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Jack Kerouac – Huelgoat / An Uhelgoad – Venelle du Chai – Novembre 2024
Jack Kerouac …
C’est une longue demeure, bâtie en pierre locale, située dans une venelle pavée jouxtant l’église Saint Yves. Au linteau, une date : 1668. Le bâtiment est probablement plus ancien. C’était, dit-on un presbytère. Elle deviendra au début du XXe siècle, un cellier à cidre, et, beaucoup plus récemment, une galerie d’art. Un escalier extérieur comptant huit marches obture une porte sans doute plus ancienne. L’entrée se fait à l’étage. Au rez-de-chaussée, une autre porte voutée celle-ci, parait beaucoup plus récente.
C’est ici que débuta la saga Kerouac !
Un certain urbain François Le Bihan, Sieur de Kervoac
Dans les premières années du XVIIIe siècle, cette maison aurait appartenu à un certain Urbain François Le Bihan, Sieur de Kervoac (1702 – 1736) qui sera contraint par son père – honorable notaire du roi nommé François Joachim de Kervoac – de quitter la Bretagne à la suite de vols commis à Quimper / Kemper et Saint Pôl de Léon / Kastell Paol.
Le turbulant rejeton est ainsi expédié manu-militari aux colonies, en Nouvelle-France en l’occurrence.
Urbain François Le Bihan s’y installe donc, bon gré mal gré, en 1721 ou 1722.
Il y devient coureur des bois et y poursuit allègrement ses friponneries. Il est ainsi contraint en 1732 de se marier à Cap Saint Ignace au Québec, après avoir déshonoré une très jeune fille nommée Louise Bernier.
Le mariage ou la prison !
Au recteur de la paroisse, il donne un faux patronyme – un de plus – afin sans doute de brouiller plus encore les pistes. En 1727, dans un acte notarié, il avait signé Louis Alexandre Le Bihan de Kervoach. Ce sacripant se fait également appelé parfois Maurice Louis Kervoac ou encore Le Bris de Kervoac ou Le Bihan de Kervoac. On est alors assez peu regardant sur les patronymes, et l’exil permet parfois de se refaire une dignité. De cette union, treize enfants naitront. Urbain François Le Bihan meurt à l’âge de trente quatre ans, laissant à sa veuve, une tripotée de marmots et une montagne de dettes !
Ti-Jean, souviens : toi que tu es Breton
Jean Louis Le Bris de Kerouac – surnommé Ti-Jean – est le fils de Léo Alcide Kerouac et de Gabrielle Ange Levesque canadiens français émigrés aux États-Unis au tournant du XXe siècle. Jean-Louis Le Bris de Kerouac, futur Jack Kerouac, naît donc à Lowell – Massachusetts, le 12 mars 1922. Jack deviendra son prénom usuel à partir de 1937. À la maison, Jack parle français, et un peu le breton assurera t-il plus tard. On y mange aussi régulièrement, des crêpes, des sardines, du lard … Jack n’apprendra l’anglais qu’à l’âge de sept ou huit ans. Ti-Jean, n’oublie jamais que tu es Breton lui serine son père. Une légende perfuse l’histoire de cette famille. Urbain François le Bihan a été escamoté ou simplement oublié. On préfère raconter à tous, la belle histoire d’un noble breton ayant combattu aux côté du Marquis de Montcalm (1712-759) en Nouvelle France. Les cousins prétendent aussi qu’au pays, en Bretagne, il y a des terres et des châteaux, des armoiries et des devises, et aussi, un fameux magot.
On the road … to Brittany !
La publication de Sur la Route en 1957, apporte à Kerouac un succès inattendu et un relatif confort matériel. Mais Jack est vite fourbu de cette notoriété. Il s’éloigne peu à peu de ses anciens amis qu’il juge trop opportunistes, et trop vite prêts à trahir l’esprit beat generation. Kerouac se reprochera plus tard d’avoir participé à la naissance du mouvement hippie.
Lui, se revendique fervent catholique et respectueux des valeurs traditionnelles. Il se veut patriote et soutiendra la guerre au Viêt-Nam. Les Républicains pourtant vilipendent son mode de vie et son amoralisme. Lui, abhorre le communisme et s’attire ainsi les foudres des Démocrates de la côte ouest, ces merdeux de communistes comme il dit …
On le veut socialement et politiquement engagé, lui n’a de cesse de vouloir se dégager. Ces publications suivantes, les Clochards célestes (1958) et Big Sur (1962) sont dénigrés par la critique et par la presse. Il n’est soudain plus en odeur de sainteté auprès des progressistes. Kerouac, dont la quête généalogique n’avait jamais cessé, se prend à nouveau à rêver plus fort de la Bretagne et de sa belle lignée. En juin 1965, il décide donc de se rendre seul en France et en Bretagne.
Un Paris Brest … pour rien !
A Paris, Kerouac se rend tout d’abord chez son éditeur français, Gallimard, rue Sébastien Botté, où son comportement et ses propos inquiètent le personnel, féminin surtout. Il se rend ensuite aux Archives nationales, puis à la Bibliothèque nationale, où il demande à consulter la liste des officiers ayant accompagné le Marquis de Montcalm en Nouvelle-France. Il se prétend descendant d’un Prince ou d’un Baron de Bretagne. On expédie rapidement ce gugusse emboissonné, en lui répondant que ces documents ont disparu lors d’un bombardement pendant la seconde guerre mondiale.
Qu’à cela ne tienne. Il se rendra en Bretagne !
À Orly, notre auteur toujours alcoolisé, parti satisfaire un besoin naturel, rate son avion et perd sa valise qui s’envole sans son propriétaire. Kerouac décide donc de se rendre à Brest par le train. Le voici à Montparnasse. Quand il entre dans le compartiment, il s’annonce d’un trop bruyant : Jean-Louis le Bris de Kerouac !
S’y trouve un curé en soutane, deux honorables vieilles dames, un militaire en uniforme et un certain Jean-Marie Noblet, boit – sans-soif invétéré, avec qui bien sûr, il sympathise Les deux hommes assèchent le wagon-restaurant. Paris – Rennes : quatre bouteilles de Rosé.
À la gare de Rennes, les deux hommes se séparent.
Kerouac y achète un flacon de Cognac – sa boisson préférée en France – pour la fin du voyage.
Le titubant Noblet disparait dans la pénombre rennaise. Jack fait escale à Saint Brieuc / Sant Brieg, qu’il prononce Saint – Brieuk !
Terminus en Gare de Brest.
Kerouac s’installe à l’Hôtel de Bellevue rue Victor Hugo.
Il se rend ensuite Rue de Siam chez un libraire nommé Pierre Lebris. L’adresse lui aurait été communiquée par Georges Didier, patron du bistroquet La Cigale, avec qui il aurait partagé une bouteille de Cognac en parlant courses hippiques et ancêtres bretons.
Pierre Lebris est alité. Il souffre d’une hernie. Jack Kerouac s’installe à son chevet. Après quelques heures de discussion, et de trop nombreux verres, les deux hommes concluent qu’ils ne sont pas parents. Ils entretiendront cependant une correspondance jusqu’en 1969.
Cette histoire imbibée ne s’arrête pas là !
En 1967, Jack Kerouac croise à New-York un poète, musicien, chanteur breton Youenn Gwernig (1925-2006) avec qui il se lie et envisage en 1969 un voyage en centre Bretagne. Ce dernier y avait exercé la profession de sculpteur sur bois à Huelgoat / An Uhelgoad dans les années 50. Las, Jack Kerouac n’aura pas le temps d’effectuer ce second voyage en Bretagne.
Il passe de vie à trépas, le lundi 21 octobre 1969, aux urgences du Saint-Anthony Hospital Saint Petersburg en Floride.
Il n’a que quarante-sept ans.
Cause du décès (sans surprise) : Hémorragie hépatique.
Même si aujourd’hui la cause du décès est discutée … Dommage, car si Jack avait accompagné à Huelgoat / An Uhelgoad, son ami Youenn Gwernig, il aurait sans doute découvert venelle du Chai, la maison de son fameux ancêtre breton ce gredin d’Urbain François Le Bihan, Sieur de Kervoac !
Bibliographie
Satori à Paris, Jack Kerouac, Editions Gallimard, 2007, 186 pages
Jack Kerouac, Breton d’Amérique, Patricia Dagier et Hervé Quéméner, Editions le Télégramme, 2009, 206 pages
Jack Kerouac, de l’Amérique à la Bretagne, Patricia Dagier et Hervé Quéméner, Editions le mot et le reste, 2019, 186 pages
Traduction en langue française du courrier de Youenn Gwernig à Jack Karouac
Youenn Guernic
2386 Ryer Avenue
Bronx, New York 10458,
3 juillet 1967
Salut, vieux Chouan,
Comme tu le sais, ton cas sera présenté devant la Cour Suprême de Son Excellence George de Kadoudal, Général de toutes les Armées Bretonnes Souterraines, et je laisse la sentence à son bon vouloir, car mon frère est mon frère, et je ne dirai jamais de mal ni ne ferai de tort à son corps, que Dieu m’en soit témoin. De toute façon, ils s’en fichent complètement.
Alors, tu ne viens pas ? Eh bien, je suis très déçu, je vais devoir m’amuser tout seul. Mais, bien sûr, je comprends tes raisons, et ce n’est qu’une “partie remise”. Et peut-être que ce sera pour le mieux, puisque la Bretagne est franchement horrible en été avec tous ces touristes qui débarquent (et dégagent une vapeur insupportable), exposant, blablatant sans fin, et foutant le bordel partout : c’est pire que New York City. Le meilleur moment pour visiter la Bretagne, pour vraiment vivre la Bretagne, c’est au printemps ou en automne, parce qu’alors il n’y a que des Bretons, et les choses sont encore supportables pour un étranger. L’hiver en Bretagne est affreux, je l’aime bien, mais je pense qu’il faut y être né pour l’apprécier.
De septembre à juin, tu peux te promener tout autour des côtes de Bretagne sans rencontrer une âme, juste par hasard un ramasseur d’algues ou un pêcheur (même si ce sont peut-être des fantômes). Mais l’été, tu ne veux pas voir débarquer un imbécile civilisé blablateur.
J’espère seulement que tu ne viendras pas entre le 11 juillet et le 1er août, car je serai parti. Je dois y aller, tu vois. Mes enfants ont besoin de moi, et j’ai besoin d’eux. Ces vieilles vipères dégoûtantes, je les déteste, mais je dois faire avec. C’est la seule chance dans l’année où je peux être avec eux. Je ne suis pas maître de mon temps, mon indépendance n’est qu’une illusion. Mais dès que j’aurai réglé mes dettes, j’enverrai tout balader… À la liberté, ô liberté… Et avant d’être esclave, je serais enterré dans ma tombe… Et rentrer chez moi en Seigneur et en Homme Libre. Ah! Ah! Ah! Nous sommes des nègres de toute façon. Et nous renverserons les tyrans : Vive la Révolution !
Je t’aurais écrit il y a longtemps, mais je devais écrire une gwerz (une sorte de long poème épique) sur le pétrole du Torrey Canyon qui a souillé les côtes de Keltia (Cornouailles, Pays de Galles et Bretagne) en breton celtique, bien sûr, et qui sera chanté partout en Bretagne cet été. En plus, je devais repeindre une chambre et réparer des lits, car j’accueille un groupe d’étudiants bretons ce samedi. Ils sont fauchés et veulent visiter l’Amérique.
Kenavo va breur, Feiz ha Breiz, ha Breiz Atao
Traduction en langue française de courrier de Jack Kerouac à son ami Youenn Gwernig
29 février 1967
271 Sanders Ave.
Cher Youenn, mon vieux cul,
Oh, cette machine à écrire suisse Hermes me rend complètement fou ! Demain, je vais sortir et louer une bonne vieille Royal Standard… J’allais t’écrire une lettre il y a une heure, mais j’étais en train de bidouiller celle-ci, avec ce nouveau ruban, tout ce charabia, mais maintenant, peu importe, et tu peux voir comment ton nom est écrit sur l’enveloppe. Bon. La marde. Je t’envoie une coupure sur les restaurateurs bretons de N.Y…
Voici le topo : tu penses que je suis paresseux, que je ne t’aime pas, etc. Mais la nuit dernière, j’ai terminé une adaptation complète d’un de mes romans en scénario, et demain je commence à le taper en format lisible pour les lecteurs et les producteurs. En plus, je ne savais pas quoi te dire, parce qu’entre nous, Calvert, je ne veux pas me marier dans une ou l’autre église, je suis satisfait avec la légalité de mon mariage déjà. Je ne veux pas me faire fourrer dans un SUIT, avec des centaines de personnes autour, et toute la DÉPENSE de cette maudite journée entière ! Bon. Viens me voir de toute façon.
Juste pour bavasser. Ma chambre est toute bien arrangée, mes livres prêts à lire. J’espère faire un peu d’argent avec le film, construire une “clôture”, un escalier de bois aussi de ma chambre (en haut) en bas à la cour. J’aime les frères de ma femme, mais pas ses bonnes sœurs et ses amis, Christ, il y a n’a une centaine !
Mémère va bien, et toutes les fois qu’on pense de toi, à rire (Ridi Pagliacci !). (Excuse mon français). (Merdeux). … Ma mère t’aime et regarde les visites avec “la joie”.
Ne le prends pas mal (ne sois pas triste, je veux dire). Comme tu l’as dit (calvert) dans ta dernière lettre, le grand vieux Youenn est un bonhomme et le bon Dieu lui-même t’aime “jusqu’au bout de la nuit et au commencement du matin”. … Ça, ça m’a été conté au ciel. … Cet été, tu seras chez toi, tu verras ta femme, tu seras heureux à nouveau… Viens me voir d’abord.
Et rappelle-toi, je te le promets, je dois voir la Bretagne avec toi pour la première fois… À Quimper. On verra si ce foutu Time Magazine peut se moquer de ce qu’on trouve sur les pirates Lebris de Kerouac cette fois ! Déjà, depuis que mon livre est sorti, il y a de l’intérêt au Canada ? Ce nom ? Une seigneurie au Québec ? Ha ha ? Pouah. Ce que je veux vraiment, c’est que tu me montres une auberge au bord de la mer en Finistère où on pourra enfin écrire La Mer Partie II l’Atlantique au Finistère, à minuit, et où on pourra boire, chanter, parler, voir les gens, conduire, marcher, manger des crêpes bretonnes, bon. Youenn, avec cette nouvelle maison, femme, mère malade, gros loyer, je dois faire de l’argent maintenant pour être un explorateur itinérant du monde, et c’est pourquoi j’étais occupé…
Et maintenant, le 1er mars, je commence mon nouveau roman et j’espère le terminer en 21 jours… Taper prendra 60 jours parce que taper, c’est lent et ennuyeux. Bon. Un homme gentil comme vous, Monsieur, c’est un honneur de te connaître et de te voir fumer ta maudite pipe !
Comme le magicien !
Marde au Calabrais !
Ti Jean
Pour continuer la route avec Jack Kerouac, un conseil de lecture.
Sad Para