matriarcat en Bretagne

Alcoolisme et toxicomanie en Bretagne, par Michel Crenn

de Michel CRENN
Publié le Dernière mise à jour le

Alcoolisme en Bretagne …

Les Bretons ont le triste privilège d’avoir une réputation de solides buveurs, du moins était-ce le cas au siècle dernier.
Dès 1675, Madame de Sévigné écrivait à sa fille : « Il n’y aurait pas de satisfaction à baiser [embrasser] toute la Bretagne à moins que l’on aimât à sentir le vin… »

En 1929, dans le Manuel de géographie à l’usage des lycéens de M. Busson, on pouvait lire : « Les principaux défauts de la race bretonne sont la malpropreté, la superstition et l’ivrognerie. »

alcoolisme en Bretagne

« Les principaux défauts de la race bretonne sont la malpropreté, la superstition et l’ivrognerie »
Henri Busson, Manuel de géographie à l’usage des lycées, 1929 Propos racistes et brittophobes à destination des lycéens de l’Hexagone il y a à peine un siècle

Voilà qui est peu glorieux, mais qu’en est-il exactement ?

Il nous faut remonter au XVe siècle pour constater que Nantes / Naoned est un grand port qui reçoit les vins des vignobles de la vallée de la Loire et de ses affluents (Anjou, Touraine, Poitou, Orléans, Beaune)pour ensuite les transporter par voie maritime ou terrestre vers les autres grandes villes de Bretagne : Auray / An Alre, Vannes / Gwened, Quimperlé / Kemperle, Quimper / Kemper, Saint-Brieuc / Sant Brieg, Tréguier / Landreger, Morlaix / Montroulez et Lannion / Lannuon. Il existe également des vignobles dans les vallées de la Vilaine et de la Rance, qui disparaîtront par la suite. Saint-Malo / Sant Maloù est alors un port international où les navires transitent du sud vers le nord de l’Europe. La flotte bretonne qui est la plus importante d’Europe est également présente dans les ports de La Rochelle, Royan, Bordeaux, dans la péninsule ibérique, à Rouen, en Flandre, en Zélande et en Angleterre.
C’est donc essentiellement dans les ports bretons et chez les marins que l’on boit du vin, mais on en boit beaucoup et les tavernes fleurissent.

L’alcoolisme en Bretagne : quelques repères

La consommation gagne aussi les petites villes de l’intérieur.

Par contre dans les campagnes le vin n’est pas présent, si ce n’est dans les estaminets, et c’est le cidre qui est fabriqué en grande quantité à la ferme, et l’eau-de-vie de cidre, le lambig, au XVIIe siècle. L’alcoolisation est alors festive et occasionnelle.
En 1885, la consommation annuelle d’alcool pur est estimée en Bretagne à 10,65 litres par habitant. Donc légèrement inférieure à la moyenne nationale mais ce chiffre ne tient pas compte de la contrebande qui est très active.

C’est dans la deuxième moitié du XXe siècle que la situation se dégrade avec le développement de la commercialisation des boissons alcoolisées en tous genres. La consommation atteint alors le chiffre de 26 litres d’alcool pur par an et par habitant en 1961, et la Bretagne occupe la première place pour ce qui est de la mortalité par alcoolisme.

De nos jours la consommation d’alcool est en régression chez les adultes comme dans le reste de la France, avec un chiffre à 11,7 litres en 2015. Mais la Bretagne tient toujours la première place en ce qui concerne les ivresses aiguës, quel que soit l’âge et le sexe.

En outre, la situation reste préoccupante pour la jeunesse.

En 2017, la prise régulière d’alcool chez les adolescents était estimée à 20 %, contre 15 % au plan national. Il en va de même pour les produits illicites dont la consommation des jeunes Bretons est supérieure à la moyenne nationale.

Pourtant, les indicateurs sociologiques de la région sont plutôt favorables avec un taux de chômage qui était en 2021 le plus bas de France, et un revenu médian qui la situe au troisième rang national. Les lycéens et étudiants sont réputés pour leurs bons taux de réussite scolaire et la région est régulièrement louée par la presse nationale pour sa qualité de vie. Les paysages y sont magnifiques, qu’il s’agisse du littoral où se concentrent les grandes villes, ou de l’intérieur plutôt agricole et moins peuplé.

Alors, comment expliquer cet alcoolisme passé qui tend à se pérenniser chez les jeunes Bretons ?

Nous pensons qu’il est à rapprocher du phénomène d’acculturation. Nous avons vu qu’il s’était accompagné, du fait de la perte brutale de la langue, de la déperdition de la fonction du père dans la famille qui est la fonction symbolique, qui aide l’enfant à s’inscrire dans la réalité de façon stable et durable. Dans bien des familles, le père se réfugie alors dans le mutisme et parfois dans l’alcoolisme, du fait de la blessure

narcissique dont il est l’objet. C’est alors la femme qui va devoir, bon gré, mal gré, assurer cette fonction, alors même qu’elle y est culturellement préparée. Mais les fonctions éducatives, au sein de la famille, ne sont pas interchangeables ou du moins elles ne l’étaient pas, à cette époque.

Il ne faut pas perdre de vue le choc culturel que subit la Bretagne au XIXe siècle puisque la langue bretonne qui était parlée par l’immense majorité de la population, se trouve aujourd’hui menacée de disparition. En effet, 80 % de ses 200.000 locuteurs ont plus de 60 ans, et seuls 3 % des enfants sont scolarisés en classe bilingue (contre 46 % en Corse). C’est dire la brutalité avec laquelle s’est effectuée l’acculturation en Bretagne, et les conséquences qui ont pu en découler.

Essayons de comprendre ce qui, dans l’inconscient collectif, peut mener à un tel comportement.

L’alcool consommé en grande quantité présente, à l’égal des produits illicites, une action rapide et puissante qui autorise le consommateur à s’affranchir de la réalité, fût elle oppressante. Cette action lui permet de régresser dans le sein maternel ou du moins, dans son giron, pour y retrouver, peu ou prou, cet état de complétude qui caractérise la prime enfance. Tout cela, bien entendu, peut être habilement masqué par le costume de la virilité. Ainsi l’alcoolisation, massive ou habituelle, serait elle le témoignage d’une carence de la fonction symbolique, c’est-à-dire d’un trouble du rapport à la réalité.

N’oublions pas aussi la dimension festive qui reste très présente dans la jeunesse, mais elle ne suffit probablement pas à expliquer la surconsommation des jeunes Bretons.
Ainsi pouvons-nous nous autoriser à faire le lien entre l’acculturation, l’alcoolisme et le matriarcat, l’un étant la conséquence de l’autre.

 

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Le matriarcat breton, par Michel Crenn

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1 commentaire

Jean-Pierre JANY 8 mai 2023 - 19h51

Vous dites que « dans les campagnes, le vin n’est pas présent, […] et c’est le cidre qui est fabriqué en grande quantité à la ferme ». En effet mon père, né à Mellionnec en 1929, n’a fait connaissance avec le vin qu’en arrivant au service militaire.
Vous dites aussi que « c’est dans la deuxième moitié du XXe siècle que la situation se dégrade avec le développement de la commercialisation des boissons alcoolisées en tous genres ».
C’est exact, mais il faudrait rappeler le rôle néfaste de la campagne anti-alcoolique lancée par Mendès-France en 1956 : pour contrer la fabrication d ‘eau-de-vie de cidre à la ferme, a été lancée une campagne d’arrachage des pommiers à cidre. Cet arrachage a été vécue comme un crève-cœur par les paysans bretons, et mon père en parlait encore dix ans après. Le cidre à 4° a alors été remplacé par le vin d’Algérie à 12 ou 13°, aggravant l’alcoolisme au contraire (tous le monde ne buvait pas d’eau-de-vie, mais tout le monde buvait du cidre). On peut penser d’ailleurs, vu la persistance des gestes plus forte que celle du produit (voir les anciens fumeurs qui disent regretter surtout le geste de fumer), que les Bretons ont bu ce vin alcoolisé comme on buvait le cidre, à grandes lampées. Rien d’étonnant à ce que la Bretagne occupe la première place en 1961 pour la mortalité par alcoolisme.

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