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Psychopathologie des états dominants et bâillonnement des peuples interdits
L’ordre du monde actuel peut se questionner et nous pouvons certainement explorer la posture des états sous un angle psychopathologique à l’instar de ce qui peut être fait au niveau d’un individu.
Dans un premier temps, nous pourrions craindre que cet ordre du monde soit « malade » et notamment de trop de secrets, de trop de non-dits. Cette organisation mondiale est d’abord en premier lieu celui des puissances européennes ou en tout cas occidentales. Dans les années 1980, nous parlions du « tiers-monde » autrement dit de ce reste de la planète perçu comme en retard de développement sur le plan économique mais aussi démocratique.
Entre ces deux parties du monde, resterait cependant un secret lourd, et purulent en lien avec la colonisation et les blessures qu’elle engendra. Cette question reste toujours d’actualité, car sous-jacente à bien des occasions. Nous pourrions alors citer la question non-réglée des œuvres d’art africaines qui alimentent encore les musées de Londres, de Paris ou de Berlin, dépossédant par cela les pays qui furent auparavant qualifiés « d’exotiques » de leurs propres histoires.
Il eut aussi la question de la réécriture des histoires avec tout le dédain qu’elle implique, des contrées africaines mais aussi d’ailleurs qui paraissent décidément ne pas avoir eu d’Histoire avant la colonisation, et tant pis pour les royaumes ou les empires qui purent autrefois exister. Le déni serait donc encore là et maintenu avec autorité, sans aucun sens démocratique.
Tous les peuples premiers, tels que nous, les Bretons, ont subis et subissent encore ce rapport de domination.
Faire partie d’une république ne nous épargne pas cette difficulté.
Ainsi, les Kurdes n’existent pas sur le plan politique à cause des Turcs (et du fait de bien des trahisons européennes et américaines pour des raisons de real politique). Si après les Tibétains, les Ouïghours n’existent pas à cause des Chinois, nous, les Bretons, mais aussi les Basques, les Corses n’existent pas davantage, officiellement, à cause de la France.
Dans tous les cas, la stratégie employée s’inscrit dans de la dénégation.
La France serait championne de cela. A partir de sa paranoïa jacobine née d’une époque où la révolution craignait de perdre ses acquis ou surtout de mourir à son tour, elle adhéra à l’idée qu’il était trop risquée de reconnaitre les spécificités de certaines de ses composantes actuelles.
Au nom donc d’une union pleine et entière, la Terreur, dans une représentation exactement à l’inverse des principes de liberté qui étaient normalement à la base de la république, se mit donc en œuvre contre ceux qui évoquaient une différence et tua, assassina dans une folie aveugle beaucoup de chouans bretons et vendéens par noyade dans la « baignoire nationale » (surnom de l’époque donné à la Loire) ou guillotinés place du Bouffay à Nantes qui restaient selon les dires, rouge de sang.
Par conséquent, la France adapte toujours son discours à l’image qu’elle entend se donner.
Par celui-ci, elle serait donc un des seuls pays du monde où il n’y aurait pas d’ethnie, pas même de minorités culturelles et où il n’y a qu’une seule langue officielle alors que le multilinguisme serait pourtant la norme mondiale. Le mot ethnie est alors utilisé mais pour ailleurs, pas pour la France. Et elle parvient alors même, dans un clivage fabuleux, à se payer le luxe de s’insurger pour le sort d’autres ethnies sans regarder ce qu’elle fait des siennes. La France parvient à parler de la Bretagne, de la Corse, du pays Basque mais pour parler de régions anciennes ou présentes, de folklores, de patois mais surtout pas de pays, de cultures ou de langues. Il ne faudrait surtout pas les mettre au même niveau qu’elle-même.
Elle procède alors par dévalorisation, par manipulation afin de détourner l’individu de ce qu’il serait.
Le mariage d’Anne de Bretagne à Charles VIII devient en cela, un mariage d’amour afin de porter par déplacement, l’idée d’un amour de la Bretagne à la France et ainsi atténuer un aspect guerrier et invasif peu en accord avec l’image démocratique avec laquelle la France veut se draper. La Bretagne est alors réduite dans la présentation habituelle à un duché sans avenir, ni force alors que dans les faits, elle était indépendante sur le plan législatif, à partir d’un corpus juridique différent de celui du monde latin, alors qu’elle était un des duchés les plus grands d’Europe aussi grand que le Danemark. L’Histoire de Nantes / Naoned, pour sa part, est régulièrement réduite à la question de la traite négrière, de l’Édit de Nantes et de l’« union » de la Bretagne à la France. Mais jamais son statut ancien de capitale d’un royaume suffisamment souverain pour disposer d’un ambassade auprès du pape n’est rappelé.
Falsification de l’Histoire.
Tout cela viendrait mettre en évidence la falsification des histoires, falsification qui se voit ensuite complétée par des opérations de contradictions, d’opposition à ce qui serait perçue comme des vérités gênantes.
Pour se faire, il faut veiller à contredire, à pervertir les esprits en distillant un doute constant.
Rien ne doit atténuer le roman national, le mythe du pays des droits de l’homme à l’origine même de la prétention reconnue du français. Nous pouvons en terme d’exemple de doute organisé, évoquer l’exposition récente contestant les origines celtiques des Bretons qui se déroula à Rennes alors même que, preuve pourtant incontestable, la langue bretonne est clairement celtique. Il suffit pour s’en convaincre de voir les similitudes entre le gallois et le breton. Les mémoires sont donc mises à rude épreuve et toujours soumise à des discours et des contre-discours qui ont pour objectif de mettre chacun devant une confusion trop insécurisante pour pouvoir prendre le risque de se proclamer trop fort, breton, basque, alsacien ou corse.
Les identités premières furent par ailleurs mises à mal à l’aide de stéréotypes peu flatteurs, utilisés en vue de conduire la personne ainsi colonisée à une haine de soi et afin de mieux la disposer à accueillir le modèle de la France, présenté unilatéralement comme moderne et forte dans le concert des nations.
N’avez-vous pas sinon remarqué de quelle façon les crimes de la France ou d’une autre puissance occidentale ne sont pas appréhendés de la même manière que les crimes d’autres pays ?
Parle-t-on du génocide américain sur les peuplades amérindiennes en tant que tel ?
Parle-t-on du génocide espagnol après la découverte des Amériques ou de génocide européen à travers la traite négrière? Fixant elle-même les règles, cela lui permet mais à la fois, en tant que juge et partie, de déterminer finalement ce qui est un crime et ce qui ne l’est pas.
Quel meilleur moyen alors pour ne pas avoir à se confronter à ses actes !
La Bretagne comme beaucoup d’autres peuples premiers serait encore prise dans un lien de nature pathologique avec une puissance, ici évidemment avec la France.
Ce lien peut être qualifié de pathologique dans le sens où ce lien ne lui permettrait pas d’être elle-même mais bien au contraire de s’éloigner d’elle pour être autre chose. La folklorisation du XIXème siècle permit de faire aux Bretons qu’ils avaient de charmantes spécificités, originalités mais aucunement une culture. Ce lien pourrait être comparé à un lien d’emprise du bourreau avec sa victime. Ce lien s’établit alors par un discours consistant à convaincre la victime qu’elle ne peut pas vivre sans lui, qu’elle n’est rien sans lui et qu’elle doit accepter le confort d’une situation qui plus est, désormais connue et installée et même si elle l’est au prix d’un oubli de soi, afin de se détourner d’une quête de soi, d’émancipation, d’indépendance qui s’apparenterait selon ce discours à une aventure bien périlleuse. En d’autres mots, ce lien serait pathologique car violent sur le plan symbolique.
La Bretagne serait ainsi prise dans un rapport de force implicite à la France.
Devenir enfin elle-même reviendrait alors, pour la Bretagne, au-delà même de la question des territoires, à enlever sans le vouloir, quelque chose de l’identité fantasmée française, quelque chose de ses valeurs. Car elle viendrait dénoncer, mettre en lumière des fonctionnements, des procédés finalement peu en accord avec ce que la France déclare être. Elle viendrait valider des réalités qu’elle ne voudrait pas voir. Du fait de son déni constant vis à vis tant de populations, qu’elle ne chercherait donc pas à représenter, il parait difficile de la considérer comme pleinement démocratique.
Ainsi la Nouvelle Calédonie est devenue française par colonisation autrement dit par déni de sa spécificité de sa culture et de son parcours. L’identité française y fut acquise nécessairement par domination et manipulation et non advenue de façon naturelle. Les Kanaks n’ont pas la même histoire qu’un français. C’est une réalité. Inutile d’employer un référendum pour cela. Tout comme c’est une réalité de voir de quelle façon la Bretagne, la Corse etc… ont été détourné de leur identité, y compris par des procédés de colonisation : implantation de personnes françaises à des postes clés, francisation des mots, des noms, usage du « symbole » dans les écoles afin d’éradiquer les traditions et les langues locales. Il faut souligner que cet usage se retrouva dans beaucoup d’endroits, aussi bien en Bretagne que dans les pays africains colonisés par la France.
La Bretagne serait elle une colonie ? De toute évidence, oui.
Un pays démocratique peut-il continuer, sans craindre de perdre ses valeurs, à nier les origines culturelles d’une partie de sa population ?
Un pays démocratique peut-il se résoudre à un rapport paranoïaque à la différence ?
Peut-il critiquer la politique chinoise envers les Ouïghours sans mesurer de quelle façon, la France par exemple, put aussi œuvrer, d’une manière peut-être plus feutrée, plus lente, pour l’anéantissement des cultures premières composants son territoire ?
Si la méthode est sensiblement différente (la Chine procéderait par l’assassinat tandis que la France procéderait par l’absence de soins) l’objectif n’est-il finalement pas le même et à chaque fois, condamnable ?
Toutes les cultures du monde sont pourtant des richesses.
Elles doivent être toutes sacralisées et protégées de tous les mouvements d’uniformisation.
Nous évoquons beaucoup actuellement la question de la sauvegarde de la biodiversité. Il serait maladroit d’oublier pas la notion de diversité culturelle.
Dans les deux cas, il est question de suprématie insupportable, de domination de l’homme sur la nature ou sur l’homme mais toujours dans un objectif de mettre l’autre, homme ou animal aux services des intérêts uniques des puissants.
La culture bretonne a participé au monde et en plus, de belles manières.
La pensée celtique véhicula et véhicule encore beaucoup dans le domaine de la poésie, du conte, du romantisme mais aussi dans le domaine de l’humanisme (voir philosophie de Berkeley), de la tolérance, de la passion, du partage.
Toutes les pensées des peuples premiers présentaient par ailleurs un rapport plus respectueux à la nature. Nous serions donc bien inspirés en ces temps préoccupés par l’évolution climatique, de nous rappeler de leur héritage et d’écrire la vraie histoire de l’humanité.
Ce qui était appelé « la matière de Bretagne » à savoir la richesse de la création littéraire bretonne, a nourri par ailleurs, la culture française.
La Corse n’a-t-elle pas pour sa part, avant la France et surtout 1789, prononcé le droit de vote des femmes ?
Le visage du monde actuel serait donc empreint de trop de déséquilibres nés d’une histoire mondiale où l’existence des peuples premiers fut bafouée. Une démocratie peut-elle subsister si elle n’est pas juste et respectueuse envers TOUS les hommes qui la composent? En oublier la conduirait nécessairement à employer la force et donc le totalitarisme.
Pour tout cela, je suis Cheyenne, je suis Kurde, je suis Ouïghour, je suis Breton. Je suis Kanak, je suis Tibétain, je suis Berbère, je suis Basque, je suis tous les peuples oubliés.