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Skoazellañ … du Rojava à l’Ukraine

de Dominique GOURET
Publié le Dernière mise à jour le

24 février 2022, 05:30.
La vibration de son portable se fit entendre sur sa table de nuit.
Il étendit le bras et le saisit, encore plein de sommeil, manquant de le faire tomber.
« Merde ! pensa-t-il. Il est cinq heures et demie… qu’est-ce qu’il me veut à cette heure-là ? »
— « Allô… fit-il dans un bâillement… »
— …..
— « Petra ? N’eo ket gwir (1) !!??….. »

Quelques années auparavant. Septembre 2017.

Cela faisait un certain temps qu’Erwann y pensait. Que cela le démangeait même.
Aider.
Aider ces gens, cette population, qui souffraient. Depuis longtemps. Depuis trop longtemps. Qui étaient à nouveau sous les bombes. Des gens qui se défendaient magnifiquement pourtant. Peut-être à cause de cela. À cause des bombes.
Depuis qu’il était revenu vivre dans sa ville natale, au centre de cette presqu’île guérandaise berceau de sa famille, Erwann partageait son temps entre son travail d’infirmier dans un cabinet en ville, ses footings quasi-quotidiens et les associations auxquelles il apportait son concours et son enthousiasme. Ses fils étaient grands maintenant, partis poursuivre des études supérieures l’un à Nantes et l’autre à Rennes.

Autant dire qu’ils ne rentraient pas chaque week-end, cela lui laissait du temps de même qu’à son épouse, il avait donc décidé d’en donner un peu aux restos du cœur, ainsi qu’à la défense de quelque chose également important pour lui, la culture bretonne. Sa culture, ici, à Guérande. Un peu plus mise à mal, jour après jour, par le rouleau compresseur de la mondialisation, après celui de l’état central, et par une certaine indifférence ambiante.

Comme disait son copain Loïc dans un grand rire : « Gast ! (2) Ça fait mille deux-cents ans qu’on résiste : on va continuer ! »

Comme tout le monde il suivait les infos ― quelquefois d’un peu loin, il le reconnaissait volontiers, car aux journaux télévisés il lui semblait que c’était plutôt rabâchage et faits divers sordides qu’aide à la réflexion.
Tandis qu’il effectuait son footing journalier ― un jour le matin tôt, un autre jour le midi ou le soir, selon les disponibilités que lui laissait son planning de travail ― en courant une heure autour des remparts de la vieille ville ou sur les chemins de campagne avoisinants les idées fusaient et s’entrechoquaient dans son cerveau, peut-être aussi un effet des endorphines libérées par l’effort physique.

Un été précédent, il avait été mandaté par Gwenrann Keltiek, la fédération des associations celtiques de Guérande/Gwenrann, pour participer à une rencontre internationale des cultures minoritaires, en marge du Festival inter-celtique de Lorient. Loïc l’avait accompagné. Un grand moment, riche et fort. La présence de délégations de nombreux peuples minoritaires, ou non-reconnus en tant que tels, ou étouffés par leurs puissants voisins. Des Bretons donc, mais aussi des Basques, des Corses, des Écossais en voie de reconnaissance, des Catalans de même, des Gallois, des Kurdes, des Berbères, et même des Touaregs et des Indiens du Chiapas.
Ainsi qu’un Tibétain et un Ukrainien de passage.

Discussions passionnées. Forums survoltés. Repas partagés. Et, le dernier soir, un grand fest-noz animé par des sonneurs puis par le groupe Digresk. Tradition et guitares électriques. Transe de la danse et de la musique fusionnées. Le tout dans les effluves de bière et de chouchenn.

Un dernier grand moment.

Il avait gardé plein de contacts.
En effet, il connaissait le Rojava, le Kurdistan syrien. Il y avait été sensibilisé par Ardî, ce jeune kurde rencontré à Lorient qui terminait ses études d’ingénieur en France, ils avaient sympathisé et pas mal échangé sur les cultures kurde et bretonne. Et Ardî lui avait raconté l’histoire de son peuple, jamais reconnu, et écartelé entre quatre états qui le maltraitaient.
Ardî retourné dans son Kurdistan, ils étaient restés en contact par internet ― quand les combats au Rojava le lui permettaient.
— « Erwann, tu es infirmier. On a besoin de toi ici. Besoin de toutes les bonnes volontés. On peut gagner contre Daesh, malgré l’aide que les Turcs leur apportent, mais on a beaucoup de blessés. Viens nous rejoindre, viens nous aider… »
— « Je ne peux pas Ardî, j’ai mon travail. Ma famille. Mes activités … »
Jusqu’à ce dernier mail envoyé par la sœur d’Ardî, Zera, par l’adresse mail de son frère. Elle ne parlait pas français. Elle avait juste envoyé une photo de son frère, on le voyait allongé sur une civière, les deux jambes de son treillis ensanglantées, du sang partout. Erwann s’était renseigné, il venait d’y avoir une bataille acharnée et sanglante pour le contrôle de la ville de Kobané.

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Combattantes kurdes du Rajava – YPJ Navenda Ragihandiné

On était en 2014.

Erwann pensait souvent à lui, ne sachant s’il était mort ou vivant, les messages qu’il lui avait adressés par la suite étant restés sans réponse.

Jusqu’à ce mail fin 2015, dans lequel Ardî lui annonçait qu’après plusieurs mois de rééducation (il ne précisait pas où), il était de nouveau opérationnel et de retour dans son unité de combattants YPG (3). Même s’il boitait encore un peu.
Et là, tout en courant et en contrôlant son souffle, son esprit y revenait constamment. Et il finit par se demander ce qu’il pouvait faire de vraiment efficace pour l’aider, ce peuple courageux sous les bombes. Il avait en tête l’image vue à la télé de ces combattants armés qui avaient résisté à Daesh, repris l’offensive et regagné du terrain.

Ainsi que celle de ces jeunes femmes, ces combattantes enturbannées aux uniformes verts, qui avaient l’âge de ses fils pour certaines. Il avait vu tout ça aux infos. Il correspondait toujours avec Ardî, qui l’informait de loin, non sans continuer à demander son aide. Et au plus profond de lui ça le prenait aux tripes. Ce n’était pas possible de laisser encore cette population se faire bombarder, après avoir combattu et repoussé victorieusement les barbares de Daesh ! Et l’idée avait fait son chemin petit-à-petit. Elle avait infusé en lui au fil des mois.

Une idée que son épouse Solenn était loin de vraiment partager.

— « Tu pourrais faire partie d’une association de solidarité. Agir sur internet. Te joindre aux manifs et aux rassemblements à Nantes ou à Rennes. Envoyer du matériel de soins. »
— « J’ai envie de faire plus. Je suis soignant. Je pourrais y aller. »
— « Mais ça ne va pas ?? Elle était rouge de colère. Et moi je reste là à t’attendre, c’est ça ? »

Non, ce n’était pas cela. Il avait juste envie de faire du concret. D’arrêter avec le baratin et d’enfin faire quelque chose… Sa décision était prise : il allait y aller, partir sur le terrain. Il était infirmier, il saurait se rendre utile. Aider à acheminer du matériel de soin et 3 YPG : unités de protection du peuple, organisation para-militaire kurde des médicaments. Et une fois sur place, aider concrètement, soigner les blessés et la population.

— « Et tes fils ? Tu y as pensé ? Et pour Noël, on va faire quoi cette année ? »
— « Les garçons… j’espère qu’ils pourront être fiers de leur père. Quant à Noël, on n’est pas rendus, on verra… »
— « Si tu en reviens !... »
Et Solenn était sortie en claquant la porte.

Noël 2017. Quelque part au Rojava, Kurdistan syrien.

La messe de minuit se terminait.
Erwann n’était pas particulièrement croyant, mais il fêtait habituellement Noël en famille, cadeaux et repas de rigueur, une pause familiale habituelle et bienvenue dans la vie de tout le monde. Là c’était évidemment différent. Il avait voulu marquer le moment, et accompagner ses amis kurdes chrétiens. L’embryon d’État mis en place par les Kurdes au Rojava acceptait tous les cultes sans exclusive, être kurde n’était pas une affaire de religion.

La laïcité professée officiellement tolérait tout le monde, athées, agnostiques, musulmans sunnites ou chiites, chrétiens, yézidis,… Une grande première au Moyen-Orient. Un cas unique même. Les Yézidis, en ce qui les concernait, avaient vraiment souffert des exactions de Daesh, ceux-ci quand ils prenaient leurs villages massacraient les hommes et violaient les femmes et les filles avant de les vendre comme esclaves sexuelles à leurs affidés.

Le Rojava montrait, lui, qu’une autre société était possible, ouverte à tous et à toutes.

Car les femmes y avaient toute leur place, malgré le patriarcat toujours présent. Elles avaient même monté leurs propres unités combattantes, les YPJ (4).

Cela faisait quelques semaines qu’Erwann œuvrait comme infirmier « volant », allant d’un hôpital de campagne à un centre de soins en village ou à un poste avancé présentant des blessés. Souvent accompagné par Ardî, qui avait été reconverti dans la logistique et la formation des nouvelles recrues, il avait maintenant le grade de lieutenant. Erwann s’était d’abord rendu en simple touriste au Liban, plaque tournante du Proche-Orient et de tous les trafics, où il avait rejoint, moyennant finances bien sûr, des contacts qui l’avaient mené à un convoi humanitaire en partance, porteur de matériel médical et de médicaments. Convoi que des passeurs, toujours moyennant finances, avaient guidé par des routes de montagne sinueuses, ils avaient ainsi atteint, il ne savait comment, sa destination finale, la région d’Efrîn au Rojava, tout près de la frontière turque.

C’est là qu’il avait retrouvé Ardî.

Effusions de leurs retrouvailles au bord du désert.
Ardî avait beaucoup maigri, il boitait un peu, et son visage maintenant était triste, il n’avait plus l’insouciance qu’il affichait à Lorient quand ils s’étaient rencontrés. Ardî lui avait présenté sa sœur Zera, une combattante des YPJ aux longs cheveux noirs réunis en tresse.

Et ils avaient discuté tous les trois, avant que d’autres ne les rejoignent. Puis rediscuté. Et encore tard dans la nuit, tout en buvant du thé ― Ardî servait d’interprète entre eux, Erwann voulait tout comprendre de ce qui se passait ici, Zera voulait connaître la vie en Europe. Ardî lui avait raconté la révolution kurde en cours, le combat acharné contre Daesh, les attentats fréquents de kamikazes islamistes, la société qu’ils construisaient ici, « le confédéralisme démocratique », loin du pouvoir syrien, la langue qu’ils enseignaient aux enfants. Ils et elles, car les femmes avaient pleinement leur mot à dire. « Peut-être même plus qu’en France » avait souri Ardî.

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Carte du Rojava

Et puis les missions s’étaient enchaînées.

Erwann ici se sentait vraiment utile.
Chez lui aussi à Guérande il se sentait utile bien sûr, mais sa vie était tout de même très 4 YPJ : unités de protection de la femme, organisation para-militaire kurde composée exclusivement de femmes auto-centrée. Tandis qu’ici… il soignait, il transportait, il conseillait, il aidait. Sans relâche.

Sans avoir le sentiment d’être vraiment fatigué. Et sans même y penser. Ardî avait voulu lui apprendre un rudiment de maniement d’armes « Ça pourra te servir tu sais » mais Erwann traînait un peu les pieds « Je suis venu vous aider comme infirmier, pas pour apprendre à tirer »… Ardî avait ri et lui avait répondu « Tiens, je vais te présenter un Breton qui est venu nous aider aussi, mais lui comme combattant… »

C’est ainsi qu’il avait rencontré Olivier …

Qui se faisait appeler Kendal Breizh, mais que les Kurdes nommaient Hogir (5).

Il était tireur d’élite et opérateur lance-roquettes, ciblant les commandos infiltrés de Daesh, lors de traques et d’attente parfois interminables. C’était un garçon idéaliste du Morbihan, qui avait rejoint le Rojava en tant que Breton et en tant que libertaire internationaliste. Mais ici les étiquettes n’avaient plus d’importance. Communistes, révolutionnaires, nationalistes, anarchistes, ou rien du tout, les volontaires étrangers avaient en commun de vouloir en finir avec les monstres de Daesh et d’apporter leur pierre à la construction d’un Kurdistan libre et autogéré. Kendal Breizh lui avait dit en riant « Étant donné le comportement de Daech avec les populations, on peut dire qu’on fait de l’humanitaire. C’est juste que nos outils ne sont pas tout à fait les mêmes. » Ils avaient tous ri. Et là, à la lumière du feu de camp improvisé, Erwann avait remarqué le visage éclairé de Zera, elle avait tressé ses cheveux en chignon relevé, son turban installé en foulard autour de son cou, sans maquillage, sans bijou, il l’avait trouvée belle dans la clarté des flammes, belle et réservée bien sûr, et cette lueur dans ses yeux, leurs regards s’étaient croisés, il lui avait souri, elle avait souri légèrement elle aussi, rougi puis baissé la tête.

Kendal Breizh lui avait expliqué plus tard que les filles s’enrôlaient aussi dans les YPJ pour échapper au patriarcat encore bien vivace malgré l’idéologie égalitaire officielle, qu’elles formaient des unités entièrement féminines qui se battaient comme des tigresses, mais pouvaient également, si elles étaient gradées, commander des groupes d’hommes, et que les histoires d’amour étaient plutôt mal vues en public. Encore plus avec les volontaires étrangers.

Erwann se dépensait sans compter, soignant les plaies, les fractures, les amputations, surveillant les bandages, refaisant les plâtres d’enfants, d’adultes, de vieillards, s’efforçant d’éduquer un minimum dans le domaine de la santé, conseillant, soignant à nouveau, et essayant de s’initier à la langue kurde, bien différente et du français et du breton. Il joignait de temps à autre Solenn et les garçons, plutôt par mail, plus sûr que les portables, ainsi que son copain Loïc très curieux de connaître sa vie au Kurdistan.

« Putain t’es un héros Erwann, penn-kalet (6) ! On parle souvent de toi. »
Non il ne se sentait pas un héros, il avait juste pris ses marques ici, et posait jour après jour sa propre pierre à l’édifice kurde en construction.

Sa vie, malgré la guerre présente, était pleine et utile.

Jusqu’à ce jour de janvier 2018, où l’armée turque avait pilonné les positions kurdes et était sortie de ses frontières. Les Turcs d’Erdoğan n’aimaient pas ces Kurdes syriens qui pouvaient entraîner la contagion et la chienlit chez les Kurdes de Turquie de l’autre côté de la frontière. Ils avaient attaqué Efrîn et enrôlé des supplétifs islamistes qui se comportaient en barbares. À nouveau des morts, des blessés, des destructions. Kendal Breizh avait encore fait merveille un temps contre les snipers islamistes et les chars turcs. Mais un bombardement aérien l’avait finalement réduit au silence. Il était mort les armes à la main.
Les Kurdes, écrasés par le nombre, ne pourraient plus résister très longtemps. L’unité de Zera était tombée dans une embuscade dans un village voisin, plusieurs filles avaient été tuées ― elle n’avait pas eu d’autre choix, retranchée dans une maison isolée, que de se faire sauter avec la grenade qu’elle portait à la ceinture, elle savait le sort horrible qui l’attendait si elle était prise vivante…

Le bataillon d’Ardî avait aidé à l’évacuation des populations civiles vers les cantons voisins, Erwann l’accompagnait. Un chaos indescriptible se poursuivait, bombardements, mines, explosions, civils tués et blessés, combattants déchiquetés, et troupes turques avançant. Celles-ci avaient pris Efrîn, multipliant massacres, viols et exactions, enlevant des femmes pour fournir leurs bordels militaires, mais les Kurdes alentour résistaient et se lançaient dans des opérations de guérilla. Tandis que tous ceux qui le pouvaient avaient rejoint Kobané. C’est lors d’une évacuation de village qu’Erwann fut grièvement blessé par l’explosion d’une mine dans une rue, il reçut des pierres projetées violemment par la déflagration et ressentit une intense douleur à une cuisse et à la tête, il voyait le sang inonder son pantalon de treillis et pensa mourir sur place, avant de s’effondrer et de s’évanouir…

Le retour fut difficile.

Hôpital à Kobané, où il fut soigné pour de multiples plaies profondes à la jambe droite et à la tête. « Terminés les footings. Estimez-vous heureux, vous auriez pu y laisser la jambe, voire la vie » lui avait dit le médecin-chef, un volontaire belge.
Évacuation sanitaire vers la France et admission quasi-incognito à l’hôpital des armées Percy à Clamart. Où un comité d’accueil de la DGSE le cuisina pendant de longs moments. Mais, comme aurait dit Kendal Breizh, « il faisait de l’humanitaire » et pour lui cela était vrai. Ils voulaient surtout avoir des renseignements sur les volontaires français engagés au Rojava. Mais ― ah, malchance ! ― Erwann avait perdu en grande partie ses souvenirs kurdes. L’effet du choc. Enfin… c’est ce qu’il leur dit, et qui fut noté dans son dossier.

Retour à Guérande / Gwenrann.

Après un peu de repos, la reprise de sa vie. Comme si de rien n’était.
Ou presque.
Il revoyait sans cesse ces paysages en bordure de désert, sable et pauvre terre mêlés où poussaient de rares arbustes rabougris, les uniformes défraîchis des YPG, la coquetterie malgré tout des filles des YPJ dans leurs tenues militaires où elles accrochaient un petit nœud de couleur, ou un ruban, ou une fleur en papier, il entendait à nouveau les youyous des femmes, les rires et les cris des enfants, les chants des YPJ le soir, il revivait le sourire timide de Zera et l’accolade d’Ardî. Et le bruit des combats. Tout était en lui, bien sûr. Tout serait toujours en lui. Y compris maintenant une profonde tristesse.

Et la vie, sa vie, avait repris son chemin habituel les mois suivants.

Il faisait toujours ses domiciles, mais s’attardait un peu plus peut-être avec les personnes qui lui semblaient les plus fragiles. Quand on lui demandait l’origine des cicatrices sur son visage, il répondait dans un sourire « Je reviens du front… » et les gens riaient avec lui « Ah heureusement que non mon pauv’ monsieur, mon père a fait la guerre de 39-45 et mon grand-père celle de 14 et c’était pas beau à voir… » Il ne répondait rien, mais les guerres contemporaines non plus n’étaient pas belles à voir, même si elles se passaient au loin.

Il avait évidemment abandonné les footings, mais s’obligeait en contrepartie à essayer de marcher une heure. Et très souvent sa cuisse le rappelait à l’ordre bien avant…
Alors il s’asseyait sur un banc à l’extérieur des remparts, et regardait les arbres, les érables, chênes, platanes, et bouleaux présents. C’était aussi cela qui manquait à ces pays en guerre : des arbres…

Il avait repris ses activités culturelles, estimant qu’en défendant la culture bretonne, surtout ici en Loire-Atlantique, c’était un peu du Rojava qu’il défendait aussi. Il avait de temps à autre des nouvelles d’Ardî, qui lui demandait « Quand est-ce que tu reviens ? »…
Solenn, qui avait très mal vécu son départ, ne lui avait posé aucune question à son retour. Simplement satisfaite de sa présence à nouveau. Et ses garçons lui avaient dit qu’ils étaient fiers de lui.
La vie. Sa vie. Toute simple. Mais c’était sa vie. Celle qu’il avait failli perdre.

Et puis… 24 février 2022, 05:30.

La vibration de son portable se fit entendre sur sa table de nuit.
Il étendit le bras et le saisit, encore plein de sommeil, manquant de le faire tomber.
« Merde ! pensa-t-il. Il est cinq heures et demie… qu’est-ce qu’il me veut à cette heure-là ? »
Allô…
— ……..
— « Petra ? N’eo ket gwir !!?? Attends deux secondes… Il se leva promptement pour ne pas trop réveiller Solenn et sortit de la chambre. Répète… !!? »
— « Poutine vient d’annoncer une « opération militaire spéciale » en Ukraine. Les troupes russes ont commencé à l’envahir. »
Erwann resta sans voix. Ça recommençait…
— « Je vais essayer d’appeler Viktor. J’te rappelle. »

Viktor était le jeune Ukrainien qu’ils avaient rencontré à Lorient le fameux été. En attendant que Loïc le rappelle, Erwann alla se faire un café et alluma une chaîne d’info à la télé. Effectivement, le maître du Kremlin avait en fin de nuit lancé ses troupes à l’assaut de la petite Ukraine voisine. Une guerre entre deux états recommençait en Europe, quatre-vingt ans après la seconde guerre mondiale. Toujours la même histoire, le gros qui essaie de manger le petit. « Putain ! Mais l’Ukraine c’est nos cousins ! » pensa-t-il. Des Européens, quoi merde ! Une guerre entre pays soi-disant civilisés !

Son téléphone vibra à nouveau.
— « J’ai eu Viktor. Il est à Kiev« .
Effectivement, les Russes ont commencé à envahir l’Ukraine cette nuit. La résistance se met en place, les troupes ukrainiennes luttent comme elles peuvent et la population est sidérée mais ne va pas se laisser faire, les gens commencent à sortir dans les rues. Il va y avoir du grabuge. Viktor réclame de l’aide…
Erwann soupira et prit son portable. Il se sentait subitement vidé.
Il imaginait parfaitement la suite à venir. Les combats. Les bombardements. Les innocents tués. La résistance des hommes et des femmes. Les morts. Les blessés. L’exode des civils. La cohorte des réfugiés. Les crimes de guerre.

Mais aussi la solidarité internationale.
C’était reparti, la guerre.
Il revit le visage d’Ardî. Celui de Zera. Ils se confondirent avec les premières images télévisées des civils en Ukraine.
Il commença à faire défiler lentement la liste de ses contacts…
(Dédié aux populations du Kurdistan et d’Ukraine)

* Skoazellañ : aider, assister, secourir, en breton

(1) Petra ? N’eo ket gwir !!?? : (Quoi ? C’est pas vrai !?, en breton)
(2) gast : putain, en breton
(3) YPG : unités de protection du peuple, organisation para-militaire kurde
(4) YPJ : unités de protection de la femme, organisation para-militaire kurde composée exclusivement de femmes
(5) Hogir : l’ami, le camarade, en kurde
(6) penn-kalet : tête dure, obstiné, en breton

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