Par Gilles DENIGOT.
Concernant STX, il y a plusieurs approches. D’abord locales car c’est un vecteur d’emplois considérable. Puis industrielle car c’est un des derniers bastions de l’industrie en France. Également financier car on discute argent public et privé à travers ce dossier. Aussi européen car ce qui est évoqué est un secteur de l’économie européenne et de son absence de cohérence. Enfin mondialisation car ce dont nous parlons concerne désormais les croisières dans le monde à travers la constructions de paquebots.
Sommaire
Le feuilleton très médiatisé de STX en France revient une nouvelle fois au coeur du débat politique.
J’arrête ? Non car l’essentiel est maritime et portuaire..
C’est sous cet angle “oublié” que je vais aborder ce sujet.
Inutile de répéter en boucle, la technicité, le savoir faire des ouvriers et les flatteries peu coûteuses. Ceux qui construisent les navires le savent. Partout le monde du travail a des compétences dans la chaîne de production et de distribution des richesses.
Oui nous vivons dans une économie globalisée.
Et alors, nous habitons aussi sur une planète aux deux tiers faite d’eau. Nous ignorons néanmoins que 90% de ce que nous consommons les uns et les autres rencontrent un passage maritime dans la chaîne du transport. Il faut donc pour cela construire des navires pour transporter ces marchandises et des infrastructures. Dont des ports, voies ferrées et fluviales, des routes, des plateformes logistiques pour faire fonctionner correctement ces échanges économiques.
L’Europe où nous vivons ne fait quasiment plus de navires de charges (porte-conteneurs, pétroliers, méthaniers et autres minéraliers et cargos pour les marchandises diverses). Pourtant ces pans entiers de l’économie industrielle n’ont pas disparus comme certains aiment à le penser. L’industrie n’existe plus disent-ils. Sans savoir que ces chantiers sont tous passés sous profit de chantiers asiatiques. On préfère parler des travailleurs détachés, plus facile et plus visibles.
Il n’y a donc plus en France et en Europe de construction et de déconstruction. Puisque tout se fait au profit des pays les plus pauvres et les moins exigeants sur les questions sociales et de santé environnementale …
Remettre les opérateurs européens en course ?
Or, ce sont bien les ports et autres infrastructures européennes qui sont utilisés abondamment pour recevoir, stocker et transporter les marchandises débarquées de ces navires. Ce sont bien les opérateurs européens du conteneur qui dominent la flotte mondiale. Dont Maersk le Danois, CMA-CGM le Français et MSC l’Italo-Suisse qui occupent les trois premières places.
Le manque total de stratégie industrielle en Europe a laissé filer ces pans entiers de l’économie qui crée tant emplois. Il n’y a guère que le consortium EADS/AIRBUS qui fait exception. La France a perdu tous ses chantiers navals importants. A part Saint Nazaire en sud Bretagne, reconverti dans le paquebot des croisières.
Longtemps nationalisé comme d’autres industries, le chantier naval s’en sort plutôt bien. Avec un carnet de commandes conséquent puisqu’il est visible à plus de dix ans ce qui est presque exceptionnel dans son histoire. N’oublions pas que l’économie de la navale représente beaucoup d’emplois directs et indirects.
Pour presque tous les départements de France qui sont concernées par le processus de construction. Repris par le Sud Coréen STX, liberté d’agir a été laissée à la direction nazairienne et à son staff. La politique industrielle et commerciale porte ses fruits. La direction – et les salariés – aiment néanmoins avoir une visibilité sur les carnets de commandes.
En quasi faillite le groupe STX a accepté de séparer la branche navale pour la vente. Et seul le constructeur de navires l’Italien Ficantieri s’est porté candidat. On devrait, on pourrait se réjouir d’un accord européen loin des craintes de placements financiers par différents fonds de pension sans volonté industrielle et navale ou autres inquiétudes qui nourrissaient les débats pendants des années.
Un bon accord européen, pas si sûr.
L’accord passé par le gouvernement Valls-Hollande est paradoxal
a) D’abord intéressant par la qualité de l’Italien qui fait beaucoup de navires et connaît la question navale et maritime dans le marché mondial.
b) Puis inquiétant car Ficantieri et le groupe Italien Fondazione CR ont 58% du capital social et un accord avec les constructeurs Chinois de Shangaî poussé par le groupe croisiériste Carnival Corporation principal client de Ficantieri en Italie. Ces derniers souhaitent fortement que soient construits des paquebots en Chine dans des délais assez courts. Là se niche une partie non abordée du contentieux politique.
Une question euro-européenne ?
Ce n’est donc pas seulement une question “euro-européenne”. Mais bien la fuite possible des navires de croisières vers l’Asie après le pillage des navires de charges dont j’ai parlé. Le message européen doit se situer là : comment préserver les intérêts européens de la France et de Saint Nazaire ainsi que de la construction navale italienne face à cette menace et offensive ?
Je ne veux pas entrer dans les questions géopolitiques entre la France et l’Italie. Ni sur les autres relations économiques et concurrentielles, ou sur les questions sociétales externes au dossier. Je préfère rester sur la question économique et industrielle des constructions navales dans la globalisation des échanges. Qui touche aussi l’économie touristique puisque la demande de croisières connaît une croissance exponentielle.
Je suis de ceux qui pensent qu’il faut mettre en place un consortium européen des constructions navales avec les autres constructeurs de navires. Mais attention à ne pas se servir d’un site (Saint Nazaire en Bretagne) pour étouffer son activité au profit d’une double concurrence, le constructeur Carnival et les chantiers navals de Shangaï. Pour aller plus loin, la Communauté Européenne devrait organiser ce tour de table avec les utilisateurs des ports et infrastructures de transports.
Ils/elles sont financés par les états membres, l’Europe, les régions et ne devraient pas seulement permettre le commerce, mais aborder la question des constructions de navires qui servent à faire ce commerce en Europe.
Personne n’en parle personne n’ose … tous doivent penser que c’est impossible, que ce n’est pas raisonnable. Que sans doute il vaut mieux se lamenter des conséquences et chercher des ”pansements” pour combler, pour financer chèrement les déserts industriels qui fleurissent et renforcent les populismes anti globalisation et Europe de toutes sortes. C’est une faute politique lourde !
STX- Ficantieri : Un accord équitable entre la France et l’Italie ?
Il ne l’est pas et le gouvernement Hollande le savait. Rappelons que STX c’est 33% pour l’État Français depuis 2008 sous Sarkozy et 66% au Sud Coréen. Que l’accord passé, non validé, entre le seul repreneur connu c’est 58 % aux intérêts italiens. Avec 50% pour Ficantieri dont 70% du capital social est à l’État Italien et 8% pour le groupe Fondazione CR. Les intérêts français n’étant que de 42% dont 33% à l’État et 9% à la DCNS (Naval Group).
Promesse d’un accord équitable.
Or Emmanuel MACRON a annoncé devant la direction et les ouvriers de Saint Nazaire dès son élection et avant les législatives, qu’il voulait aller vers un accord plus équitable. Est-ce 50/50 ? Est-ce autre chose sur les intérêts entre Ficantieri et son client Carnival branchés sur les chantiers chinois pour sortir des paquebots en 2022 ?
Nous verrons ce qui sera négocié et trouvé comme “accord équitable”. Il faut aussi savoir que deux armateurs, clients importants de STX demandent à entrer au capital social (RCCL et MSC). Les salariés soutenus par la CFDT souhaitent aussi y être pour connaître la politique industrielle. Ce sont ces 8% qui pourraient se partager entre ces deux armateurs et les salariés. On parle de 5 et 3% afin d’avoir 50% ( 33% l’État, 9% la DCNS-Naval Group, 5% les armateurs et 3% les salariés) ….
La nationalisation durable de STX n’est pas tenable.
Appeler juridiquement droit de préemption, la nationalisation temporaire annoncée par le ministre Bruno LEMAIRE pour 80 millions d’euros n’est à mes yeux pas tenable mais un moyen de renégocier “un accord équitable”.
Attention à ne pas échouer et à être obligé de rebattre les cartes. Alors que les clients sont rares ou sont à trouver. Conserver la nationalisation comme certains le souhaiterons serait une erreur. Car ce n’est pas du ressort de l’État et il y a fort à parier que ce serait à la fois néfaste commercialement et socialement. J’imagine déjà les surenchères et les conflits sociaux.
Fatigué par des questions de santé, je cesse d’argumenter. Pourtant un vrai débat sur “quelles politiques industrielles maritimes et portuaires dans l’Europe et la globalisation des échanges“ serait utile et dépasserait les discussions et petits intérêts isolés.
2 commentaires
Nazairien, issu d’une famille largement impliquée dans les chantier de Penhoët et de la Loire pendant des décennies je ne peux qu’être d’accord avec ce qu’écrit Gilles.
Saint-Nazaire est une remarquable ville industrielle avec la « Navale » , Airbus Industrie, la FAMAT, l’ACMAT, etc.
Mais le chantier est aujourd’hui ne pièce majeure de son industrie et de son économie, mais aussi de son rayonnement international.
Nous ne pouvons laisser le pouvoir des technocrates parisiens jouer avec l’avenir de notre ville.
Et que font nos élus ?
A galon. Jean Cévaër
Bonsoir Jean. Nos élus font ce que font trop d’élus : ils ne pensent qu’à leur réélection et à leurs propres intérêts, globalement. Merci de commenter et de nous suivre. A galon.