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Goulven Mazéas, aussi négociant en pommes de terre!
En 2020, l’agglomération de Guingamp-Paimpol Agglomération faisait l’acquisition des anciens entrepôts Mazéas jouxtant la gare de Guingamp. Ces hangars faisaient partie de la mémoire guingampaise et du champ visuel de tous les utilisateurs des trains sur les lignes Paimpol-Carhaix et Brest-Rennes. Bientôt ce nom délavé sur le mur des anciens entrepôts éponymes, G. MAZEAS, disparaîtra pour laisser place à un complexe aqualudique qui devrait être opérationnel en 2024 ou 2025. L’occasion de rendre hommage à celui qui œuvra tant pour la Bretagne dans son cadre européen, qui consacra sa vie aux Bretons, aux Celtes et la culture bretonne.
Qui se souviendra de Goulven Mazéas ?
Combien savent qui il est et le rôle qu’il a joué dans la vie économique, culturelle et politique de la Bretagne ?
Goulven Mazéas, un homme d’affaires
Goulven Mazéas est né le 15 mars 1895 à Lanniliz dans le nord-Finistère, et est décédé le 9 janvier 1981 à Bégard / Bear. Il sera négociant de pommes de terre à semence à Guingamp / Gwengamp, et est le créateur d’une variété nommé « Keltia » dont raffolait le roi du Maroc.
Qui le croirait, ce n’est qu’au début du XIXème siècle que la pomme de terre fut vraiment adoptée par la population bretonne ; véritable révolution alimentaire chez les Bretons dont la base de l’alimentation était les céréales (essentiellement sous forme de pain, de crêpes et de bouillies), ainsi que les pois, fèves, navets et panais.
En attestent des chansons sur feuilles volantes de cette période. Ainsi, une chanson datée de 1820 et signé d’un certain Rober, met en scène un boulanger et un meunier qui se plaignent du nouvel engouement pour les pommes de terre et de la désaffection de la clientèle pour le pain et la farine.
Dans son livre « Petite histoire de la pomme de terre » publié en 1940, Goulven Mazéas détaille l’histoire bretonne de la pomme de terre. Il montre en particulier que la Bretagne a eu à la même époque que Parmentier (1737-1813) des promoteurs zélés du Solanum tuberosum parmi lesquels Monseigneur de la Marche (1729-1806) l’évêque-comte de Léon, surnommé Eskop ar patates (l’évêque des patates), et La Chalotais (1701-1785), Procureur Général de Bretagne.
Goulven Mazéas sera élu président du syndicat des négociants de pomme de terre de Bretagne après la seconde guerre mondiale.
Goulven Mazéas un homme politique visionnaire.
Très marqué par la Première Guerre mondiale, au cours de laquelle il fut décoré pour son courage au front, Goulven Mazéas revient de cette guerre meurtrière, pacifiste et européen, comme beaucoup d’autres.
Influencé par le modèle irlandais et le martyre de ses militants lors de l’insurrection avortée de la Pâques 1916, le mouvement breton évolue dans l’immédiate après-guerre et au milieu des années 1920 du panceltisme vers le fédéralisme européen construit autour des nationalités.
Dans sa Déclaration de Châteaulin / Kastellin en 1928, le PAB, Parti Autonomiste Breton qui revendique quatre cents adhérents, refuse le séparatisme pour préconiser une « autonomie administrative et politique ». Le PAB est organisé en neuf fédérations par « pays breton ». Celle du Trégor est dirigée par Yann Sohier, père de Mona Ozouf, qui est élu en 1929 par l’assemblée générale des sections de Tréguier / Treger, Lannion /Lannuon et Guingamp / Gwengamp, dont fait partie Goulven Mazéas.
Refusant à priori le clivage droite/gauche, le PAB Parti Autonomiste Breton est alors dirigé par des intellectuels, des hommes marqués à droite comme Olier Mordrel et Francis Debauvais d’un côté, et de l’autre, des hommes de sensibilité de gauche tels que Morvan Marchal, Morvan Duhamel et Goulven Mazéas.
En avril 1930, à l’occasion de l’élection législative partielle de Guingamp / Gwengamp qui doit pourvoir au remplacement d’Yves Le Trocquer entré au Sénat, le Parti Autonomiste Breton présente pour la première fois un candidat aux élections en Bretagne. Il s’agit de Goulven Mazéas, négociant à Guingamp / Gwengamp, candidat républicain fédéraliste.
Dans ses affiches, il avance des revendications économiques et sociales précises, il réclame « l’autonomie bretonne dans le cadre français » et se prononce pour le pacifisme : « l’entente des peuples et la Paix ».
Le PAB Parti Autonomiste Breton, lance toutes ses forces dans la bataille et tient un marathon de quarante huit réunions en quinze jours. Avec 349 voix au 1er tour (2,55 % des voix) le 6 avril 1930, Goulven Mazéas arrive en septième position loin derrière ses concurrents. Son maintien au second tour (376 voix, 2,8 %) induit l’élection du candidat de la droite, le marquis Oswen de Kérouartz, qui ne l’emporte que de soixante-sept voix sur le radical-socialiste William Loth…
D’une certaine façon, le maintien du candidat breton comme le sont aussi ceux du PCF Parti Communiste Français à cette période, vient perturber l’affrontement classique droite-gauche de second tour. Or, à Guingamp / Gwengamp, le PCF, Parti Communiste Français, n’a pas présenté de candidat malgré la présence de sa plus importante cellule qui ne se réunit plus. En effet, le PCF est en crise (soixante dix sept adhérents dans les Côtes-du-Nord en juin 1930) en partie du fait de l’attraction du PAB Parti Autonomiste Breton sur certains de ses militants du secteur.
Selon un rapport au bureau politique du PCF d’un responsable de la région bretonne (cf le livre d’ Alain Prigent : « Histoire des Communistes des Côtes-du-Nord 1920-1945 » ), des militants communistes auraient même rejoint le Parti Autonomiste Breton quand d’autres auraient proposé le front unique avec ce parti lors de l’élection législative partielle de 1930. Il semble que c’est ce qui s’est produit dans ce cas des législatives de 1930, des communistes Guingampais soutenant la campagne de Goulven Mazéas. C’est aussi ce transfert militant qui pourrait expliquer le gauchissement du discours et des pratiques de la Ligue Fédéraliste de Bretagne dans les années 1932-1935.
Le PCF qui défend alors les revendications autonomistes et linguistiques des Alsaciens, des Corses et des Bretons en fustigeant le centralisme de l’État français bourgeois a été pris au piège de son propre discours… nous dit encore l’historien Alain Prigent dans son étude.
Cette campagne électorale de Guingamp / Gwengamp a coûté cher au Parti Autonomiste Breton qui est au bord de la banqueroute et doit arrêter la parution de son hebdomadaire Breiz Atao. Ceci engendre fin 1930, une crise interne grave : courants fédéraliste et nationaliste s’opposant frontalement. Morvan Marchal et Duhamel qui font partie des leaders fédéralistes et autonomistes, démissionnent.
Puis, au congrès de Rennes / Roazhon des 11 et 12 avril 1931, les tenants de la droite veulent purger le parti de ses « éléments troubles » que sont les fédéralistes pour les nationalistes. Pour autant, les fédéralistes gardent provisoirement la direction du Parti Autonomiste Breton avec Goulven Mazéas de Guingamp / Gwengamp, et son journal rebaptisé La Nation Bretonne.
Mais le Parti Autonomiste Breton disparaît au congrès de Gwengamp en août 1931 où les nationalistes créent une nouvelle formation, le Parti National Breton (PNB) clairement positionné à droite.
L’échec électoral de Goulven Mazéas pourtant soutenu par le PCF aura révélé les contradictions internes, clarifié les positionnements idéologiques des uns et des autres, et provoqué l’éclatement de L’Emsav déchiré entre conceptions de gauche et idéologie nationaliste de droite, deux visions irréconciliables de la Bretagne.
Il semblerait que le texte de la profession de foi du premier tour de Goulven Mazéas fut repris en partie par Ronan Arot, également candidat du Parti Autonomiste Breton à une élection législative partielle dans la circonscription de Rennes-Sud en octobre 1930 :
« Chers Compatriotes ! Si vous êtes contents de votre sort, si vous êtes satisfaits de mal vendre votre blé, de payer vos engrais trop cher, d’être écrasés d’impôts qu’on gaspille à Paris, si vous envisagez gaiement les nouvelles boucheries qui se préparent et qui ne serviront – comme la dernière – qu’à enrichir quelques malins, votez pour l’un des candidats politiciens qui se présentent à vos suffrages.
Mais si vous en avez assez de voir la Bretagne servir de vache à lait aux paresseux et aux bavards, d’être bafouée; si vous croyez que les Bretons sont capables de régler eux-mêmes leurs propres affaires; si vous voulez une Bretagne prospère dans une France réorganisée; si vous êtes partisans de la paix et de la coopération des peuples, alors manifestez votre volonté en unissant vos voix, au premier tour, sur le nom du candidat du Parti Autonomiste Breton. ».
Goulven Mazéas intègre la Ligue Fédéraliste de Bretagne à sa création en août 1931, aux côtés de Maurice Duhamel, de Ronan Klec’h et de Morvan Marchal, (le créateur du Gwenn ha Du, le drapeau breton) ; cette Ligue reprend le programme du PAB et Goulven Mazéas en est élu le président. La Ligue Fédéraliste de Bretagne autorise la double appartenance au mouvement et à un parti de gauche (radical, socialiste ou communiste).
Ceci situe clairement son positionnement sur l’échiquier politique et montre que le mouvement breton n’échappe pas à la bipolarisation qui s’accélère en réaction au 6 février 1934.
Pourquoi cette date du 6 février 1934 est si importante ?
Au niveau hexagonal, le 3 février 1934, le président du Conseil Édouard Daladier décide de démettre Jean Chiappe de ses fonctions de préfet de police de Paris. Ce dernier est soupçonné de n’avoir pas avancé sur l’affaire Stavisky avec toute la diligence requise, mais il est aussi et surtout un sympathisant de la droite extrême. Refusant publiquement sa mutation, Chiappe engage une épreuve de force avec le gouvernement. La droite extrême réagit immédiatement en accentuant sa campagne de déstabilisation du second Cartel des gauches.
Dès le 3 février, Léon Daudet écrit dans l’éditorial de L’Action française que douze mitrailleuses ont été transportées en secret pour garder le palais Bourbon par la force. Le 4 février, Charles Maurras affirme que des attentats se préparent. Des affiches sont placardées dans Paris pour dénoncer le gouvernement et appeler à une manifestation le mardi 6 février 1934. Mobilisant des militants d’extrême-droite, celle-ci tourna à l’émeute, faisant 15 morts, plus de 1400 blessés et des dégâts matériels importants. Ayant perdu le soutien de ses alliés radicaux et malgré un vote de confiance de l’Assemblée, Daladier présenta le 7 février la démission de son gouvernement. Gaston Doumergue lui succéda en composant un gouvernement d’union nationale
Certains ont parlé du massacre du 6 février 1934. En effet, les quatorze manifestants tombés sous les balles des forces de l’ordre dans la nuit 6 au 7 février 1934 sur le pont et la place de la Concorde donnèrent un caractère macabre exceptionnel à la répression par les armes dont l’usage meurtrier n’avait été mis en œuvre à ce niveau par les forces de police, ni même par l’armée de la Troisième République, depuis les tirs à l’encontre des grévistes de Fourmies le 1er mai 1891. Ce bilan macabre ne sera dépassé que par la répression policière sanglante des manifestations algériennes d’octobre 1961…
Ce préfet de Police, Jean Chiappe était un proche de l’Action française et des Camelots du roi et de leur fondateur, Maurice Pujo. Il ne cachait pas non plus son admiration pour Franco et Mussolini… Pour la presse communiste comme pour la presse socialiste, la cause était entendue : au regard de ses déclarations à la presse, de ses relations avec les corps diplomatiques espagnol ou italien marquées par une conjugaison de nationalisme et de sacralisation de l’autorité pouvant tourner au culte du chef (voir Franco et Mussolini); le préfet Chiappe était non seulement un authentique « réactionnaire », mais aussi un véritable « fasciste ».
Cette question policière est à nouveau au cœur des débats politiques et sociaux depuis les Gilets jaunes, les Bonnets rouges, les mouvements populaires contre la réforme des retraites ou encore contre les algues vertes, et autres affrontements qui posent la question de l’usage des armes par les forces de l’ordre contre la population qu’elles sont censées défendre…
En Bretagne, comme en France, l’éventail politique est large et se positionne.
Pas étonnant qu’en Bretagne aussi, les mouvements politiques se positionnaient concernant ces émeutes sanglantes et, en mars 1934, l’éditorial de la revue La Bretagne fédérale – Breizh Kevredel titre : « Fascisme non. Fédéralisme, oui. » La manchette d’avril 1934 est encore plus explicite : « Front rouge républicain ! Front rouge prolétarien ! Front rouge minoritaire ! »
Conséquemment, au fédéralisme, au pacifisme et à l’anticolonialisme initial s’ajoute l’antifascisme en 1933-34.
Dès 1932, sous la plume de Goulven Mazéas, le journal revue La Bretagne fédérale – Breizh Kevredel avait déjà justifié la scission de 1931 par le refus du repli identitaire, xénophobe, nationaliste, bretocentriste et passéiste en rejetant l’attraction des chefs du PNB, dont Olier Mordrel, pour le fascisme et le racisme nazi.
Dans cette logique, en avril 1934, La Bretagne Fédérale – Breizh Kevredel appelle « les travailleurs bretons à organiser immédiatement nos comités de défense antifasciste » afin de se battre pour la « libération nationale et sociale du peuple breton ». En condamnant sans ambages le nazisme en 1933, la Ligue fédéraliste de Bretagne tient un discours révolutionnaire marxiste qui, sous l’égide du prolétariat, condamne « les deux « formes de l’hystérie politico-capitaliste : l’impérialisme français, le fascisme hitlérien », un discours que le PCF n’aurait pas désavoué, nous dit l’historien Christian Bougeard dans Les gauches au temps du Front populaire. Il est incontestable que des hommes de la gauche laïque bretonne militent au début des années 1930 dans la fraction du mouvement breton qui s’engage dans le combat démocratique avec les partis de gauche français dans les comités antifascistes et au Secours Rouge international.
Ceci dans l’esprit du premier numéro de la revue politique de la Ligue Fédéraliste de Bretagne, La Bretagne fédérale – Breizh Kevredel, qui indique le 20 novembre 1931 dans son éditorial :
« La vérité, c’est que nos maîtres nous arrachent morceau par morceau le sentiment de ce que nous sommes afin de nous remplir d’un ardent amour pour une prétendue patrie, patrie marâtre déjà adoptée par ceux qui ignorent leur mère patrie… Le sang qu’on nous a fait verser ne témoigne rien, si ce n’est qu’on nous a déjà fait faire une fausse route, que nous avons peut-être renié une nationalité effective pour adopter une nationalité fictive à laquelle notre sang, notre race sont complètement étrangères… »
C’est le moment que choisit Goulven Mazéas pour publier en 1934 le « Social fédéralisme ».
Son livre est préfacé par Armand Charpentier né à Brest en 1864, et mort à Saint-Germain en Laye, le 19 juin 1949.
Ce dernier est alors un journaliste dreyfusard, militant pacifiste, membre du Parti radical dès 1901, puis de la SFIO en 1917; membre la LICA et de la Ligue internationale des combattants de la paix et du Rassemblement international contre la guerre et le militarisme. Le même Armand Charpentier s’oppose au patriotisme guerrier qui a débouché sur la Première Guerre mondiale. Et dix ans après avoir rédigé cette préface à « Social fédéralisme », c’est au nom du pacifisme qu’il choisira de suivre la politique de collaboration avec l’Allemagne, après l’Armistice de juin 1940…
Venant confirmer que personne n’est à l’abri de mauvais choix motivés par de bonnes idées…
La doctrine de Goulven Mazéas est on ne peut plus claire : « À l’heure où les démocraties croulent, expiant ainsi la faute de n’avoir été démocraties que de nom, quand l’Occident, dans une marche rétrograde, s’engage yeux bandés dans la voie des nationaux-socialismes, ultimes remparts de l’internationale capitaliste, quand par le monde le summum de la civilisation se juge à l’appareil guerrier dont croit devoir se glorifier chaque pays, au raffinement et au grandiose apparat que revêtent les meurtres collectifs organisés et avant que les peuples ne soient enlisés dans la glu paralysante des fascismes, il convient aux éléments encore sains composant l’humanité simplement civilisée, c’est-à-dire dépouillée des bas instincts de l’homme animal, d’opposer aux nationaux-socialismes étroits, égoïstes et barbares, à leur autoritarisme absolu et outrancier, un programme de liberté, de justice et d’humanité, social et international. »
Et, ses propos sont toujours d’actualité devant les ravages de « l’internationale capitaliste », des « meurtres collectifs organisés », « la glu paralysante des fascismes », les nationalismes « étroits, égoïstes et barbares, et leur autoritarisme absolu et outrancier » dont nous sommes aujourd’hui encore les témoins directs de l’histoire qui s’écrit devant nous dans le contexte du changement climatique et des crispations des États-Nations face aux enjeux d’accès à l’eau et aux ressources naturelles, face aux enjeux humanitaires des migrations contraintes de populations fuyant guerre, famine, désertification et montées des eaux…
On retrouve dans ce livre de chevet « Social-Fédéralisme », certains thèmes récurrents chez les fédéralistes des années 30 : la défense de la paix internationale, de la démocratie et de l’émancipation individuelle. Goulven Mazéas porte une attention particulière à la construction d’une Europe unie, dans laquelle il défend la reconnaissance des « véritables nations » et l’intégration comme membres à part entière de la Catalogne, de la Bretagne, de l’Écosse ou du Pays Basque. L’ouvrage est également fortement marqué à gauche : Goulven Mazéas y dénonce la domination des pouvoirs de l’argent, le capitalisme et la ploutocratie qui dirigent les régimes occidentaux de l’entre-deux guerres.
Il refuse fermement et dénonce le national-socialisme, vu comme le dernier avatar du capitalisme, de l’impérialisme et du centralisme de démocraties occidentales bien malades. Le fédéralisme est alors le moyen de lutter contre l’impérialisme et les fascismes à l’œuvre sur le continent. Goulven Mazéas dénonce avec violence le nationalisme d’État et le racisme de son époque. Pour autant le modèle du communisme soviétique ne lui convient pas car il ne garantit ni la liberté ni l’émancipation individuelle, et aboutit paradoxalement au nivellement par le bas des conditions de vie et de travail.
Et, aujourd’hui, l’actualité des difficultés d’accès à l’immobilier et au logement, fait écho à l’un de ses idéaux politiques : défendre l’accès pour tous les travailleurs à la petite propriété. A ce propos il cite et interprète Proudhon : « La propriété c’est le vol. Pour supprimer cette espèce de vol, il faut l’universaliser. Ce qui revient à déclarer que la propriété doit être mise à la portée de chacun. » Il fait également l’éloge du travailleur indépendant face au salariat, et pose la question suivante : « Le salariat est loin d’être une perfection sociale ; pourquoi donc tenter d’étendre cette condition inférieure à l’humanité entière quand pour elle le progrès consisterait au contraire à s’en émanciper ? »
Le fédéralisme prôné par Mazéas vise à provoquer une paix durable pour éviter de nouveaux conflits guerriers et meurtriers comme le fut la Grand Guerre. Il vise aussi la promotion de la justice sociale couplée à l’efficacité économique. Comment ? En libérant les énergies créatives et le travail au niveau local. Projet de société qui sera repris plus tard dans le principe « Vivre, travailler et décider au pays ! » prôné par l’UDB, Union Démocratique Bretonne. Enfin, le fédéralisme prôné par Goulven Mazéas vise à protéger les valeurs fondatrices de sa vision du monde : « Pour que liberté et justice soient, il importe que l’autorité soit rattachée à la base, et non au sommet, qu’elle soit le propre du peuple et non du chef personnifié dans le gouvernement ». Instaurer une meilleure démocratie en rapprochant la prise de décisions au plus près du citoyen et en prenant en compte les minorités « La fédération au sein des États c’est la liberté rendue aux peuples minoritaires qui les composent ».
Et nous trouvons dans la pensée de Goulven Mazéas les prémices de ce qui sera plus tard le biorégionalisme, ce concept qui entend penser politique et territoire à l’échelle du vivant ; le territoire le plus approprié étant la région, en tant qu’espace naturel et culturel respecté par les peuples qui l’habitent, la façonne, l’aiment et la respectent. Régions incluses en poupées gigognes dans des ensembles plus grands et interdépendants dans des relations justes et équilibrées. Goulven Mazéas anticipait la vulnérabilité de sociétés hyper-énergivores et dépendantes des importations de denrées exotiques depuis des lieux éloignés de ceux où elles sont consommées…
Visionnaire, Goulven Mazéas l’est, et ses valeurs de paix clivent par leur idéalisme dans l’Europe des années 30 qui prend le chemin de la seconde guerre mondiale. Goulven Mazéas est lucide : « La folie hitlérique a répondu à notre attitude, et sans doute est-il désormais trop tard pour négocier avec un peuple qui a perdu toute raison, que l’esprit de revanche a conduit à la foi dans les armes dont il peut être décidé, quoi qu’il advienne, à vouloir se servir. »
Mais, il ne perd ni la foi ni le nord et, sa boussole l’oriente encore vers la reconstruction de l’Europe sur des fondations fédérales. Ainsi, après la Seconde guerre mondiale, son engagement et sa foi sans faille dans le fédéralisme lui valent d’être nommé délégué de l’Union européenne des fédéralistes au Congrès de l’Europe à La Haye en 1948.
Dès le mois de novembre 1947, un comité international de coordination des mouvements pour l’unité européenne est constitué. Aussitôt, le comité décide de sensibiliser les décideurs politiques et économiques à son projet. Mais il veut aussi marquer les opinions publiques en organisant un grand meeting pour l’Europe unie. Ce sera le congrès de La Haye en mai 1948. Ouvert par la princesse Juliana des Pays-Bas et par Winston Churchill, le congrès réunit plus de huit cents personnalités du continent européen de toutes tendances. Près de trente États sont représentés. Le congrès poursuit trois objectifs : prouver l’existence dans tous les pays libres d’Europe d’un mouvement d’opinion en faveur de l’unité du continent, discuter les enjeux de son unité et proposer aux gouvernements des solutions pratiques, insuffler une vigueur nouvelle à la campagne internationale d’opinion. Pour la première fois, la majorité des militants pro-européens, parmi lesquels
Goulven Mazéas, se trouvent rassemblés dans une atmosphère particulièrement enthousiaste. Le comité international de coordination formé après ce Congrès se transforme, le 25 octobre 1948 à Bruxelles, en un Mouvement européen. Dès sa création, celui-ci concentre son action sur la convocation d’une Assemblée européenne. C’est la création en 1949 du Conseil de l’Europe qui concrétisera, bien qu’en l’adaptant, ce projet…
Bien sûr je n’oublie pas la vie personnelle et familiale de Goulven Mazéas qui, du fait qu’il avait épousé Denise Weill, une artiste juive alsacienne, vivra des épisodes familiaux éprouvants et tourmentés du fait de dénonciations, arrestation, déportation, séquestration des biens par l’occupant nazi, etc… pendant et après la seconde guerre mondiale.
Pour ceux que cela intéresse, en tant qu’amie de Claudine Mazéas de 1970 à sa mort ; je conseille l’article publié en 2009 sur son blog par l’historien Erwan Chartier-Le Floc’h : « Claudine Mazéas, une Bretonne victime des nazis » – Voir le lien dans sources
Alors que les traces matérielles de son nom disparaîtront bientôt de Guingamp / Gwenvamp, il semblait essentiel à l’autonomiste bretonne, fédéraliste européenne, écologiste et de gauche que je suis, de rendre hommage à celui que je considère comme un père « spirituel » en politique.
Sources
Christian Bougeard : Les forces politiques en Bretagne 1914-1946
Alain Prigent : Histoire des Communistes des Côtes-du-Nord 1920-1945,
Alain Deniel : Le mouvement breton de 1919 à 1945, Maspéro, 1976
Jean-Jacques Monnier : Histoire de la Bretagne et des pays celtiques,
Kevin Jézéquel : Goulven Mazéas, du social fédéralisme à la naissance du Mouvement européen
Philippe Zoummeroff : Affaire Stavisky, manifestation du 6 février 1934
Jean-Paul Morel – Criminocorpus : L’affaire Stavisky, du fait divers au scandale financier, politique et judiciaire
Emmanuel Blanchard : Le 6 février 1934, une crise policière ? (article de 13 pages publié en 2015 dans le N° 128 de Vingtième Siècle-Revue d’histoire)
Goulven Mazéas : Social-fédéralisme, 1931
Étienne Le Norcy & Christine Manigand : Des élites d’après-guerre à la génération des années 68 en Europe – Héritage et transmission du régionalisme modernisateur breton (1963-1973).
Erwan Chartier-Le Floc’h : « Claudine Mazéas, une Bretonne victime des nazis – 2009 – http://www.ajpn.org/personne-Claudine-Mazeas-921.html
Le Mémorial des Bretons 1870-1940, Breiz Éditions, 1979
Le Mémorial des Bretons 1870-1940, Breiz Éditions, 1979
Dastum, Wikipédia, blog de Laurent de Boissieu journaliste politique,