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L’acculturation des Bretons, par Michel Crenn

de Michel CRENN
Publié le Dernière mise à jour le

L’acculturation est « l’adaptation d’un individu ou d’un groupe à la culture environnante ».

Peut-on parler d’une acculturation des Bretons …

C’est-à-dire peut-on considérer que leur culture originelle était si différente de la culture française, qu’il leur faille s’y adapter, à la différence des autres régions françaises ? C’est ce que nous allons tenter d’établir dans cet article.
La Bretagne fut un royaume, puis un duché, indépendant puis rattaché à la France par le roi François Ier, en 1532.
A l’origine, l’Armorique était faiblement peuplée de Gaulois, eux-mêmes d’origine celte.

A l’époque de la guerre des Gaules, l’empreinte romaine se fait plus discrète qu’ailleurs. Le pays est sous administration romaine, mais la présence militaire y est plus faible et la contrée bénéficie d’une certaine autonomie. Les campagnes qui représentent plus de 90% de la population, conservent leur langue et leurs traditions tandis que dans les villes, s’implante le latin.

Aux Ve et VIe siècles eurent lieu des migrations de Bretons en provenance de Cornouailles et du Pays de Galles, sous la pression des invasions des Scots d’Irlande. C’est ce qui explique la parenté entre le breton et le gallois, et c’est ce qui explique aussi que l’Armorique prit le nom de Bretagne, petite soeur de la Grande. C’est ce qui explique enfin que cette Bretagne conservera longtemps des caractères celtes bien affirmés, puisque le Grande-Bretagne avait été encore moins romanisée que ne l’avait été l’Armorique.

La période carolingienne fut marquée par le refus des rois bretons de se soumettre à la France.

Au IXe siècle, la Bretagne historique est née avec une zone d’origine celte et de langue bretonne à l’ouest et une zone d’origine romane et de langue française à l’est, sous la suzeraineté du roi de France. En ce même siècle débutèrent les invasions des Vikings qui furent chassés, un siècle plus tard.

L’époque féodale voit la Bretagne tomber sous la tutelle normande, au XIe siècle.

De nombreux nobles bretons participent à la conquête de l’Angleterre par le duc Guillaume de Normandie. Henri II Plantagenêt, roi d’Angleterre, qui possède déjà la Normandie, le Maine, l’Anjou, le Poitou et l’Aquitaine, prend le contrôle de la Bretagne au XIIe siècle. Geoffroy II est le dernier duc bretonnant. Le roi de France Philippe-Auguste assure le retour du duché dans le giron de la France. Le duc Pierre Ier de Dreux consolide son indépendance mais ses successeurs se comporteront en vassaux du roi de France.

Cependant, la hiérarchie féodale s’implante difficilement et l’autorité ducale reste souvent théorique.
Au XIVe siècle eut lieu la guerre de succession au trône ducal qui dura vingt cinq ans, sur fond de rivalité franco-anglaise, et qui vit la victoire de Jean IV, soutenu par la couronne d’Angleterre. Ses successeurs s’emploieront à préserver la souveraineté de la Bretagne.

Au XVe siècle, l’armée royale envahit le duché et se trouve victorieuse à Saint-Aubin du Cormier.

Anne devient Duchesse de Bretagne à l’âge de douze ans et consent à épouser le Roi de France Charles VIII, puis à sa mort son successeur Louis XII. Leur fille Claude épousera le roi François Ier et en 1532 les États de Bretagne, composés d’une centaine de députés, sollicitent l’union de la Bretagne au royaume de France, avec la préservation de ses droits et privilèges. En 1552 sera créé le Parlement de Bretagne, haute cour de justice où les « non originaires » sont prédominants. A cette époque, la grande noblesse est francophone et la petite brittophone. Les actes et jugements ne sont plus rédigés en latin mais en français. La haute noblesse se met au service du roi, et de ses propres intérêts.

Saint Aubin du Cormier : la bataille du 28 Juillet 1488

L’Âge d’Or de la Bretagne.

Les XVIe et XVIIe siècles seront marqués par une expansion économique sans précédent, appelée « l’âge d’or de la Bretagne », liée au commerce de la toile de lin et de chanvre qui sont exportés en Europe.

Cette richesse économique s’accompagne d’une production architecturale remarquable dans les domaines religieux et privé. Mais sous le règne de Louis XIV cette prospérité s’estompe, le monarque s’employant à réduire les privilèges de la Bretagne. En outre, le coton est venu concurrencer le textile breton.

Richesse de la Bretagne du XVe au XVIIIe siècle : lin et chanvre.

Au XVIIIe siècle, la Bretagne souffre de la guerre de cent ans entre la France et l’Angleterre, et s’enfonce dans la misère.

Le gallo est parlé en Haute-Bretagne et le breton en Basse-Bretagne, mais dans les villes importantes, c’est le français que l’on parle. En 1789, les députés bretons renoncent aux privilèges de leur province, le Parlement et les Etats sont dissous. La Bretagne est divisée en cinq départements. En 1791, un courant contre-révolutionnaire se développe pour s’opposer à la tentative de réforme du clergé par l’Assemblée Constituante.
C’est la chouannerie.

Le XIXe siècle est celui de l’installation de la République, de l’unification de la langue et donc, de la culture.

La misère s’étend en Bretagne.
Le XXe siècle voit le développement de l’Instruction publique. Mais en Bretagne, l’école publique se développe plus difficilement que dans le reste du pays, du fait d’une part du caractère morcelé de l’habitat rural, et d’autre part de la prédominance de l’enseignement religieux, solidement implanté dans la région.

Les lois Ferry instaurent une politique scolaire interdisant les langues régionales, et les petits Bretons qui utilisent leur langue maternelle à l’école, seront punis. La seconde moitié du siècle sera celle du développement économique de la région, sur les plans industriel et agricole, sous l’influence notamment du CELIB.

On a pu évoquer la thèse d’une « identité négative » qui se serait développée chez les Bretons, du fait de cette acculturation contrainte, comme une blessure narcissique collective.
Nous n’y croyons pas.
Nous pensons que le paysan breton, qui représentait autrefois l’immense majorité de la population, même s’il en avait eu vent, était peu perméable aux quolibets qui circulaient sur son compte dans les salons parisiens ou dans les gazettes de la capitale. En revanche, ce qu’il faut bien mettre en évidence, est la spécificité du peuple breton qui est liée, justement, à sa culture si particulière.

Comme c’est souvent le cas, la précarité matérielle s’accompagne d’une richesse culturelle qui vient y remédier.
En 1703, l’intendant de Bretagne, qui représentait le roi, déclarait que « les esprits de cette province ne se gouvernent pas comme les autres ».

Puis en 1718, le maréchal de Montesquiou, commandant en chef en Bretagne, écrivait à son ministre qu’il « fallait ôter des esprits de cette province qu’ils sont indépendants […] quelque application que je donne à étudier des Bretons, je n’ai encore pu pénétrer l’esprit de cette nation ni surtout celui qui règne en ce parlement ».
En 1760 le duc d’Aiguillon, commandant en chef, dira à son tour, à propos de la noblesse qui siège aux États de Bretagne: « Elle s’imagine que le souverain n’a pas les mêmes droits qu’en France ».

Autrement dit, plus de deux siècles après l’intégration de leur province à la France, les Bretons semblent avoir conservé l’esprit d’indépendance qui les a toujours animés.

On se souviendra aussi de l’épisode du camp de Conlie.

En 1870, 70.000 volontaires bretons s’entassent sur le plateau de Conlie près du Mans, prêts à tenter de libérer Paris assiégé par les Prussiens.
Gambetta qui se méfie des Bretons, les laissera croupir dans la boue et le froid cinglant.

Le Camp de Conlie ou l’effroyable délibéré massacre de milliers de Bretons

En conclusion…

Nous pouvons dire que l’intégration de la Bretagne à la République s’est faite avec plus de difficulté que pour les autres régions françaises, du fait de son éloignement géographique, mais aussi et surtout du fait de son éloignement culturel. Quant à son esprit d’indépendance, il persiste de nos jours sous des formes diverses, atténuées cependant.
Il y a donc bien eu une acculturation des Bretons, dont nous verrons dans les articles suivants consacrés au matriarcat, à l’alcoolisme et à la toxicomanie, et enfin au suicide, quelles sont les conséquences qui peuvent lui être imputées.

 

 

matriarcat en Bretagne
Le matriarcat breton, par Michel Crenn

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2 commentaires

Cosquer 6 janvier 2023 - 23h35

Deux remarques si vous le voulez-bien.
La première:
Vous écrivez, « une « identité négative » qui se serait développée chez les Bretons, du fait de cette acculturation contrainte, comme une blessure narcissique collective. Nous n’y croyons pas ».
Vous ne parlez pas breton n’est-ce pas ?
Vous devriez croire à cette identité blessée. Personnellement je l’ai ressenti chez des membres de ma famille… Dans la dévalorisation de la langue bretonne… Je l’ai aussi vécue plus tard dans des comportements agressifs que l’on m’ a adressé parce que j’apprenais le breton à mon fils… Il y a tout au plus 5 ans.
J’imagine que pour résister au symbole et autres vexations et humiliations il fallait être sérieusement solide… Cette blessure existe monsieur. Elle s’atténue avec la jeunesse mais elle reste enfouie chez la deuxième génération ainsi que dans la troisième génération ( âgée de 55 à 75 ans aujourd’hui).
D’autres raisons ont poussé nos arrière grands parents à voter pour la république au début du 20ème siècle pour la première fois; la vie politique a alors basculé en Bretagne. Mais cela ne s’est pas fait avant. C’est donc assez récent. La destruction de l’identité bretonne fait perdurer aujourd’hui, le choix politique engagé par nos grands-parents. Mais cela ne signifie en rien que ce choix ait été bon. Compte tenu de ce qui se passe aujourd’hui on peut sans gêne aucune en douter: L’identité vaudra très chère dans quelques temps dont la langue bretonne qui est le marqueur le plus important du peuple breton aujourd’hui; On peut se rappeler la manière exécrable de la bourgeoisie quand elle s’est rachetée une existence historique en s’accaparant les « de quelque chose  » et autres marques de l’ancienne noblesse. La richesse ne suffit pas pour exister vraiment…C’est l’erreur majeure de notre siècle.
D’autre part, je vous conseille la lecture de l’ouvrage  » entre droit et glottophobie , analyse d’une discrimination instituée dans la société française » de Philippe BLANCHET, universitaire à Rennes.

Deuxième remarque:
Vous écrivez: « consent à épouser le Roi de France Charles VIII, puis à sa mort son successeur Louis XII. Leur fille Claude épousera le roi François Ier et en 1532 les États de Bretagne, composés d’une centaine de députés, sollicitent l’union de la Bretagne au royaume de France, avec la préservation de ses droits et privilèges. »
Vous devriez lire et écouter l’interview de Joël Cornette à propos de son livre Anne de Bretagne parue dans APB le 16/10 /2022. Sa réponse est nette, et prouve qu’il y a eu annexion ni plus ni moins.
Donc la Bretagne est une colonie. Pour information, Eugène WEBER, puis Louis MELENNEC et à leurs tours Frédérique MORVAN et aujourd’hui Joël CORNETTE confirment tous cette réalité.
Cela renvoi donc naturellement à l’ouvrage d’Albert MEMMI : « portrait du colonisé précédé du portrait du colonisateur » afin de traiter cette blessure.
Cette blessure existe bien… mais la percevoir n’est pas chose toujours évidente. C’est en revanche assez facile quand on parle breton; déceler ces comportements de blessure enfouie devient alors net.
Ronan Le COADIG en parle aussi dans son travail de sociologue.

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CRENN Michel 23 avril 2023 - 18h15

Pardonnez-moi de répondre aussi tardivement à votre message que je viens seulement de lire. Je suis tout à fait d’accord avec vous s’agissant de la destruction de l’identité bretonne. Cette thèse est d’ailleurs abondamment développée dans les ouvrages du Dr Philippe Carrer, ouvrages que je connais bien. Cependant, j’émets quelques réserves: les Bretons ont toujours été un peuple fier et indépendant, et je ne suis pas sûr que le fait d’être annexés ait pu les changer de ce point de vue. En revanche, je pense que l’interdiction de la langue, qui est le véritable vecteur de la culture, a probablement eu un effet beaucoup plus néfaste, par un mécanisme d’ordre psychologique, la fonction éducative, et plus généralement la fonction symbolique, c’est-à-dire le lien à la réalité, se trouvant alors très perturbé, avec pour conséquence essentielle la perte de la fonction du père dans la famille. J’évoque donc un processus plus individuel que collectif.
Lorsque j’écris que la duchesse Anne consent à épouser le roi de France, j’entends bien que c’est en application du traité du Verger, signé après la défaite militaire des Bretons, qui l’y contraint. Et lorsque j’écris que les Etats de Bretagne demandent l’union de la Bretagne au royaume de France, j’entends bien aussi qu’ils n’ont pas d’autre choix.

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