoureuse que mon ami Christian Bonnet, ministre de l’Intérieur, interdit l’affichage officiel de cette carte sur le territoire français. Le but de certains bureaucrates idéologues est la fin de la France. Après la mort de l’Etat, la mort du peuple. Après la fin de la Nation, la fin de la liberté »
(Trois Républiques pour une France – tome 2: Agir, 1946-1958, Michel Debré). CQFD. >
Le parallèle est saisissant avec le traitement qu’administre l’État central à la Bretagne.
Ligne politique destructrice contre vérité.
Comment l’État central peut-il alors prétendre construire la France avec de telles valeurs à géométrie variable, dans l’Union Européenne ?
Pour le pouvoir jacobin, ne pas prendre de risques inutiles, c’est construire de force contre les régions et non avec elles. Imperméable à la logique de la raison malgré ses attributs démocratiques, ce pouvoir jacobin est très sensible à la logique de la force.
C’est paradoxalement pourquoi il peut parfois se retirer – et c’est généralement ce qu’il fait – lorsqu’il rencontre une forte résistance. Tant que l’État jacobin reste sur une ligne politique destructrice et paranoïaque, avec ses valeurs à géométrie variable, la vérité n’est plus en jeu.
La raison lui est invisible.
Il semble vain de mettre l’État jacobin devant la réalité de la Partition puisque elle est pour lui une arme.
Il ne changera pas tant qu’il ne le veut pas.
Idem pour ses hommes politiques et citoyens les plus extrémistes. Ceux-ci justifient les actes de l’État en occultant ou réécrivant grossièrement l’histoire.
Persuader les appareils d’état parisiens
« Un problème créé ne peut être résolu en réfléchissant de la même manière qu’il a été créé » (Richard Alpert, professeur à Harvard).
La seule solution reste donc de persuader l’appareil d’État tout en conservant ses propres valeurs, sa propre dignité humaine et ses cohésions, pour poursuivre la construction de la Bretagne unie et la prospérité de la France de demain.
Pour reconstituer la légitime unité territoriale bretonne, des hommes politiques de terrain devront pratiquer l’entrisme positif. De ce fait, ils devront peser au cœur du système centralisé des appareils d’État parisiens, où se concilient clientélisme et conviction.
Ainsi fonctionne la démocratie parisienne, inapte au fédéralisme, appliquée à la France.
L’opiniâtreté bretonne, de Ouessant / Enez Eusa à Clisson / Klison, ne pourra rien lâcher : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté » professait Winston Churchill.
Ne soyons pas à un paradoxe près.
1 commentaire
Les articles de la proposition de loi récemment déposée ne mentionnent même pas la Loire-Atlantique (ce n’est le cas que dans son texte introductif). L’égalitarisme entre départements n’avait pourtant pas empêché l’attribution de nouvelles prérogatives à l’Alsace.
Je suis étonnée par le vœu d’unité du territoire breton émis par le Conseil général de la Loire-Atlantique en 1962. Sans doute ce vœu avait-il été rédigé de façon assez alambiquée pour que les promoteurs du grand ouest puissent aussi s’y retrouver (la B5 serait considérée « unie » dans le grand ouest).