train de nuit Bretagne

Le train de nuit en Bretagne, un long déclin suivi d’un renouveau ?

de Iwan LE CLEC'H
Publié le Dernière mise à jour le

Des premiers trains de nuits peu performants.

Les premiers voyages en trains étaient longs. Ainsi, pour les voyages entre deux villes éloignées pouvaient générer des temps de trajet supérieur à vingt-quatre heures. Rapidement, sous l’effet des projets technologiques, de l’amélioration des infrastructures et du matériel, mais également en raison des contraintes financières, les liaisons furent rationalisées.

Ainsi, en 1900, trois itinéraires principaux de trains de nuits reliaient les gares parisiennes (1) aux villes bretonnes. Dont Paris – Rennes – Brest, Paris – Châteaubriant – Quimper ; Paris – Orléans – Le Croisic. En 1914, la Compagnie de l’Ouest (2) fait rouler deux trains de nuit entre Paris et Brest (3). Le premier partait alors de Montparnasse à 20h00 pour arriver à 6h45 dans la cité du Ponant (4) après avoir marqué onze arrêts (5). Le deuxième quittait la gare de la capitale à 20h43. Il arrivait à Brest à 13:04 et trente trois stations (6) plus tard (7). Enfin, un troisième train partait de Paris vers minuit et reliait Rennes (8). Après sept heures de trajet (9).

A ces liaisons nocturnes tournées vers Paris, il convient d’en rajouter trois autres : Brest – Nantes – Lyon ; Nantes – Bordeaux (10) et Le Mans – Châteaubriant – Redon qui permettait de maintenir le désenclavement de toute une région à cheval sur la Bretagne et le Maine (11).

Les années 1960 et 1970, l’âge d’or du train de nuit.

Au cours de ces deux décennies multiplication des branches, permet l’optimisation de services prisés par les classes populaires. En Bretagne, deux lignes majeures (Paris – Rennes – Brest et Paris – Nantes – Quimper) vont drainer leurs flots de voyageurs. L’été Dinard (12), Saint-Malo, Lannion, Roscoff, Quiberon, Le Croisic, Pornic (13) bénéficieront des renforcements de liaisons nocturnes vers Paris. En 1973, Nantes bénéficie d’un service direct vers Marseille, Nice et Vintimille.

Au cours de cette même décennie, des trains de neiges seront mis en service entre les principales gares Bretonnes et les stations de sport d’hiver des Alpes et des Pyrénées. Cette même année, un train de nuit relie également de façon hebdomadaire Brest à la gare … de l’Est. De la même façon, Quimper et Nantes sont reliées à Metz et Strasbourg à raison d’un service par semaine.

Mais déjà, les premières dessertes disparaissent sous l’effet de politiques de rationalisation.

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Les trains de nuit en Europe continentale

Les années 1980 et 1990, l’arrivée du TGV et l’accélération de la fin.

En 1980, les liaisons entre Quimper et Nantes/Le Croisic d’une part, Vichy et Lyon d’autre part, sont rationalisées mais proposent désormais des service auto-train en gare d’Auray et de Nantes. Au nord de la péninsule, la gare de Saint-Brieuc permet également aux automobilistes de conjuguer voyages longue distance et repos.

Certaines des voitures de ce ou ces trains (14) étaient également prolongées jusqu’à Brest. Pourtant, dès 1986, cette liaison vers la cité du Ponant cessera de fonctionner de façon quotidienne. L’arrivée du TGV en Bretagne en 1989 marque une nouvelle étape. Ainsi, au cours de l’hiver 1994/1995, les trains de nuits Paris-Brest et Paris-Quimper sont réduits à deux circulations hebdomadaires (15). En 1997, la dernière desserte Brest – Lyon cesse.

Les années 2000 et 2010, la disparition des derniers trains de nuits en Bretagne.

En 2001, le train de nuit Quimper – Bordeaux – Toulouse voit ses fréquences de circulations réduites aux seules nuits du vendredi au samedi et du dimanche au lundi et cesse de desservir la cité du Capitole en 2003. En juin de cette même année, les derniers Paris – Brest et Paris – Quimper de nuit effectuent leurs dernières circulations après plus d’un siècle de bons et loyaux services.

Le service Quimper – Bordeaux sera quant à lui supprimé en 2004. L’année suivante, c’est le Quimper – Lyon qui voit ses capacités réduites tout comme ses fréquences en période hivernale. En 2009, l’ex « Rhône-Océan » ne dessert plus Bourg-Saint-Maurice et Grenoble l’hiver. L’été, il ne relira plus Genève et limite désormais à la liaison Quimper – Lyon. Le service cessera de fonctionner l’année suivante, en même temps que l’ex « Océan-Riviera » qui reliait Nantes et Nice. La Bretagne ne compte alors plus de trains de nuits à proprement parler.

Aujourd’hui, dernier vestige de cette glorieuse épopée, ne subsiste plus que le TGV qui, la nuit du dimanche au lundi, relie Paris Montparnasse à Saint-Brieuc, Guingamp, Morlaix et Brest.

Des situations contrastées aux quatre coins de l’Europe mais une dynamique globale indéniable.

A l’échelle européenne, la Bretagne est loin de connaître une situation isolée. Ainsi, seuls de rares territoires bénéficient encore d’un service public national ferroviaire nocturne. Il va principalement s’agir d’espaces périphériques : la Laponie suédoise, l’Écosse, les Cornouailles britanniques mais également les villes françaises de Briançon, Rodez, Albi ou encore Foix.

La desserte de ces trois dernières cités s’effectue par le biais d’un train de nuit multitranches qui, outre Toulouse, relie également Paris à Port-Bou grâce à un accord de cofinancement signé par la région Occitanie. Si le public transporté est varié (une majorité de touristes en Scandinavie, principalement des personnes voyageant pour le travail en Grande-Bretagne), il s’inscrit dans le cadre d’une demande de plus en plus forte de voyages « écologiques », moins polluants que des trajets effectués en avion ou en voiture.

C’est dans ce contexte qu’ont lieux la baisse de la fermeture de services ferroviaires nocturne et le développement continu du réseau européen des trains de nuits. Ainsi, l’opérateur espagnol

RENFE a récemment renoncé à stopper certains de ces services de « trenhôtel ».

De la même façon, la compagnie autrichienne ÖBB a su tirer profit de l’arrêt de services de trains de nuits opérés par la Deutsche Bahn et les Chemins de Fer Fédéraux Suisses. Après une rationalisation des services de façon à permettre une rentabilité de l’exploitation des lignes, le réseau de la société basée à Vienne connaît un succès de plus en plus important, année après année. S’inscrivant dans le cadre d’accord avec les compagnies des pays voisins, ÖBB et ses « Railjets » relient depuis cette année Bruxelles et Lièges à l’Autriche.

Et la société n’entend pas s’arrêter là. En effet treize nouvelles liaisons sont programmées d’ici 2022. Dont un service entre Paris et Vienne. De son côté, le gouvernement suédois (16) et français ont annoncé vouloir relancer des services de trains de nuits. Pour l’heure, il s’agirait de la reprise d’ici 2022 des lignes reliant Paris à la Côte d’Azur, d’une part, et aux villes situées au nord-ouest des Pyrénées, d’autre part. Néanmoins, cette dynamique va au delà de ces deux annonces. En effet, la société coopérative Railcoop basée à Figeac, projette l’exploitation d’un train nocturne entre Bordeaux et Lyon pour 2022.

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Train de nuit en gare de Kiruna en Laponie

Et en Bretagne ?

Si aucune de ces annonces ne concerne directement la Bretagne, l’avenir à court terme pourrait bien être totalement différents. Ainsi, Railcoop, toujours elle, envisage de faire circuler deux trains quotidiens entre Rennes et Toulouse via Le Mans, Tours, Poitiers et Limoges. Si la demande s’avérerait être au rendez-vous et selon les retours d’expériences de l’exploitation de la ligne Bordeaux – Lyon, la circulation d’un train supplémentaire arrivant le matin à Toulouse (ou à Rennes) pourrait être une hypothèse plus que recevable.

Par ailleurs, en 2020, les lignes Nantes – Bordeaux et Nantes – Lyon bénéficieront d’une évolution de leur offre. L’opérateur qui remportera l’appel d’offre actuellement en cours pourrait très bien de lui-même, ou sur demande de l’État, mettre en place un train de nuit reliant ces différentes destinations.

Enfin, de nombreuses voix se font entendre pour réclamer la relance de ce type de liaisons.

Ainsi, huit candidats aux élections municipales dans différentes villes de la péninsule se sont prononcés en faveur de ce mode de transport (17). A l’échelle nationale, le collectif « Oui au train de nuit ! » prône la création d’une trentaine de nouvelles lignes.
Dont quatre desserviraient la Bretagne :
– Quimper – Nantes / Brest – Rennes – Saint-Sébastien/Barcelone
– Rennes – Nantes – Francfort/Amsterdam
– Brest – Nantes – Zurich/Vintimille
– Nantes – Saint-Sébastien/Vintimille.

Pour quel intérêt ?

Sur des trajets pour lesquels le TGV s’avère performant, la mise en place d’un train de nuit n’est d’aucune utilité. Bien avant l’électrification puis la création des lignes à grande vitesse, les services nocturnes entre Paris et Rennes ou Paris et Nantes stationnaient de longues heures en gare afin de permettre à leurs usagers d’avoir un temps de sommeil convenable (18). En revanche, sur des trajets longues distances, plus de sept heures de trains, il permet d’offrir une concurrence pertinente au binôme TGV + hôtel ou l’avion, dont le déficit d’image s’accroît d’année en année, notamment auprès des clientèles germaniques et scandinaves.

Ainsi, la journée passée dans le train se transformerait en temps de sommeil tandis que le trajet en avion serait rationalisé. Par ailleurs, le gain d’une nuit hôtel (voire deux dans le cas d’un aller-retour) permet de rendre acceptable un léger surcoût pour le voyageur (du moins dans le cas d’une exploitation non subventionnée). A condition toutefois que la qualité de service suive.

La Bretagne de part sa situation géographique excentrée ne peut pas bénéficier de dessertes en transit tant en fret qu’en voyageurs.

Elle doit donc s’appuyer sur ses seules dessertes domestiques.
Celles-ci peuvent être de trois types.
Dans un premier temps, il s’agit des métropoles situées à plus de sept heures de trajet l’une de l’autre. Ainsi dans le cas de Brest, l’on retrouve le binôme Lille – Bruxelles, Strasbourg, les trinômes Lyon – Grenoble – Genève, et Marseille – Toulon – Nice ainsi que Toulouse. Dans le cas de Rennes ou de Nantes, il va s’agir de métropoles européennes telles qu’Amsterdam, Francfort, Zurich, Milan, Barcelone ou Madrid.

Dans un second temps, il s’agit des secteurs touristiques prisés des clientèles néerlandaises, allemandes ou autrichienne. Enfin, le train de nuit permet d’intégrer les villes moyennes et petites à des réseaux plus globaux. En Bretagne, peut être moins qu’ailleurs, ces cités sont de plus en plus nombreuses à ne plus bénéficier de liaisons aériennes de qualité et voir leurs dessertes par autocar se réduire.

Pour ces villes en souffrance, la réouverture d’une ligne de train de nuit s’inscrit dans la droite continuité de dispositifs tels que Action Cœur de Ville.

Ainsi, outre une dynamisation quantitative et temporelle des quartiers des gares, le train de nuit permet aussi de transférer de l’activité des périphéries. Notamment des zones hôtelières vers les centres-villes. Également elle permet l’organisation d’évènements, de salons ou de séminaires à portée européenne de courte durée, favorisant la venue de personnalités ou de touristes pour une ou deux journées.

Enfin, un tel outil permet à un territoire d’offrir aux entrepreneurs la possibilité de se rendre dans une métropole européenne pour une journée sans que cela ne nécessité pour autant d’effectuer deux longs trajets couplés de deux nuits d’hôtels. Le train de nuit est donc facteur d’attractivité et de connectivité forte. Il offre également la possibilité aux villes situées à plus de trois heures de Paris ou/et ne bénéficiant pas d’une première arrivée avant 9 heures d’être reliées à la capitale.

Ainsi, il serait totalement imaginable que la Bretagne soit d’ici 2030 desservies par les lignes suivantes provenant de l’est :

– Amsterdam – Bruxelles – Lille,
– Francfort / Zurich – Strasbourg – Metz,
– Genève / Grenoble – Lyon,
– Vintimille / Marseille – Avignon,

L’hiver, elles se scinderaient en deux parties au niveau de Tours :

– Le Mans – Rennes – Brest,
– Angers – Nantes – Quimper.

L’été, leur triplement pourrait être envisagé avec un double tranches :

– Tours – Angers – Nantes – Le Croisic,
– Redon – Quimper,
– Le Mans – Laval – Rennes – Saint-Malo / Brest.

De la même façon, d’autres lignes de trains de nuit en provenance du sud pourraient voir le jour :

– Barcelone – Nantes – Rennes – Brest,
– Pays-Basque / Pyrénées – Toulouse – Bordeaux – Vannes – Quimper – Brest
– Pays-Basque / Pyrénées – Toulouse – Nantes – Rennes

L’été cette ligne pourrait d’ailleurs être prolongée jusqu’à Saint-Malo.

– Madrid – La Rochelle – Nantes – Rennes – Saint-Malo.

Enfin dans un souci d’aménagement du territoire, les villes moyennes mal reliées au réseau national pourraient bénéficier d’un effet levier. Ainsi, Vannes ou Auray au sud, Saint-Brieuc, Guingamp ou Morlaix au nord mais également Saint-Malo, pourraient ainsi bénéficier d’une première arrivée plus matinale. Ainsi que d’un dernier départ plus tardif. D’autres villes, non reliées à Paris telles que Dinan ou Lannion seraient aussi des grandes gagnantes de la mise en place de tels services.

Ainsi, à court terme, il serait totalement envisageable de transformer le TGV nocturne Paris – Brest du dimanche soir en train de nuit quotidien. Il pourrait également profiter d’autres gares plus modestes telles que Landivisiau ou Landerneau voire Lannion. Enfin, l’été, il serait totalement envisageable de penser à sa division en deux tranches au niveau de Saint-Brieuc. L’une poursuivant vers l’ouest et l’autre dirigée vers Lamballe, Dinan, Dol et le Mont-Saint-Michel. La présence de dessertes aériennes à Lorient et Quimper, ne permettrait en revanche pas d’avoir un tel niveau de service viable sur la ligne radiale sud.

Néanmoins, l’avenir de telles relations est soumis à la seule volonté des Bretons. Et, si le train de nuit continuera de renaître en Europe comme en France, il ne tient qu’à nous qu’il relie nos villes aux différentes métropoles du continent. Et ne se contente pas d’un corridor Bordeaux – Tours – Paris.

Plus d’infos :

Le collectif Oui au train de nuit ! : https://ouiautraindenuit.wordpress.com/
Railcoop : https://www.railcoop.fr/.
Contact en Bretagne :
ouiautraindenuit.bretagne@gmail.com

Références et notes de bas de page, de 1 à 9 …

1 – Austerlitz, Invalides, Montparnasse.
2 – Société publique qui deviendra par la SNCF en 1936. Suite à la faillite des compagnies privées et à l’élection d’un gouvernement de Front Populaire.
3 – Auxquels il fallait ajouter un train de jour couplé jusqu’au Mans à un Paris-Angers-Le Croisic et jusqu’à Rennes à un Paris-Quimper. Deux services de la compagnie Paris-Orléans.
4 – Certaines des voitures étaient à destination de Quimper et desservaient neuf gares intermédiaires.
5 – Versailles, Chartres, Le Mans, Laval, Rennes, Lamballe, Saint-Brieuc, Guingamp, Plouaret, Morlaix, Landerneau.
6 – Dont en Bretagne (en plus de celles citées précédemment) : Vitré, Servon, Montfort, La Brohinière, Caulnes, Broons, Plénée-Jugon, Yffiniac, Châtelaudren, Belle-Isle – Bégard, Plounérin, Plouigneau, Pleyber-Christ, Saint-Thégonnec, Landivisiau, Kerhuon.
7 – Certaines des voitures de ce train étaient à destination de Saint-Malo et desservaient également 10 gares intermédiaires.
8 – En tout, trois trains de nuits. Dont un Paris-Brest/Saint-Malo et un Paris-Brest/Quimper terminus. Et quatre trains de jours dont un Paris-Brest/Quimper et un train au départ de la gare des Invalides et desservaient alors la gare de Rennes.
9 – Et des dix arrêts notamment à Vitré, Châteaubourg, Servon et Noyal-sur-Vilaine.

Et de 10 à 18.

10 – Ensuite prolongé jusqu’à Rennes et l’été jusqu’à Saint-Malo et Cherbourg.
11 – Une correspondance en gare du Mans permettait d’assurer la continuité vers Paris tandis que le couplage à un Châteaubriant – Quimper favorisait les relations au-delà de Redon.
12 – Via Lamballe et Dinan ou Dol et Dinan.
13 – Ainsi que Saint-Gilles-Croix-de-Vie desservie via Nantes.
14 – Il était dédoublé l’été.
15 – Les nuits du dimanche au lundi et du vendredi au samedi.
16 – Il s’agit des lignes Stockhölm – Cologne et Malmö – Bruxelles.
17 – A Brest, Lorient, Nantes (deux listes), Rennes (deux listes) et Saint-Brieuc (deux listes).
18 – De 2h30 à 6h00 du matin à Rennes, entre 3h30 et 6h00 à Nantes.

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