Roc’h Trédudon, l'attentat FLB de 1974

Roc’h Trédudon, l’attentat FLB de 1974, par Erwan Chartier

de NHU Bretagne

Bonjour Erwan Chartier, et merci de nous recevoir pour présenter à nos lecteurs Roc’h Tredudon 1974, la bombe et le pylône, votre dernier livre consacré à l’attentat du FLB Front de Libération de la Bretagne il y a cinquante ans.

Sommaire

Tout d’abord, pour celles et ceux qui ne vous connaissent pas encore, qui est Erwan Chartier ?

Je suis journaliste et je dirige actuellement la rédaction de l’hebdomadaire du centre Bretagne, Le Poher, ainsi que le site Le Penn-Bazh. J’ai auparavant travaillé à la rédaction d’Ar Men pendant douze ans et j’ai dirigé les éditions Coop Breizh entre 2012 et 2017.
Je suis aussi docteur en études celtiques et je donne des cours sur l’Histoire et l’actualité des pays celtiques à Rennes II. 

J’ai écrit une vingtaine d’ouvrages, principalement sur la Bretagne.

Pourquoi avoir éprouvé le besoin d’écrire ce livre Roc’h Tredudon 1974, la bombe et le pylône ?

Cela m’a pris cet automne 2023, alors que le cinquantième anniversaire de cet attentat arrivait. Je venais d’écrire un livre sur les évènements de Callac / Kallag et de l’extrême droite, j’avais envie de passer à autre chose. Et je me suis dit qu’il n’était pas inintéressant d’écrire un nouvel ouvrage sur la violence politique en Bretagne, un sujet sur lequel je suis souvent interrogé.

Par ailleurs, je suis un fan de l’émission Affaires sensibles sur France Inter. J’aime bien l’idée de partir d’un évènement (ici l’attentat de Roc’h Tredudon) pour parler d’autre chose, en l’occurrence le FLB-ARB des années 1970, mais aussi le contexte avec la fin du mandat de Georges Pompidou.

Vous aviez déjà co-écrit en 2006 « Le dossier FLB, plongée chez les clandestins bretons ». Pourquoi ce sujet semble tant vous intéresser ?

En fait, je me suis intéressé à ce sujet lorsque j’étais étudiant à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. J’y avais consacré mon mémoire de troisième année. Après, ce sont les hasards de ma carrière de journaliste. J’avais rencontré Alain Cabon et on s’est vite entendu pour écrire Le Dossier FLB. On avait rencontré près d’une centaine d’acteurs de ces mouvements à l’époque. C’était intéressant, parce que beaucoup d’entre eux voulaient parler et expliquer des combats qui n’étaient quand même pas anodins.. 

Que se passe t-il cette nuit du 13 au 14 Février 1974 au Roc’h Tredudon ?

Le FLB réalise l’un de ses attentats les plus spectaculaires.
Des charges déposées sur deux câbles explosent et l’immense antenne de 200 m de haut, tourne sur elle-même et s’effondre. Il n’y a que des dégâts matériels même si, il est important de le rappeler, un responsable local de l’ORTF décède après avoir constaté les dégâts et fait une attaque, sans doute engendrée par le stress.

L’attentat de Roc’h Tredudon va priver une grande partie des habitants de l’ouest de la Bretagne de télévision pendant plusieurs semaines, ce qui fait qu’énormément de monde s’en souvient..

front de libération de la Bretagne
front de libération de la Bretagne

Quelles furent, selon vous, les raisons qui ont motivé les activistes du FLB-ARB à commettre cet attentat du Roc’h Tredudon ?

On est dans la logique des actions du FLB – Armée Révolutionnaire Bretonne qui s’intensifient depuis 1972. Il s’agit d’abord d’une réponse à la dissolution en conseil des ministres du FLB-ARB, ainsi qu’une manière de répliquer à la censure d’une partie de la chronique de Charlez ar Gall à la télévision, lorsqu’il avait voulu évoquer un fest-noz de soutien aux prisonniers bretons.

Des centaines de membres du FLB-ARB furent arrêtés depuis les débuts de l’organisation indépendantistes clandestines dans mes années 60, mais étonnamment jamais ceux qui ont abattu l’antenne du Roc’h Tredudon ? Vous qui connaissez très bien cette affaire, cela ne pose t-il pas quelques questions ?

C’est un hasard, mais un mois et demi plus tard, Georges Pompidou décède. En mai, Giscard remporte la présidentielle et proclame une amnistie concernant les attentats. Les enquêtes s’arrêtent donc. Il n’y a donc jamais eu de militant arrêté ou jugé dans cette affaire.

D’un autre côté, lorsque j’ai interrogé des anciens activistes, on m’a toujours répondu que le mouvement avait intérêt à ce que cela reste mystérieux… « Un attentat spectaculaire et réussi, sans militant arrêté, c’est bon pour l’image du FLB« , m’a-t-on gentillement expliqué.

L’armée française était à cette période en entraînement dans les Monts d’Arrée / Menez Are, autour du Roc’h Tredudon. Et certains affirment que ce sont des services spéciaux français qui auraient commis cet attentat pour tenter de discréditer le Front de Libération de la Bretagne dans l’opinion publique. Que pensez-vous de cette polémique ?

Non, je ne crois pas à une manipulation. En 1994, Yann Puillandre et Hervé Person ont réalisé l’interview du chef du commando qui livre suffisamment de détails techniques pour qu’il n’y ait pas de doute sur le fait que c’est bien le FLB qui a réalisé l’attentat. Et la personnalité comme le CV de Yann Puillandre plaide aussi pour une action du FLB. Du côté de la DST et des policiers également, on attribue l’attentat au FLB.

Effectivement, les commandos étaient en manoeuvre dans les Monts d’Arrée, mais la chose était banale.

Par contre, il est vrai que la DST a organisé des actions de manipulation pour faire du renseignement ou discréditer le FLB au début des années 1970. A l’époque, c’était des des personnes qui avaient lutté contre le FLN pendant la guerre d’Algérie et qui en avait gardé des méthodes qu’on qualifierait aujourd’hui de discutables… L’opération la plus sensationnelle attribuée à la DST est la destruction de la villa de Francis Bouygue à Saint-Coulomb, en 1972

Le FLB-ARB bénéficiait il à l’époque d’une opinion favorable dans la population bretonne ?

C’est toujours difficile à dire, car il n’y a pas eu de sondages sur la question…
Il n’y a pas eu de grandes manifestation contre ou pour la violence politique en Bretagne dans ces années-là. Par contre, au cours des années 1970, le FLB-ARB s’est, en quelque sorte, intégré au paysage et a participé de la construction de l’image d’une Bretagne rebelle. Il est notoire d’ailleurs qu’en Bretagne, la violence politique a surtout fonctionné comme un moyen de communication, bien plus que comme la volonté de créer un véritable rapport de force militaire.

Votre livre Roc’h Tredudon 1974, la bombe et le pylône révèle t-il des faits inédits ou encore inconnus du grand public, à propos de cette affaire ?

Honnêtement, non.
L’interview de 1994 était très documenté. Le but de ce livre est beaucoup plus de raconter un contexte particulier, celui de la Bretagne dans la France de Pompidou. Je parle de l’ORTF, qui était un média contrôlé politiquement par l’Etat, ce qui est différent d’un service public. Cela permet d’ailleurs de se poser la question de savoir pourquoi il n’y a pas de véritables chaînes publiques de télévision régionales en France… A part en Corse.
Contrairement aux autres grands pays européens.

Je trouvais aussi intéressant de faire un livre journalistique, qui se lit rapidement, pour les jeunes générations qui ont parfois du mal à imaginer qu’il y a cinquante ans, il n’y avait que deux chaînes de télévision en Bretagne (dont une en noir et blanc), que les téléphones avaient des fils, que les écoles DIwan ou bilingues n’existaient pas…

Erwan Chartier, vous publiez Roc’h Tredudon 1974, la bombe et le pylône aux Éditions Penn Bazh, média numérique dont vous êtes par ailleurs le fondateur et le rédacteur en chef. Pourquoi ce choix ?

Avec quelques amis, dont des journalistes, on a voulu créer Penn-Bazh, un média avec un regard impertinent sur la Bretagne. Il est en construction, mais il est difficile de trouver des ressources financières pour faire vivre un média numérique.
Notre modèle est le Canard Enchaîné, mais on est loin d’avoir leurs ressources !
Alors, je me suis dit, pourquoi ne pas faire de l’édition « papier ».
L’ouvrage sur Roc’h Tredudon est le deuxième, et on espère en éditer trois ou quatre autres cette année. La collection va prendre de l’ampleur petit à petit… 

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Erwan Chartier, merci de votre accueil et du temps que vous avez bien voulu nous consacrer.

Editions Le Penn Bazh, distribution Coop Breizh

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