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Proust et le goût de la Bretagne
De Marcel Proust (1871 – 1922)
Pour accompagner la lecture de cet article, soleil d’automne à 17 mn 21 : Hahn : Complete Piano Music
Marcel Proust en Bretagne.
Dans le Guide Touristique, Bains de Mer en Bretagne de 1895, il est précisé que la Nouvelle Compagnie de Navigation de Concarneau, créée cette même année, assure quatre traversées Concarneau – Beg Meil en moins de trente minutes, par le vapeur LENA, au prix de 1 franc.
Le 8 septembre 1895, Marcel Proust et son ami le musicien et chanteur Reynaldo Hahn (1874 – 1947) débarquent à Beg Meil aux environs de Fouesnant (29).
« Un pays enchanteur, en dehors du monde, une terre de beauté, mélange de poésie et de sensualité … Beg Meil est la plus noble, et douce, et délicieuse chose que je connaisse …«
Marcel Proust et Hahn ont quitté Paris le 04 Septembre.
Le chemin de fer relie Paris à Quimper depuis 1863. À cette époque paraissent les premiers guides touristiques vantant les splendeurs de la mystérieuse Bretagne. De belles affiches glorifient les stations balnéaires naissantes. Des hôtels particuliers sont bâtis. Sur les plages sont construites, pour les baigneurs encore pudiques, des cabines multicolores. Des pins maritimes sont plantés et donnent à certains rivages bretons des allures d’estampes japonaises.
Du 05 au 07, Proust et Hahn sont à Belle Ile en Mer chez Sarah Bernhardt.
Lorsque les deux amis parviennent à Beg Meil les sept chambres de l’Hôtel Fermon sont occupées.
Qu’importe ! Ils seront temporairement logés à l’Hôtel de la Plage. Quelques jours plus tard, deux chambres se libèrent et nos compères sont transférés au Fermon, qui n’est encore qu’une modeste pension de famille, futur Hôtel des Bains et futur Grand Hôtel.
Les conditions y sont encore rudimentaires.
« N’existent pas même de cabinets, et je vous assure que rien n’est irritant comme l’excès de zèle des orties qui veulent faire les indispensables …«
Les bâtiments, quelques peu défraichis, accueillent aujourd’hui Agro Campus Ouest !
Marcel Proust et Reynaldo Hahn tombent immédiatement sous le charme de la petite station balnéaire. La correspondance abondante de Proust atteste de ce puissant engouement. Marcel Proust et Hahn, citadins et mondains, apprécient la quiétude et la simplicité de cette contrée.
C’est Hahn qui a initié ce voyage en Bretagne, Proust lui ayant confié quelques temps plus tôt son aspiration à visiter ce pays si cher à Ernest Renan (1823 – 1892) à qui il voue une adoration. Une véritable aventure pour le petit Marcel – c’est ainsi qu’on le surnomme – qui est de santé fragile ; il souffrira de crise d’asthme tout au long de son existence. C’est un vieil ami des parents de Proust – André Bénac – qui a recommandé pour son bon air et son ensoleillement Beg Meil au jeune homme. Il y possède la grande ferme de Kerengrimen.
« Maintenant, je suis à Beg Meil, Hôtel Fermon, une sorte de ferme transformée où l’on dîne en plein air, sous les pommiers qui laissent voir la mer entre leurs branches, guère fréquenté que par quelques peintres qui toute la journée se promènent sur la mer ou peignent à des lieux. On prend des repas dignes d’être servis entre les colonnes de marbre de grands hôtels suisses …«
Que font les deux amis à Beg Meil ?
Ils flânent un peu et rêvassent beaucoup. Ils descendent quotidiennement vers la Cale puis empruntent sur la droite le chemin des douaniers qui les conduit jusqu’au promontoire et jusqu’au sémaphore.
« Pour monter jusqu’au promontoire, je suis le long de la baie un sentier tracé dans la fougère, le genêt, la bruyère et l’ajonc, qui suit la baie à pic, comme un talus fleuri qui longe un chemin creux …«
En contrebas des petites falaises, ils découvrent de charmantes criques baignées par les eaux turquoise, puis un petit massif dunaire, où souvent, ils se réfugient à couvert des risées océaniques. Ils y lisent ou relisent Balzac et Carlyle. Aux abords du chemin, deux menhirs ! Proust se passionne comme nombre de ses contemporains pour le monde celtique et une discipline relativement nouvelle nommée Archéologie.
« Je trouve très raisonnable la croyance celtique que les âmes de ceux que nous avons perdus sont captives dans quelque être inférieur, dans une bête, un végétal, une chose inanimée, perdues en effet pour nous jusqu’au jour, qui pour beaucoup ne vient jamais, où nous nous trouvons passer près de l’arbre, entrer en possession de l’objet qui est leur prison. Alors elles tressaillent, nous appellent, et sitôt que nous les avons reconnues, l’enchantement est brisé. Délivrées par nous, elles ont vaincu la mort et reviennent vivre avec nous …«
Le goût de la Bretagne
Proust est bien sûr sensible aux paysages et aux atmosphères et aussi aux parfums puissants de la laisse de mer et des pommes qui mûrissent.
« L’odeur du goémon est noyée dans l’odeur plus vive des pommes vertes et de pommes rouges tombées à terre … Je monte longtemps un chemin creux entre les talus élevés au pied desquels ont poussé de grand arbres. Leurs feuillages rougis des feux paisibles de l’automne que chaque soir le soleil couchant revient enflammer …«
Le jeune homme se sentant de mieux en mieux – il ne fera pas une seule crise durant ce séjour – est soudain pris d’une irrépressible envie d’écrire. Il se plaint cependant du manque de papier de cette contrée sauvage le contraignant à écrire sur des cahiers scolaires ou sur du papier à entête. Proust songe à une étude sur la Bretagne, mais très vite, c’est une sorte de roman autobiographique qui se dessine sous sa plume.
Le roman inachevé …
Ce roman, inachevé, c’est Jean Santeuil qui ne sera publié que trente années après la disparition de son auteur.
J’étais venu passer avec un de mes amis le mois de septembre à Kerengrimen, aujourd’hui petite station bretonne qui n’était alors en 1895 qu’une ferme loin de tout village, dans les pommiers au bord de la Baie de Concarneau …«
Jean Santeuil est souvent considéré par les proustologues et proustophiles comme une ébauche de sa grande œuvre à venir.
A la Recherche du Temps Perdu écrite de 1906 à 1922. Beg Meil y devient Bec Meil, et deviendra plus tard, dans la Recherche, la station balnéaire de Balbec en Normandie. Certains jours, Proust demeure au sémaphore pour y écrire sous le regard amusé des deux gardiens avec qui il a sympathisé. Entre deux séances d’écriture, et lorsque la météorologie est clémente, Proust, tout emmitouflé dans des manteaux et de couvertures, apprécie aussi les longues sorties en mer, en Baie de Concarneau.
« Après le déjeuner, je pars en barque avec Pierre …
« … Nous avons des couvertures pour si le temps change. Je m’étends de tout mon long et quelquefois je finis par m’endormir. Quand je me réveille, je suis tout heureux de me retrouver en pleine mer. “Ah ! j’ai bien dormi.” Je me secoue, et pris de besoin d’activité je jette les filets, je rame si l’on a baissé la voile. Nous revenons au clair de lune. Ah ! quand je descends de la barque, je me sens froid aux pieds ! Je marche vite et je ris dans le vent et la nuit en apercevant de loin à travers les pommiers le feu et la lampe du dîner qui m’attend. Je m’installe à table, joyeux, me frottant les mains, ébloui par la lampe, pressé de dîner. La servante reste immobile devant moi comme une amie pour épancher ma joie, je lui raconte ma pêche, et lui recommande de me bien préparer mon lit …‘
Proust rencontre aussi à Beg Meil, le peintre américain Thomas Alexander Harrison (1853 – 1930) qui servira de modèle au peintre Elstir dans La Recherche du Temps Perdu. Lui aussi loge à l’Hôtel Fermon. Cet amoureux de la Bretagne passera la plus grande partie de son existence entre Concarneau et Pont Aven. De 1883 à 1887, il loue aux environs de Beg Meil, une maison délabrée, et en cet automne 1895, un atelier dans la Ferme de Kerengrimen. Il y produit de nombreuses marines.
« J’adore Beg Meil qui d’ailleurs n’est qu’un clôt de pommiers versant sur une baie où il est exquis de vivre. Et si vous allez un soir, en barque depuis Beg Meil à Concarneau, vos rames éparpilleront sur l’eau éblouissante et morte toutes les couleur du soleil couchant …«
Octobre tire à sa fin.
Les premières journées automnales attristent Proust et Hahn. Les deux amis songent à rentrer à Paris.
« L’automne s’avance et nous sommes maintenant seuls dans l’hôtel … Je quitte Beg Meil. Je dis adieu à la mer, puis je dis adieu à l’aubergiste, à la servante, je la charge de dire adieu au mousse qui m’a si souvent conduit et qui, à cette heure, est à la pêche. Des choses que j’ai tant aimées, à l’adoration desquelles j’ai consacré pendant deux mois toutes mes heures, je ne peux penser que c’est maintenant de la tendresse à jamais perdue, que c’est fini de ces choses …«
Proust et Hahn quittent donc à regret Beg Meil le 27 octobre 1895.
Comme en atteste sa correspondance, Proust évoquera régulièrement son désir de revoir Beg Meil.
En 1904, il écrit ainsi,
« J’adore Beg Meil où il est exquis de vivre … »
Le 09 août 1904, Proust est au Havre.
Il embarque pour une croisière à destination de la Bretagne. Le 14 août, il est à Dinan, mais souffrant de terribles crises d’asthme, il doit rentrer en urgence à Paris. En 1912, il évoque encore Beg Meil : « Il est vaguement question que je loue en septembre une maison dans le petit Beg Meil …«
À sa très chère gouvernante, Céleste Albaret (1891 – 1981), en 1914, il dit ceci : « ce que j’aimerais y retourner … Peut – être, si je vais mieux on ira tous les deux, je voudrais que vous voyiez ça …« »
Iconographie
Portrait de Marcel Proust par Otto Wegener vers 1895
Portrait de Reynaldo Hahn. Collection privée de Mme Eva de Vengohechea. 1902
Marine la nuit de Thomas Alexander Harrison – Musée de Quimper. 1895
Bibliographie
Marcel Proust à Beg Meil, Éditions PDM, Philippe Dupont – Mouchet, juillet 2021, 288 pages