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Les interviews* de NHU Bretagne : Philippe ARGOUARCH de l’ABP Agence Bretagne Presse.
Bonjour Philippe ARGOUARCH, et merci beaucoup d’avoir accepté notre demande d’interview et de nous recevoir au siège de l’ABP Agence Bretagne Presse.
On sait le travail que représente de faire vivre notre média NHU Bretagne depuis trois ans. Nous imaginons donc très bien ce qu’ont dû être les quinze années de fonctionnement de l’ABP Agence Bretagne Presse. Quinze années qui font de l’ABP Agence Bretagne Presse le média internet breton le plus expérimenté.
Philippe, quand et comment vous est venu cette idée de créer un média pure player totalement dédié à la Bretagne ?
En fait ABP a commencé par une rubrique du ex-site bretons. org qui était le site de l’association des Bretons de Californie que j’avais fondée dans les années 90 alors que je travaillais là-bas. Je recevais des communiqués à mettre en ligne et ne sachant pas quoi en faire j’avais créé la rubrique, par dérision de l’AFP, qui ne passait pas ces communiqués, « Agence Bretagne Presse ».
Et puis, il y avait cette radio rock à San Francisco KFOG qui répétait tous les jours « if you dont like the news, make you own« . Une idée qui a commencé à me trotter dans la tête. Un peu comme NHU (Ni Hon-Unan en breton), sinn-fein en gaélique, nous-mêmes… faites vos actualités vous-mêmes !
La bulle internet …
Enfin, après la « bulle internet » des années 2000 j’ai eu l’occasion de revenir travailler en France pour l’International Herald Tribune à Paris. J’y ai vu comment la version d’un journal en ligne fonctionnait de a à z. Je me rapprochais du monde journalistique, côtoyait des journalistes de renommée internationale et fut confronté aux problèmes et à la logistique de la presse en ligne alors qu’elle était en plein boom. C’est aussi à ce moment que je suis devenu expert dans le langage de programmation PHP le moteur essentiel du web.
La PQR.
Regardant la PQR bretonne (Presse Quotidienne Régionale) dans les kiosques parisiens, j’ai trouvé ces journaux dépourvus d’informations adéquates sur la Bretagne (il y a eu une évolution positive depuis). Et surtout, il n’existait aucun média couvrant l’intégralité de la Bretagne, les cinq départements. Sauf deux mensuels, ARMOR ET ARMEN dont un a aujourd’hui disparu. Les blogs n’existaient pas encore. L’internet offrait la possibilité de créer un média pure player de toute pièce. C’est ce que j’ai fait durant l’été 2003. Le site à été lancé en Octobre 2003 et entrera dans sa quinzième année en octobre prochain.
ABP a été le premier webmédia en Bretagne.
A une époque où des formats comme WordPress sont devenus très courants et aisés d’usage, pourquoi continuez-vous à coder ?
Tout simplement parce que le connais le code de mon site par coeur et je peux le changer à tout moment pour le fignoler ou développer de nouveaux produits. Coder ou débuguer maintient aussi mes capacités intellectuelles. C’est une formidable gymnastique de l’esprit.
Le CMS WordPress dont vous parlez, contrairement à ce que le nom indique, n’est pas un « Content Management System » (CMS) dédié à des sites depresse. Il s’adresse à la construction de n’importe quel site web et il serait le moteur de 30% de tous les sites web existant aujourd’hui. J’ai développé pour ABP un CMS structuré uniquement pour un site de presse. Il est léger et puissant et je le mettrai sans doute Open Source si je trouve le temps et s’il y a une demande.
WordPress ou coder ?
WordPress a aussi des problèmes de sécurité et est très lourd à télécharger et à modifier vu toutes les options et sa structure programmatique objet. Construit initialement pour permettre aux non-programmeurs de modifier un site web sans aucune connaissance technique, beaucoup refusent de s’investir dans son fonctionnement ou ne comprennent pas son interface.
Pouvoir contrôler son code c’est quand même plus sympa que de dépendre d’une centaine de programmeurs aux États-Unis. C’est ma vérité sur ce sujet, mais j’admets que WordPress permet aux PME de ne plus s’inquiéter du départ abrupte du webmaster ou de payer des sommes conséquentes à des agences de développement web pour maintenir un site web.
Quelques chiffres concernant l’ABP Agence Bretagne Presse au bout de quinze années d’existence ?
Le grand moment de l’ABP fut la période des Bonnets Rouges car toute la presse nationale et beaucoup de Français cherchaient à comprendre ce qui se passait ici chez nous. On est passé de 3000 sessions par jours à plus de 15000 durant cette période insurrectionnelle. Depuis, on est redescendu à 7000. D’abord parce qu’on est plus seuls.
Il y a d’autres webmédias en Bretagne. Et surtout beaucoup regardent les titres de presse sur les réseaux sociaux. On ne va plus sur ABP ou un autre média, pour y voir ce qu’il y a de nouveau, mais uniquement pour y lire un article dont on a pris connaissance de l’existence via les réseaux sociaux.
Du contenu, du contenu …
Dernièrement, on a eu moins de contenu. Mais on remonte la pente depuis le mois de Février. On a aussi moins de chroniqueurs, donc aussi moins de contenu. Nos journalistes ne sont pas salariés. Ce sont souvent des retraités qui rejoignent la rédaction et ils finissent par réduire leurs activités un jour ou un autre. Certains sont aussi tombés malades.
Mais là, on aborde la problématique très complexe du financement d’un média et cela pourrait faire l’objet d’un article entier. On cherche des contributeurs, voire des contributions occasionnelles.
Existe t-il des sujets que l’ABP Agence Bretagne Presse se refuse de publier, et si oui lesquels et pour quelles raisons ?
Oui. Dans la ligne éditoriale que les rédacteurs doivent signer, on doit reconnaitre une Bretagne à cinq départements. Par contre on publie des communiqués de la région administrative ou autres collectivités à quatre départements mais les cartes B4 ne sont pas publiées.
Je tiens à préciser que je ne crois pas à la prétendue objectivité de la presse. Un média est toujours subjectif à commencer par le choix des sujets abordés. Vous avez déjà vu un titre, ou encore moins un dossier de Ouest-France ou du Télégramme « Où es est l’indépendantisme en Bretagne ? » Ou même « Où en est la réunification de la Bretagne ?
Personne n’est objectif même si on s’en tient aux faits.
Même si le dit média est doté de journalistes « professionnels ».
Le mieux que l’on puisse faire c’est vérifier les faits et les déclarations des uns et des autres. Tout le reste est interprétation subjective. D’ailleurs sur ABP on classe presque tout en « chroniques », un genre dont la subjectivité est admise. ABP est devenu une sorte d’hebdomadaire en fait, avec les analyses des uns et des autres, les communiqués étant des analyses collectives de partis ou d’associations, les chroniques, des analyses individuelles.
L’objectivité ?
L’intérêt d’un semblant d’objectivité au sein d’une rédaction c’est d’éviter trop de contradictions, voire de contrariétés au sein d’une équipe. Si un rédacteur qui est aussi le rédacteur en chef défend l’agro-business tandis qu’un autre, lui ou elle, ne fait aucun cadeau à cette industrie ça risque de ne pas marcher au sein de l’équipe !
Théoriquement, un média peut présenter des points de vues différents voire opposés mais finalement les conflits éclatent et c’est arrivé dernièrement à ABP avec le départ d’une contributrice qui a écrit plus de 1000 articles. C ‘est un peu un miracle qu’ABP ait pu fonctionner toutes ces années avec des rédacteurs souvent de milieux politiques très différents. Le but de la plateforme ABP était d’ailleurs une « intégration » que le monde politique breton n’avait jamais réussi à faire.
On publie toujours à la fois les communiqués de Paul MOLAC et ceux de Marc LE FUR. Mais on ne publiera pas un communiqué du Front National tout simplement parce que c’est un parti anti-Bretagne. Et oui on a une ligne éditoriale régionale régionaliste. Pour rappel, ABP n’est pas une agence de presse malgré son nom. Les services de presse parisiens nous classent « régional régionaliste ».
Vivre, travailler et décider au pays.
Même si je suis partisan moi-même du bio et du zéro déchet et des circuits courts, ABP est pro agro-business car c’est un tiers des emplois en Bretagne. La crise est trop grave pour qu’on les enfonce plus. Il y a beaucoup de suicides. Donc il n’est pas question d’attaquer les emplois en Bretagne pour que nos enfants deviennent des garçons de cafés devant des plages impeccables sans jamais une seule algue verte échouée. Donc oui, on a des prises de positions. ABP défend le principe « Vivre, travailler et décider au pays », ça pourrait même être notre ligne éditoriale inscrite en haut de la page d’accueil.
Durant ces quinze années, votre meilleur souvenir … et le pire ?
Je ne sais pas pourquoi mais les mauvais souvenirs m’arrivent d’abord. Des lettres recommandés annonçant des procès en diffamations. Très stressant pour un petit média avec presque pas de ressources. A un moment, j’avais la hantise des diffamations. Avant l’internet c’était un moyen de pression pour éliminer des petits médias gênants.
Découvrir qu’un des rédacteurs travaillait aussi comme informateur de police. C’est arrivé deux foiset c’est aussi assez choquant. Aussi, découvrir que le domaine agencebretagnepresse. com avait été racheté par un revendeur japonais. Suite à une erreur de comptabilité.
Prix de vente actuel $3300.
Des centaines de liens y compris dans des livres imprimés ont été invalidés d’un seul coup. Découvrir un matin un bataillon de l’armée syrienne marchant au pas cadencé et chantant un hymne arabe très martial sur la page d’accueil de l’ABP est certainement un hack cauchemardesque mais c’est arrivé. L’histoire de l’ABP en fait pourrait faire l’objet d’un livre ..
Les bonnes nouvelles ?
Avoir reçu le Collier de l’Hermine qui est pour moi une reconnaissance du rôle de l’ABP dans l’information en Bretagne.
Vous avez des projets, croit-on savoir, pour améliorer encore la diffusion de l’ABP Agence Bretagne Presse. S’il vous plaît pouvez-vous nous en parler ?
Oui j’ai des projets en cours mais pas directement pour améliorer la diffusion d’ABP. Il y a deux projets toujours en cours lancés en 2017. L’un est un BOT (mot américain venant de robot qui désigne un logiciel qui scanne les sites web. Le plus connu étant le Googlebot qui scanne l’internet dans son entièreté en permanence). Ce sont des robots car normalement pour aller sur un site web vous cliquez, une intervention humaine donc, alors que le bot est programmé pour y aller discrètement, régulièrement, à des heures programmées à l’avance.
Le ABP Bot
L’ ABPbot va à la pêche aux communiqués toutes les heures sur une cinquantaine de sites d’ associations bretonnes ou de partis politiques bretons munis d’un flux RSS ce qui est le cas des sites WordPress mais pas que. Les communiqués sont ensuite republiés sur le site de l’ABP. A ce sujet nous prévenir si l’ABPbot a oublié votre site web.
La Revue de de presse bretonne chaque matin.
L’ABP a aussi lancé l’année dernière la « Revue de presse bretonne ». Une newsletter du matin qui est construite par un autre BOT qui scanne la presse francophone du monde. Tout en filtrant tout ce qui parle de la Bretagne ou parle de sujets d’actualités sur des sujets connexes comme la Catalogne et la Corse. Plus de 1000 médias y compris des télévisions sont sondés plusieurs fois par jour.
La suite ? un autre projet ! Un nouveau site en partie payant dont les recettes seront destinées à financer ABP. Mais je l’avoue, je n’aurais pas assez d’une vie pour accomplir tout ce que je veux faire. Le temps est la chose la plus précieuse, on découvre ça une fois sa jeunesse passée.
Selon vous, comment se fait-il que la presse internet bretonne soit autant morcelée, et quelles sont les raisons de ce qui semble être une impossibilité de regroupement pour peser plus dans le paysage et donc mieux diffuser une autre vision de l’information en Bretagne ?
Il y a d’abord cette tradition en Bretagne du dédoublement (faute à l’individualisme ?). De penser que l’on peut faire mieux que ce qui existe. Et donc de repartir à zéro mais c’est pas forcement négatif. On notera toutefois que beaucoup de nouveaux webmédia bretons lancés en grandes pompes n’ont duré que quelques mois. Voire un ou deux ans. 7seizh a duré cinq ans.
Votre média NHU Bretagne occupe un créneau prometteur et des coopérations sont possibles. En fait on coopère déjà sur le projet de www.brittany-news.bzh. Mais sincèrement on est pas tant que çà. Surtout que Facebook monopolise trop le temps et les mots des Bretons et cette actualité sur Facebook n’est ni archivée proprement ni accessible aux moteurs de recherches.
Réduction de l’offre média.
Ne pas oublier qu’il y avait plusieurs douzaines de journaux en Bretagne il y a cinquante ans. La PQR et surtout Ouest-France ont racheté des tas de feuilles locales. Y compris Presse Océan. C’est ce qu’on veut pour la presse en ligne ? Une concentration ? J’en doute. La liberté de la presse s’appauvrit avec la disparition de la diversité. Même si l’internet est différent et permet de couvrir la Bretagne entière sur un seul site web. Cela demande plus de ressources et plus de rédacteurs, des correspondants locaux. Et aucun webmédia n’a les ressources pour le faire aujourd’hui et aucun site ne peut en racheter un autre comme pouvait le faire la presse papier.
Philippe ARGOUARCH, nous vous remercions de votre accueil, et souhaitons encore, et au moins, quinze prochaines belles années à l’ABP Agence Bretagne Presse
* Interview se dit Penned-kaoz en breton.