Dans la série « Du point de vue … » Yoran Embanner, l’Éditeur des Peuples Oubliés vous propose Histoire de Catalogne du point de vue catalan, de Gentil Puig-Moreno.
C’est trop souvent le vainqueur qui raconte l’Histoire dans son « roman national » adapté.
#RacontonsNotreHistoireNousMemes
Le texte qui suit est la préface de cette Histoire de Catalogne du point de vue catalan, de Gentil Puig-Moreno, écrite par Alan Le Cloarec.
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Sommaire
Histoire de Catalogne du point de vue catalan : un peuple héroïque
Faire face à la violence policière pour aller voter, bien peu de peuples dans l’histoire moderne ont vécu cela.
Le référendum d’autodétermination catalan du 1er octobre 2017 est une illustration géante des dénis de démocratie en cours dans nos sociétés occidentales, dont la répression a été couverte par ces mêmes États qui s’offusquent des montées de l’autoritarisme en Europe et dans le monde.
S’exposer aux matraques, aux charges de la police, aux balles en caoutchouc, pour déposer un bulletin dans l’urne, c’est-à-dire pour faire vivre la quintessence même d’une démocratie pacifiée. C’était bien ce jour-là en Catalogne, l’absurde, l’irréel, qui prenait place en chair et en os, en uniforme de la Guardia Civil.
Par ce nouveau volet de la série Yoran Embanner consacrée à l’Histoire des peuples, vous allez découvrir ou redécouvrir le combat d’une nation pour vivre, survivre et redevenir libre. Vous verrez donc qu’en ce jour de 1er octobre 2017, l’intervention policière contre le droit de vote catalan ne venait pas de nulle part. La Catalogne se bat depuis longtemps et de bien des façons, l’Espagne l’enserre depuis longtemps et de bien des façons également. Nul besoin dans cette préface de tout vous dévoiler, l’excellent travail de synthèse et de vulgarisation de Gentil Puig-Moreno s’en chargera très bien.
Profitons plutôt de ces quelques lignes avant de plonger dans les méandres de la passionnante Histoire de la Catalogne, pour nous attarder sur les enjeux et les leçons du référendum d’autodétermination.
Aux élections du Parlement catalan de 2012, le centre-droit indépendantiste arrive largement en tête avec 38 % des voix.
Un an plus tôt, Mariano Rajoy prenait le pouvoir en Espagne sur une ligne anti-indépendantiste catalane affirmée, et à la même période, le nouveau statut d’autonomie renforcée pour la Catalogne est annulé par le Tribunal constitutionnel. Dès lors, les oppositions se renforcent, la volonté populaire catalane pour plus d’autonomie sans l’indépendance, se mue petit à petit, face à l’intransigeance de Madrid, vers une volonté de retour à la pleine et entière souveraineté nationale.
Aux élections du Parlement catalan de 2015, le centre droit indépendantiste se maintient en tête, et la gauche indépendantiste se renforce. En janvier 2016, Carles Puigdemont devient président de l’autonomie catalane, il est réputé comme plus sincèrement indépendantiste que son prédécesseur Atur Mas. L’histoire le présente déjà comme le futur leader du référendum d’autodétermination. Référendum et autodétermination, les deux mots sont posés. C’est soit un défi à la démocratie, à l’Europe et à l’Espagne, car la constitution de cette dernière ne permet pas la tenue d’un tel vote.
Sauf que, les indépendantistes élus au Parlement l’ont été pour réaliser ce vote.
Comme dans toute démocratie représentative, ils et elles sont les obligés du peuple qui les a élus. La majorité les a élus pour réaliser ce référendum, c’est donc un devoir civique que de le réaliser. Il est rare de voir une confrontation aussi parlante les deux sources de légitimité de la société démocratique : ses lois et ses élections. La loi fondamentale espagnole qui s’exprime dans la constitution ne veut pas du vote, la loi est censée être supérieure à tout autre chose, il faudrait donc l’appliquer à la ligne, avec violence policière si besoin. Mais l’idée même de la démocratie moderne depuis son origine, est qu’il y a la loi et l’esprit de la loi. Cet esprit indique bien sûr que les élections nomment des élus qui peuvent modifier la loi, c’est leur rôle et leur devoir, sans cela il n’y aurait besoin que de policiers et de magistrats pour faire tourner l’État dont les lois ne changeraient jamais.
Comment fait-on alors, quand l’expression légitime et souveraine du peuple dans les élections demande un référendum d’indépendance et que la loi l’interdit ?
Logiquement on discute, on négocie jusqu’à trouver une sortie de crise sans avoir à utiliser la violence. Ce fut la ligne de conduite du camp catalan jusqu’au bout. Ou alors on réprime dans l’intransigeance en foulant au pieds les élections, ce fut l’attitude de l’Espagne jusqu’au bout.
Tout était donc réuni pour que le référendum d’octobre 2017 soit un événement à tout point de vue historique. Le déroulé commença avant même le jour du vote. En temps normal, la Generalitat, l’autonomie catalane, aurait dû organiser le scrutin sur l’autodétermination comme elle le fait pour tous les autres. Bien sûr, cette dernière savait que Madrid ne la laisserait pas faire. Et elle avait vu juste. Avant que n’arrive le grand jour, les descentes de police dans les bâtiments de la Generalitat, la saisie des urnes, les perquisitions jusque dans les locaux des partis indépendantistes pour trouver les bulletins de vote se multipliaient.

Malheureusement pour l’Espagne, ces actions ne donnaient que peu de résultats.
Mais comment ces indépendantistes pouvaient-ils préparer le vote de plus de sept millions de personnes sans laisser presque aucune trace ? Le coup est tout bonnement génial. Les autorités avaient anticipé que les mouvements politiques seraient largement surveillés et réprimés pour empêcher la tenue du vote. Il était donc bien trop risqué de faire peser sur leurs épaules ce lourd fardeau qui finirait en échec complet. Mais qui, si ce n’est le monde militant, politique, pourrait assumer ce rôle ? Dans la plus grande simplicité, le mouvement catalaniste populaire et diffus, la société civile, le mouvement culturel, tout ce qui à côté et en contrepartie du politique, fait que la Catalogne est encore une nation.
Pour les volontaires, l’organisation clandestine du référendum leur indiquait qu’ils et elles n’étaient que le plan B, que leur intervention était hypothétique, qu’on ferait appel aux urnes et aux bulletins clandestinement acheminés au pays en cas de problème, mais que la Généralitat assurerait, comme d’habitude, la bonne tenue du vote avec les urnes officielles et habituelles. Comme prévu, les urnes officielles furent volées par la police, ce n’était de toutes façons pas celles qui devaient servir. Les urnes du grand jour, des boîtes en plastique fabriquées en Chine en grande quantité et ramenées par voiture et camion à travers la frontière comme de simples caisses vides attendaient déjà dans tous les villages et quartiers du pays. Les Catalans et Catalanes qui en étaient responsables ne le savaient pas, mais le plan B était en fait le plan A.
A la veille du référendum, partout en Catalogne, des gens se massent près des bureaux de vote, passent la nuit dehors pour protéger le lieu d’expression de leur liberté. Dans les campagnes, les comités de défense du référendum amènent des tracteurs et des voitures pour bloquer les routes. Les dockers de Barcelone refusent de décharger le matériel de la Guardia Civil.
C’est la veillée d’armes.
Le lendemain, tous les bureaux de vote sont fournis en urnes et en bulletins, le faux plan B, qui était en réalité le véritable plan, a parfaitement fonctionné. Dans la journée, les attaques de la police sont particulièrement violentes, elles tombent au hasard. Des quartiers indépendantistes et contestataires sont parfois épargnés de façon surprenante, des villages peu habitués à des descentes de police voient d’un coup surgir des colonnes de policiers qui défoncent les portes des bureaux de vote au bélier, matraquent tout le monde et repartent avec les urnes. Les images surréalistes s’enchaînent toute la journée. Ici, des pompiers basques venus en soutien au référendum catalan s’installent en rang, croisant les bras, devant un bureau de vote et font reculer la Guardia sans même utiliser la violence. Là-bas, Carles Puigdemont sous étroite surveillance entre dans une colonne de voitures qui passe sous un tunnel, il en profite pour changer de voiture et la colonne se disperse à la sortie du tunnel pour semer l’hélicoptère. En effet, la police espère arrêter le président en flagrant délit de vote, mais à cause du coup du tunnel, elle n’y arrivera pas. Nous ne sommes pas un film, mais cela en a tout l’air et le comportement du peuple catalan dans ce moment décisif tient en tout cas bien de l’héroïsme.

Bien peu de peuples, en effet, auraient réussi à rester aussi calme face à une telle pression.
L’esprit d’organisation, de dévouement et de détermination qui l’animait était aussi incroyable que fascinant. Tout au long de la journée, l’affluence dans les bureaux de vote était bien visible, la ferveur bien réelle, celles et ceux qui faisaient la queue applaudissaient les personnes qui en sortaient. Certains sortaient les larmes aux yeux, car ils n’auraient jamais pensé pouvoir voter de leur vivant pour l’indépendance de leur pays. Les résultats furent bien sûr sans appel, 90 % pour le Oui à l’indépendance, mais entre le boycott des loyalistes et la violence policière, la participation atteint 42 % et ne touche donc pas la barre symbolique de la majorité. A titre de comparaison pour l’État français, ce fut la même participation pour le référendum de passage au quinquennat en 2000, mais sans intervention policière, et qui fut tout de même validé malgré l’abstention de plus de 50 % du corps électoral.
Au final, qu’importe la participation, l’Espagne a toujours considéré ce référendum comme illégal …
… Même s’il a été mis en place par les autorités légitimes de Catalogne, élus par le peuple souverain pour réaliser ce référendum. La suite se passait donc au niveau diplomatique où bien peu d’États osèrent défier l’Espagne en reconnaissant la légitimité du vote. Belgique, Hongrie, Slovénie, Russie, Israël, Venezuela, Pakistan, Lituanie pour les États souverains, Corse ou Écosse également, mais le reste du monde soutenait l’Espagne. Il faut dire que cette dernière avait le soutien de poids du Royaume-Unis et de la France, problèmes indépendantistes en commun obligent. L’Europe ferma les yeux, laissa faire la répression et s’est abstenue de toute intervention pour défendre la légitimité démocratique du référendum.
Le 27 octobre 2017, la Parlement catalan vote une déclaration d’indépendance qui est immédiatement suspendue afin de privilégier à nouveau une solution diplomatique pacifiée avec l’Espagne. Ce fut peine perdue, tous les membres du gouvernement catalan ayant organisé le référendum sont poursuivis, contraints à l’exil ou à la prison, pour le seul crime d’avoir permis à leur peuple de voter, comme celui-ci l’avait exigé en les élisant.
Le silence du monde ainsi que la ténacité de la Catalogne sont une grande leçon d’histoire où l’héroïsme de tous les instants a fait bondir cette nation dans une pleine et entière modernité politique. Certes, la Catalogne n’est pas encore indépendante. Certes, le processus qui a mené jusqu’au référendum s’est soldé pour l’instant par un échec, mais il a mobilisé la société comme jamais sur cette volonté d’émancipation. La ligne non-violente suivie à la lettre montre qu’une stratégie, qu’elle soit violente ou non, est toujours efficace quand elle est massivement appliquée, car elle est issue d’une volonté populaire et non d’une consigne imposée par les leaders. En ce premier jour d’octobre 2017, la Catalogne écrivait déjà de bien belles pages de sa future histoire de pays – bientôt – indépendant.
Histoire de Catalogne, le point de vue catalan
Gentil Puig-Moreno
Éditions Yoran Embanner
Préface de Alan Kloareg