syndrome breton

Le syndrome breton

de Louis MELENNEC

Le syndrome breton, interview de Louis Mélennec, docteur en médecine et historien.

Au cours de ces dernières années, je me suis attaché à mettre un peu d’ordre dans les notes prises au cours de mes lectures, depuis trente ans, sur les désordres psychiques et psychologiques atteignant certaines populations conquises par la violence, et privées de leur culture par la force du plus fort, dans des conditions pouvant constituer un défi aux lois élémentaires de l’humanité, et au respect du aux êtres humains.

Au début de mes recherches, j’ai eu ce que l’on nomme des « intuitions ».
Puis, les intuitions se sont muées en constats objectifs. Enfin, j’ai pu identifier une entité clinique, à laquelle j’ai donné le nom de « syndrome breton« . J’espère pouvoir publier un article sur le sujet dans le courant de l’année à venir.

On sait aujourd’hui que, de même que les névroses individuelles naissent souvent des traumatismes, des stress, des conditions dans lesquelles l’enfant a été élevé – notamment des interdits trop sévères qui lui ont été inculqués -, de même les traumatismes collectifs (les guerres, les défaites, la soumission à d’autres peuples, la destruction de la culture, l’obligation d’accepter celle du plus fort…), peuvent engendrer des troubles psychologiques, des troubles du comportement, chez les vaincus, plus ou moins graves, plus ou moins durables.

La notion de névrose collective est aujourd’hui bien connue (sur Internet, au moment de la présente interview: 149 000 références !). Certes, ce sont les traumatismes récents, non encore « digérés » et neutralisés qui sont les plus meurtriers ( la Shoah, le génocide arménien, le génocide rwuandais, le génocide cambodgien ….). Mais les traumatismes anciens, même oubliés, peuvent laisser des traces profondes. Ils s’inscrivent dans l’inconscient collectif, pouvant formant des strates qui se superposent.

De même que le comportement de l’être humain peut être conditionné, sa vie durant, par les traumatismes oubliés de la petite enfance, de même la vie des Nations peut être conditionnée par des faits très anciens, dont le souvenir s’est dilué dans le temps.

Le syndrome breton : la Bretagne est un champ d’observation privilégié.

Pays libre, indépendant et fier jusqu’à la fin du XVème siècle, elle a été victime de deux invasions militaires françaises, en 1488, puis en 1491. Elle a été soumise dans des conditions drastiques par la France, qui s’est emparée de tous les leviers de commande, dès la mort de la Duchesse Anne et de son mari Louis XII, en 1514 et en 1515. Elle n’a jamais retrouvé sa Liberté, et reste assujettie à son puissant voisin, malgré les progrès du Droit international, et du Droit des peuples à disposer d’eux mêmes, principe fondamental dont la France, par ironie, se déclare le Champion.

Les faits sont assez peu connus, même en Bretagne.

Le pays a été privé de sa culture. L’enseignement de l’histoire continue à être interdit dans les écoles. La langue a fait l’objet d’un assassinat pensé et voulu au XIXème siècle, de sorte qu’elle a été quasi éradiquée, et qu’elle est en train de mourir, au moment où nous parlons.

Le syndrome breton est constitué des manifestations psychologiques qui atteignent ou ont atteint une partie de la population, à la suite des traumatismes liés aux invasions de 1488 et de 1491, aux conditions humiliantes de l’annexion de 1532, à la répression féroce de 1675 (révolte des Bonnets Rouges), et surtout de la destruction de la Bretagne autonome en 1789, suivie de l’écrasement mental des cerveaux de 1789 à 1950, période durant laquelle la langue et la culture ont été détruites par le pouvoir central, qui a réalisé une « lobotomie », avant même l’invention de la neuro-chirurgie.

L’un des symptomes.

LA RUMINATION MENTALE, qui fait que des centaines de milliers de Bretons ne peuvent chasser de leur cerveau les injustices et la persécution dont le pays a été victime, et continue à l’être. Ce symptôme ne touche qu’une partie de la population: ceux qu’on appelle les militants; ceux dont la passion est l’Histoire de la Bretagne, ceux qui luttent pour sortir la Bretagne de son statut actuel, extrêmement humiliant.

Le second symptôme est la haine et la honte de soi.

Il a été observé chez toutes les Nations humiliées et persécutées. Chez les juifs, il a été décrit par de nombreux auteurs, en particulier, d’une manière admirable, par Albert Memmi. Ce symptôme a été quasi général en Bretagne, et très douloureusement ressenti au XIXème siècle, et pendant la première moitié du XXème siècle.
Il a aujourd’hui disparu.
Les jeunes ont aujourd’hui, par réaction sans doute, un très fort sentiment d’appartenance, en même temps que de fierté d’être Bretons. Mais ceux qui, nés avant 1950, ont vécu la persécution linguistique et culturelle perpétrée par la France, en conservent un souvenir cuisant (je fais partie des victimes et des survivants, ce qui me permet d’en parler).

syndrome breton
Le syndrome breton : nous n’aurons plus jamais honte d’être Bretons

Ma formation psychiatrique et psychanalytique (j’ai été le dernier élève du docteur Hesnard, Breton de Pontivy, l’inventeur de la psychanalyse en France, auteur du premier ouvrage publié en langue française sur « La psycho-analyse des névroses et des psychoses  » (Alcan, 1914), un grand homme, puis de Juliette Favez Boutonier, professeur à la Sorbonne, tous deux ex-présidents de la Société française de psychanalyse, enfin du professeur Bourguignon, auteur d’une monumentale traduction de l’oeuvre de Freud), et ma passion pour l’étude des sociétés et des mentalités m’ont conduit à explorer, à travers la littérature, les dégâts psychiques nés de l’acculturation ou de la persécution culturelle des Incas, des Aztèques, des Inuits, des Arborigènes d’Australie, des Juifs, des Arméniens, et d’autres peuples qui, comme le nôtre, ont été défaits militairement, humiliés, privés de leurs droits, bafoués, interdits de pratiquer leur culture, de parler et de transmettre leur langue à leurs enfants.

Sur le terrain, j’ai vécu ma propre expérience personnelle …

Celle de ma famille, ma scolarité en pays Bigouden, entièrement bretonnant à l’époque, les témoignages recueillis en Basse Bretagne, le tout conforté par des lectures nombreuses, dont celles des travaux des psychiatres bretons ( les docteurs Caro et Carrer, notamment), sur les conduites « addictives » et les suicides en Bretagne … J’ ai eu des entretiens nombreux avec des psychiatres juifs, très bien informés de ces problèmes, pour les avoir vécus pendant deux mille ans à travers leur peuple, notamment avec mon collègue le docteur Ludwig Fineltain, expert psychiatre près la Cour d’appel de Paris (de cet auteur, voir, en particulier, sur Internet, « Les syndromes des survivants de la Shoah« ).

La moisson des faits recueillis et des constatations faites est impressionnante. Mes travaux recoupent, d’une autre manière, ceux des autres auteurs, en les complétant et en les amplifiant.
Pendant que les bretons m’injuriaient, plusieurs auteurs Juifs m’ont encouragé et remercié. Aujourd’hui, certains « Bretons » copient à en perdre haleine, sans jamais citer leurs sources.
Belle humanité que celle là !

Nous sommes menacés d’une aggravation de la situation.

Deux personnages, situés au sommet de l’Etat français, se sont vantés, de leur intention de ne pas faire réviser une Constitution obsolète, de conserver à la langue française son statut de langue officielle de la « République », c’est à dire d’interdire, en pratique, la transmission de notre langue dans les écoles bretonnes, que nous construisons avec nos deniers, et de nous priver de l’aide des maîtres, instituteurs, professeurs formés et payés avec nos impôts, c’est à dire le fruit de notre travail.

Si nous n’agissons pas auprès des Instances internationales, la langue bretonne sera morte avant trente ans, quels que soient les efforts de ceux qui consacrent tout leur temps à tenter de la sauver. Nous n’avons rien à attendre de ce qu’il est convenu d’appeler « l’hexagone ».
Seul un statut « écossais » ou « catalan » peut nous sauver.

Illustration header : Vilkasss

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5 commentaires

Mélennec 11 décembre 2024 - 14h35

LOUIS MELENNEC
A cause des persécutions françaises – je parle des gouvernements, non du peuple français, victime lui aussi de la falsification honteuse de son histoire -, mais aussi de nos « HYTORYENS » bretons, complices par sottise, par lâcheté, et par carriérisme, nous avons été parmi les DERNIERS à avoir connaissance des dégâts psychiques provoqués par notre abominable colonisation.
Je remercie les auteurs étrangers qui m’ont mis sur la piste. En Bretagne, merci au docteur Philippe Carrer.
LIRE ABSOLUMENT : Albert MEMMI, Portrait d’un Juif, ouvrage TOTALEMENT inconnu en Bretagne.

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Colette TRUBLET 12 décembre 2024 - 10h25

Je viens de commencer la lecture de « Anne de Bretagne » de L.Melennec . C’est du solide et référencé à chaque chapître. Je sais que je vais souffrir en le lisant. Il va remuer le couteau dans la plaie. Je suis des Pays de Rance et je suis historiquement et géographiquement bretonne. je suis encore plus « plouc » que les ex-bretonnants puisqu’à l’origine ma famille est Gallo. Je sais donc très bien comment j’ai remonté la pente en dépit des intentions scolaires françaises de me couper de la langue de mes ancêtres Gallo et plus lointainement bretonnants puisque le Breton ancien était parlé dans les pays de Rance jusqu’au XIIème, XIIIème siècle, ce dont témoigne la toponymie. Lorsque j’ai réussi à parler correctement un français d’école, je n’avais plus accès aux codes subtiles qui me raccrochaient à ma lignée, le fossé s’est creusé. Il m’a fallu beaucoup de temps pour apprendre ce que parler veut dire. Et pour réparer une continuité d’héritage à partir de l’histoire des langues qui des dialectes indo-européens devenant le gaulois puis le gallo-romain puis en même temps et ailleurs se diversifiant entre nos langues modernes. Lacan dit que l’inconscient est structuré comme un langage et Freud dit que la langue maternelle est une peau, la peau de l’esprit. Les interdire revient à fabriquer des écorchés vifs. Nous avons tous un caillou dans la chaussure. Si on laisse les évolutions se produire les langues évoluent en fonction des besoins. Mais les vainqueurs savent couper les vaincus de leur héritage ancestral pour mieux les abêtir et les dominer. Lorsque les enfants n’échangent plus avec leurs grands-parents, tout un pan de l’héritage disparait dans les incompréhensions réciproques, les douleurs et les blessures prennent toute la place. Face aux dominateurs, l’égalité de compétence à acquérir prend plusieurs générations. Si au moins les actuels bretons pouvaient comprendre ça, ils pourraient se reconnaître les uns les autres dans un héritage historique et géographique qui est leur héritage commun au lieu de résister encore et encore à s’entendre. Nous pourrions repartir ensemble selon les besoins vitaux que la nature humaine, le climat, la géographie et notre histoire commune nous prédisposent. Nous sommes des héritiers. Et ce qui est important pour chacun est ce qui se passe là où il vit. Ensuite ça n’a jamais empêché personne d’aller voir ailleurs et d’explorer comment l’herbe est verte ailleurs.

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Anne Merrien 13 décembre 2024 - 14h27

Et l’exaspération des habitants de la Loire-Atlantique auxquels on nie la qualité de Bretons, ç’a été étudié ?

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Christine 15 décembre 2024 - 17h42

Un livre publié il y a quelques années déjà , d’Anne Ancelin : « Aĩe mes aĩeux »
https://www.librairie-des-femmes.fr/livre/9782220067100-aie-mes-aieux-anne-ancelin-schutzenberger/

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Laurent 15 janvier 2025 - 19h35

Enfant j’ai un peu « souffert » de n’être de nulle part, mes ancêtres se trouvant répartis sur une diagonale nord-est sud-ouest. Pour compliquer le tout, j’avais passé cinq ans en Belgique. Bien plus tard, je me sens français et européen et je jongle avec mes différents ancêtres au gré de mes interlocuteurs. C’est bien plus confortable.

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