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Menhirs et dolmens : l’Armorique berceau des mégalithes européens
Menhirs et dolmens : l’Armorique berceau des mégalithes européens.
En Bretagne, les pierres parlent. Elles ne murmurent pas. Elles proclament.
Depuis des millénaires, elles dressent leur silence vers le ciel, traversent les siècles, et défient les mémoires.
Car ici, bien plus qu’ailleurs en Europe, l’Homme a façonné la pierre pour laisser une empreinte. Une empreinte géante, énigmatique et sacrée.
Des pierres debout, bien avant les pyramides
Beaucoup l’ignorent encore, mais l’Armorique est le cœur originel du mégalithisme européen. Bien avant Stonehenge, bien avant les pyramides d’Égypte, nos ancêtres armoricains élevaient déjà des menhirs et bâtissaient des dolmens. À Karnag, les premiers alignements de pierres auraient été dressés dès 4800 avant notre ère. C’est-à-dire plus de deux mille ans avant les premières pyramides !
Un record mondial souvent passé sous silence.
Or, ce mégalithisme n’est pas un phénomène isolé. Il est massif. Plus de six mille menhirs, dolmens, tumulus et cairns sont recensés sur tout le pays dans près de 550 sites. Chaque vallée, chaque lande, chaque rivage conserve des témoins de cette période mystérieuse. Il ne s’agit donc pas d’une curiosité folklorique, mais bien d’une véritable civilisation mégalithique, née ici, dans ce qui est aujourd’hui la Bretagne.
Mais pourquoi la Bretagne ?
Ce n’est pas un hasard. La péninsule armoricaine présentait à l’époque de nombreux atouts. D’abord, une abondance de granite, de schiste, de grès. Ensuite, un climat relativement doux et stable, propice à la sédentarisation. Enfin, un fort ancrage dans les réseaux maritimes néolithiques. Par la mer, les savoir-faire se diffusent. Et c’est bien depuis les côtes bretonnes que la culture mégalithique s’est propagée vers les îles Britanniques, puis vers la péninsule ibérique et la Scandinavie.
La Bretagne aurait donc été le foyer d’origine. Un véritable centre spirituel et technique, d’où rayonna une nouvelle manière d’habiter le monde. En dressant des pierres, nos ancêtres inscrivaient leur lien au pays, à la terre, à la mort, au sacré. Une révolution mentale autant qu’architecturale.
Carnac / Karnag, capitale mondiale du mégalithisme
Quand on évoque les mégalithes bretons, un nom surgit immédiatement : Carnac / Karnag. Et pour cause ! Ses alignements comptent plus de 3 000 menhirs, sur près de quatre kilomètres de long. Le site est unique au monde. Les rangées de pierres s’étendent comme une armée figée. Droit vers l’inconnu.
Mais Karnag n’est pas qu’une prouesse technique. C’est un centre cérémoniel, probablement lié au cosmos. Les alignements suivent des logiques astronomiques, solaires, lunaires. Ils témoignent d’une connaissance fine des cycles naturels. Nos ancêtres n’étaient pas de simples tailleurs de pierre. Ils étaient astronomes, prêtres, bâtisseurs et navigateurs.
Carnac / Karnag n’est qu’un exemple.
Locmariaquer / Lokmaria Kaer, Erdeven, Le Menec / Ar Vaeneg, Kermario, Kerleskant, les sites se multiplient dans la région. Et chacun possède ses spécificités. Des tumulus géants comme celui de Saint-Michel. Et des dolmens couverts de gravures énigmatiques. Des cairns qui abritent les morts et connectent les vivants à l’au-delà.
Une symbolique encore mystérieuse
Mais au fond, que signifient ces pierres ? Pourquoi tant d’efforts pour les ériger ? Là encore, les hypothèses sont multiples. Certains y voient des marqueurs territoriaux. D’autres, des temples à ciel ouvert. D’autres encore, des points de passage entre le monde des hommes et celui des dieux.
Les dolmens, par exemple, sont souvent interprétés comme des chambres funéraires. On y déposait les morts, accompagnés d’offrandes. Mais tout indique que ces lieux servaient aussi à des rituels collectifs. Ils incarnaient un lien fort avec les ancêtres, avec la mémoire. En y entrant, on entrait dans l’intimité du groupe, de sa lignée.
Quant aux menhirs, leur rôle reste plus flou. Certains alignements suivent le lever du soleil aux solstices. D’autres pointent vers des étoiles précises. Leur verticalité évoque la puissance, la fécondité, la connexion entre la Terre et le ciel. Peut-être sont-ils les totems d’un monde où le spirituel et le quotidien ne faisaient qu’un.
Une organisation sociale avancée
Il ne faut pas sous-estimer les capacités des sociétés néolithiques. Ériger un menhir de plusieurs tonnes, sans roue ni métal, demande une coordination impressionnante. Cela implique des dizaines, voire des centaines de personnes. Il fallait extraire la pierre, la tailler, la transporter sur plusieurs kilomètres, puis la dresser. Tout cela dans un but commun. Cette prouesse suppose une hiérarchie, des savoirs, et une forme de cohésion sociale.
Ainsi, le mégalithisme n’est pas un art brut. C’est le reflet d’une société structurée, visionnaire. Une société qui place la mémoire au cœur de son projet. Une société pour qui la pierre n’est pas seulement un outil, mais une messagère.
Héritage et malentendus
Au fil des siècles, les pierres ont changé de statut. Parfois vénérées, parfois oubliées, parfois détruites. Au Moyen Âge, elles furent souvent diabolisées. On les disait païennes, maléfiques. Certains menhirs furent abattus ou réutilisés dans la construction d’églises. Une manière symbolique d’effacer les racines.
Mais au XIXe siècle, le regard change. Des érudits redécouvrent leur valeur historique. Des archéologues comme Zacharie Le Rouzic ou James Miln consacrent leur vie à les étudier. Grâce à eux, les mégalithes bretons retrouvent leur place dans l’histoire humaine. Aujourd’hui encore, ils fascinent les scientifiques du monde entier.
Malheureusement, cette reconnaissance reste partielle. Les alignements de Carnac viennent tout juste d’être inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO quand les terrils de déchets des mines de charbon du nord de la France le sont depuis des années. Car c’est bien ici que s’écrit une part essentielle de l’histoire européenne. Une histoire de pierre, de mémoire et d’humanité.
Une terre fondatrice, au sens plein du terme
Dire que l’Armorique est le berceau du mégalithisme européen, ce n’est pas un simple slogan. C’est un fait. Scientifique, culturel, géographique. Ici, les hommes ont inventé une manière d’habiter la Terre, en dialogue avec le cosmos. Ici, ils ont inscrit leur passage dans la matière la plus durable : la pierre.
Et cette pierre, aujourd’hui encore, nous parle.
Elle nous dit d’où nous venons.
Nous rappelle que la Bretagne ne commence pas avec les Celtes, ni avec les ducs. Elle commence bien avant, quand des mains anonymes ont dressé les premiers menhirs face à l’horizon.
Comme un acte fondateur.
Comme une promesse éternelle.
Merci à Patrick C. pour cette magnifique photo d’une allée couverte vers Karnag en Morbihan