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Media Freedom Act : liberté ou contrôle ?

de NHU Bretagne

Media Freedom Act : loi de liberté ou nouvel outil de contrôle des médias ?

Media Freedom Act : liberté ou contrôle ?
En avril 2024, l’Union européenne a adopté le Media Freedom Act, officiellement « règlement européen sur la liberté des médias » (European Media Freedom Act). Présenté comme une avancée majeure, ce texte vise à protéger l’indépendance éditoriale, la transparence et le pluralisme.

Il est entré en vigueur le 7 mai 2024, mais son application sera totale à partir du 8 août 2025. D’ici là, les États membres devront avoir adapté leurs pratiques. L’UE entend ainsi répondre à plusieurs défis :

  • les ingérences politiques dans les médias publics,
  • la concentration croissante des grands groupes de presse,
  • l’opacité des financements,
  • les risques posés par les logiciels espions contre les journalistes.

Sur le papier, le projet est séduisant. Mais la question demeure : s’agit-il réellement d’une loi de liberté, ou d’un cadre qui pourrait aussi servir au contrôle des médias ?

Media freedom act - "La censure est un aveu. On ne bâillonne que la bouche qui dit vrai" , Pierre Gripari
Media Freedom Act – « La censure est un aveu. On ne bâillonne que la bouche qui dit vrai » , Pierre Gripari

Ce que dit vraiment le texte officiel

Pour sortir des fantasmes et des rumeurs, il faut plonger dans le texte officiel, disponible sur EUR-Lex, le site du droit européen. Voici ses principaux points.

Protection des sources journalistiques

Le règlement insiste sur la nécessité de protéger la confidentialité des sources. Les États membres n’ont pas le droit de contraindre un journaliste à révéler ses sources, ni d’utiliser des moyens intrusifs (logiciels espions, interceptions illégales) pour les identifier.

C’est un point fort : la protection des sources est au cœur de la liberté de la presse.

Indépendance éditoriale

Le Media Freedom Act oblige les États à respecter l’indépendance éditoriale des médias. En clair, les gouvernements n’ont pas le droit d’intervenir dans le contenu des médias, ni de dicter leur ligne éditoriale.

Une avancée qui vise surtout certains pays où les médias publics sont devenus des instruments politiques, comme en Hongrie ou en Pologne.

Transparence et financement

Le texte exige une transparence des propriétaires de médias. Les citoyens doivent savoir qui contrôle un média, avec quelles ressources, et quels liens financiers existent.

Il encadre aussi la publicité d’État : elle doit être distribuée de manière transparente et équitable, pour éviter les pressions indirectes.

Médias de service public

Le règlement impose aux États de garantir aux médias publics un financement stable, prévisible et suffisant, afin qu’ils ne dépendent pas du pouvoir politique en place. Les dirigeants de ces médias devront être choisis de façon transparente et indépendante.

Un Comité européen pour les services de médias

Le Media Freedom Act crée une nouvelle autorité, le Comité européen des services de médias. Sa mission : veiller à l’application harmonisée du texte dans tous les pays.

Cet organe aura un rôle de surveillance, de recommandation et d’arbitrage.

politique en Bretagne
Media Freedom Act – Liberté / Frankiz

Les zones d’ombre et les inquiétudes

Si le texte contient de réelles garanties, il suscite aussi des interrogations légitimes.

Une application confiée aux États membres

Comme souvent dans l’Union européenne, la loi est européenne, mais son application dépend des États. Or, certains gouvernements ont montré qu’ils n’hésitaient pas à mettre la main sur les médias publics ou à faire pression sur les rédactions privées.

En pratique, un même texte peut être appliqué très différemment à Varsovie, à Madrid ou à Paris.

Un comité européen : protection ou contrôle ?

La création d’un comité européen peut être vue comme une garantie supplémentaire… mais aussi comme une centralisation du pouvoir de contrôle des médias à Bruxelles. Tout dépendra de l’usage qu’en feront les institutions.

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L’ambiguïté de la notion d’« intérêt public »

Certains passages du texte parlent de mesures possibles « pour protéger l’ordre public » ou « l’intérêt public impérieux ». C’est là que naît la suspicion. Ces termes sont suffisamment vagues pour être interprétés de manière restrictive par des gouvernements peu scrupuleux.

Même si le règlement interdit clairement la répression directe contre les journalistes, ces formulations peuvent alimenter des inquiétudes.

Des précédents inquiétants

L’Europe se targue de défendre la liberté de la presse, mais rappelons-le :

  • En France, des journalistes ont déjà été perquisitionnés ou mis sous surveillance.
  • En Espagne, des médias catalans ont subi des pressions politiques.
  • En Europe de l’Est, certains médias publics sont devenus de simples porte-voix du pouvoir.

Le risque n’est donc pas théorique.

Il n’y a qu’à lire cet article ci-dessous : Classement Reporters Sans Frontières 2025, où la France décroche et devient de moins en moins respectueuse de la Liberté de la presse. Il y a pire, bien pire; mais il y a aussi beaucoup mieux, surtout des États de même dimension que la Bretagne.

Liberté de la presse : un combat permanent

Il faut ici être clair : il n’existe pas La Liberté de la presse, absolue et garantie une fois pour toutes. Il existe seulement une certaine liberté de la presse, toujours relative, toujours menacée, et qui doit constamment être défendue.

Chaque fois qu’un média est censuré, fermé ou réduit au silence, cette liberté recule. Chaque fois qu’un journaliste peut enquêter librement, elle progresse.

Le Media Freedom Act représente un pas en avant sur plusieurs points — notamment la protection des sources. Mais il ne sera jamais qu’un outil. Tout dépendra de la vigilance des journalistes, des citoyens et des sociétés civiles.

Media Freedom Act : entre espoir et vigilance

Alors, loi de liberté ou outil de contrôle ? La réponse est sans doute : les deux à la fois, selon l’usage qui en sera fait.

Le Media Freedom Act contient de vraies avancées :

  • indépendance éditoriale garantie,
  • transparence des propriétaires,
  • protection des sources journalistiques.

Mais il ouvre aussi des marges d’interprétation qui, entre de mauvaises mains, pourraient servir à restreindre plutôt qu’à protéger.

La vigilance est donc indispensable. La liberté de la presse n’est pas un cadeau offert par une institution : c’est un droit fragile, qui n’existe que si les journalistes et les citoyens le défendent au quotidien.

En Europe comme ailleurs, l’histoire récente nous a appris une chose : dès qu’on cesse de veiller, la liberté s’effrite.

Lisez et téléchargez l’intégralité de ce texte de loi

Media Freedom Act : protections clés (article 4)

« Les États membres veillent à ce que les sources journalistiques et les communications confidentielles soient protégées de manière efficace. » (Art. 4§3)

  • Interdictions : forcer à révéler des sources ; placer en détention, perquisitionner, intercepter ou surveiller pour obtenir des sources ; déployer des logiciels espions sur les appareils des journalistes.
  • Dérogations très encadrées (Art. 4§4–6) : seulement si prévues par le droit, conformes à la Charte (art. 52§1), justifiées par une raison impérieuse d’intérêt général, proportionnées, et autorisées au préalable par une autorité judiciaire ou indépendante (avec contrôle régulier). Les logiciels espions : uniquement dans des enquêtes visant une personne suspectée d’infractions graves (listées par la décision-cadre 2002/584/JAI ≥3 ans, ou autres infractions graves ≥5 ans) et si aucune autre mesure n’est suffisante.
  • Garanties procédurales : droit à une protection juridictionnelle effective et application des règles de protection des données (Directive 2016/680).

Source : Règlement (UE) 2024/1083 – texte officiel, article 4.

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