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Des chiffres et des langues
Nous avions conscience depuis longtemps que l’avenir la langue bretonne n’est pas assuré.
Elle fait d’ailleurs partie de la liste des langues en danger établie par l’UNESCO. Mais l’étude réalisée par TMO à la demande du conseil régional B4 et faisant état d’un effondrement du nombre de brittophones a provoqué la sidération en Bretagne. Cette étude suscite quelques interrogations et réflexions (profitables ?)…
Notons tout d’abord l’empressement des médias à claironner les chiffres de cette enquête et à poser la question de la disparition de notre langue, comme pour préparer les esprits à cette issue. Le journal des Ouestitis de France a même prétendu qu’ il n’y a plus que 107000 brittophones « recensés ». Or justement le problème c’est que nous n’avons pas affaire au résultat d’un recensement, seule façon d’obtenir des chiffres exacts, mais d’une estimation obtenue par sondage, ce qui est totalement différent.
Escroquerie intellectuelle ?
Affirmer péremptoirement: » il ne reste plus que 107000 brittophones » en présentant ce chiffre comme une vérité d’évangile est une escroquerie intellectuelle.
On sait le peu de fiabilité des sondages. Chacun sait que les chiffres livrés par les officines de sondages ne sont jamais les chiffres bruts mais des résultats corrigés après applications de formules mystérieuses propres à chaque institut et dont le secret est jalousement gardé ce qui ouvre la porte aux tripatouillages. On peut donc s’étonner de la crédulité de tous ceux qui prenant ces chiffres pour argent comptant les répètent comme des perroquets.
Pourtant des doutes apparaissent ici ou là.
Ainsi dans le magazine Bretons, le directeur de l’Office Public de la Langue Bretonne s’interroge: “Perdre 100 000 locuteurs en six ans, cela représente plus d’un tiers de l’ensemble des Bretons morts sur les cinq départements sur cette période ! Cela ne semble pas très cohérent… » De même l’éminent linguiste Francis Favereau déclare dans une interview publiée dans l’Écho de l’Armor et de l’Argoat : » ce qui me surprend, quand même, c’est que l’étude précédente, qui datait de moins de dix ans, laissait entrevoir une légère augmentation du nombre de locuteurs. »
Les commentaires trouvés sur les réseaux sociaux à la suite de cette publication montrent qu’elle a été reçue par certains comme un coup de massue entraînant un état d’abattement subit et les amenant à penser que la cause bretonne est perdue. Il n’y aurait donc plus qu’à faire notre deuil et à tourner la page. On peut se demander si ce n’était pas là le but poursuivi par les auteurs de cette étude: décourager les militants de la langue bretonne pour pouvoir ensuite débrancher les « soins palliatifs » qui n’étaient destinés qu’à ralentir le déclin en se gardant bien de prendre les mesures vraiment efficaces qui auraient pu inverser la tendance : pourquoi continuer à dépenser « un pognon de dingues » pour une langue moribonde?
Des chiffres et des langues : la stratégie du choc
D’aucuns ont d’ailleurs anticipés les choses en commençant à débretonniser les noms de lieux : pourquoi garder des toponymes qui ne sont plus compris par personne, la langue bretonne étant en voie de disparition ? Tout cela ressemble fort à une variante de « la stratégie du choc » théorisée par Naomie Klein. Si c’est le cas nous devons nous attendre à subir d’autres attaques violentes dans l’avenir proche.
Il est donc temps pour l’Emsav de se redynamiser et de contrer ces attaques à venir en prenant l’offensive.
En 1981 Jack Lang ministre de la culture avait missionné Henri Giordan pour rédiger un rapport sur l’état des langues et cultures des peuples de France. Ce rapport intitulé « Démocratie culturelle et droit à la différence » préconisait une politique de « réparation historique » pour nos langues. Il est resté lettre morte mais ses préconisations sont plus que jamais d’actualité.
À nous de nous les approprier et d’en faire le fer de lance de notre combat.
Aujourd’hui nous sommes à l’heure du choix: le fatalisme et le deuil ou le sursaut et l’exigence de réparation historique.
Des chiffres et des langues