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Toponymie au Pays de Galles / Cymru : article de Stephen Price dans Nation Cymru, traduit par NHU Bretagne
Toponymie au Pays de Galles / Cymru.
Les noms de lieux du pays de Galles sont pour moi une source d’infinie fascination : notre histoire riche se déploie sur tout le pays sous une forme poétique pure. Chaque hameau, village, bourg, ville et tout ce qui existe entre les deux laisse deviner une industrie passée, un propriétaire ancien, une flore locale, et bien plus encore.
Les noms de lieux gallois, en plus d’être poétiques, exposent aussi au grand jour les conflits qui ont fait rage pendant plus d’un millénaire, ainsi que l’impact du statut du pays de Galles en tant que première colonie de l’Angleterre, une terre qui a résisté, défié et tenu bon, mais qui est incontestablement meurtrie, culturellement, économiquement et linguistiquement.
Cette tension s’exprime dans nos toponymes sous de multiples formes : des noms anglais alternatifs avec des origines totalement différentes (par ex. Swansea / Abertawe), des implantations nouvelles avec seulement un nom anglais (par ex. Fairbourne), des lieux avec un nom gallois et un nom anglais partagé (par ex. Brynmawr), ou très souvent un nom gallois et sa version anglicisée (Caerdydd / Cardiff). Nous avons même quantité de noms anglais « galloisés » (par ex. Niwbwrch).
Un mélange réjouissant ? La question reste ouverte.
Si vous êtes comme moi, ou comme l’historien brillant et bien mieux informé Josef Roberts de Tirlun, c’est une source de joie inépuisable. Chaque trajet ou chaque carte fournit une nouvelle étincelle : nouvelles découvertes, nouvelles histoires à remonter.
Aberdâr / Aberdare, Blaenafon / Blaenavon, Aberpennar / Mountain Ash, Beaufort / Cendl, Aberteifi / Cardigan… Un décryptage sans fin, des plongées et des dénouements dans des histoires complexes, dont beaucoup sont perdues depuis longtemps.
Les noms gallois font constamment l’actualité, dans la presse encore et encore : mauvaise traduction d’un panneau, pétition pour renommer notre propre pays…
Et le mois dernier encore, l’annonce par North Wales Wildlife Trust que sa réserve naturelle près de Tal-y-bont, Bangor, retrouvera son ancien nom gallois Llyn Celanedd a été largement saluée. Le nom récent « Spinnies Aberogwen », nettement moins élégant, est remplacé.
Le New York Times
Lorsque le New York Times a fait l’éloge de y Bannau Brycheiniog dans sa liste de janvier 2024 des meilleurs endroits au monde à visiter, nous avons eu la preuve éclatante de l’impact positif d’une nation qui reprend fierté et confiance dans l’un de ses éléments essentiels : sa langue.
Cette reconnaissance confirmait brillamment que la décision d’utiliser uniquement le nom gallois du parc national était la bonne, et, comme le montre le geste de North Wales Wildlife Trust deux ans plus tard, qu’un précédent est désormais établi.
Le New York Times a salué le choix du nom gallois et le fait de « préserver la culture galloise au cœur de ces paysages montagneux ».
La journaliste Susanne Masters écrivait :
« Reprendre le nom Bannau Brycheiniog pour un parc national bien-aimé du pays de Galles, l’an dernier, représentait bien plus qu’un changement linguistique : ce fut un choix destiné à mettre en lumière la culture galloise de ce parc de 520 milles carrés, autrefois appelé Brecon Beacons. L’accent mis sur la relation entre nature et culture locale s’exprime également dans un nouveau logo. »
L’acteur gallois Michael Sheen a participé à un court-métrage émouvant pour accompagner ce changement de nom en avril 2023, le décrivant comme « un nom venu de notre passé, pour nous mener vers notre avenir ».
Un nom dépassé
Aujourd’hui, relire des articles qui utilisaient encore le nom Brecon Beacons semble incroyablement désuet et inapproprié pour la Cymru actuelle. Et inutile de mentionner la mode, venue d’Angleterre, qui consistait à l’appeler « the Brecons ».
À l’époque, des entreprises affirmaient dans la presse que le changement nuirait à la région et à leurs enseignes utilisant « Beacons ». Et pourtant nous y voilà : l’un de nos parcs nationaux figure désormais dans l’un des journaux les plus influents et les plus lus du monde.
Un coup de génie en termes d’image : y Bannau est maintenant fermement ancré dans l’esprit des touristes américains et internationaux, et dans leurs portefeuilles bien remplis.
À mes yeux, il y a quelque chose de rafraîchissant, de juste, dans le fait de l’appeler « y Bannau » ou « y Bannau Brycheiniog ». C’est le nom originel, après tout.

Subjugation
Quant à la pétition populaire du Senedd demandant de changer officiellement le nom du pays de Galles en Cymru, les travaillistes l’ont ignorée comme à leur habitude. Depuis, silence radio. Hors de l’agenda. Une nation distraite. Un gouvernement irresponsable dansant au rythme de Westminster.
Le Plaid aura-t-il le courage nécessaire s’il prend le pouvoir en 2026 ? Je l’espère vraiment.
Revenons à ces noms en double que nous acceptons encore aujourd’hui. Pourquoi n’en fait-on pas une priorité nationale ?
Protestations
L’été 2024, le groupe de jeunes militants Mudiad Eryr Wen a pris pour cible plusieurs noms anglicisés : St Asaph, Ruthun, Denbigh. Ils ont laissé en place uniquement les noms gallois : Llanelwy, Dinbych et Rhuthun.
Un représentant d’Eryr Wen déclarait à Nation.Cymru :
« Il nous semble nécessaire et raisonnable de supprimer les toponymes anglais imposés sur nos panneaux routiers.
Beaucoup de ces noms ne servent à rien : de simples déformations bâclées des noms gallois originels.
Depuis les changements officiels à Eryri et Bannau Brycheiniog l’an dernier, un mouvement croissant veut désangliciser les noms à travers le pays.
Ce n’est pas un précédent : des actions similaires ont permis de supprimer ‘Carnarvon’, ‘Portmadoc’, ‘Cardigan’, ‘Dolgelley’, ‘Conway’ ou ‘Llanelly’.
L’argument selon lequel la majorité ne parle pas couramment gallois est absurde. Personne n’a de difficulté avec les noms déjà redevenus gallois, ni avec les nombreux noms gallois restés en usage.
L’heure est venue pour le pays de Galles de reprendre pleinement son héritage linguistique, en commençant par les noms de ses villes, villages et cités. »
Un débat complexe, mais une priorité
Matt Howells résume ainsi :
« L’étymologie des noms gallois n’est jamais noire ou blanche.
Certains lieux anglais au pays de Galles sont plus anciens que les noms gallois.
Mais pour les orthographes insultantes ou grotesques comme Cardigan ou Llantwit Major, nous devons agir maintenant et revenir aux noms gallois.
Nous n’avons pas besoin d’un Kidwelly et d’un Cydweli. Ni d’un Caerphilly et d’un Caerffili.
Le Welsh Language Commissioner a été trop timoré ; cela doit changer. »
Si ce n’est pas maintenant, quand ?
Josef Roberts écrit :
« J’aime les noms de lieux car ils combinent langue, histoire, culture et géographie en un seul ensemble.
Si les gens comprennent les histoires et les sens derrière nos toponymes, ils seront plus enclins à les protéger et à les promouvoir comme partie de notre patrimoine national. »
Une nation en mode colonie
En l’état, le pays de Galles pense, ressemble et agit comme une colonie tant que nous continuons d’accepter l’idiotie insultante des noms doubles.
Si nous voulons exister sur la scène mondiale, nous devons croire en nous-mêmes et en notre langue.
Si nous ne le faisons pas, pourquoi quelqu’un d’autre le ferait-il ?
Imaginez le renouveau qu’apporterait une nation utilisant uniquement sa langue pour nommer ses propres lieux.
Comme pour Bannau, cela ouvrirait des portes immenses en termes de reconnaissance – et d’investissement, pour ceux qui ne voient la valeur que par l’économie.
C’est une blessure que nous pourrions guérir en une nuit : une nation unie, où gallophones et non-gallophones chantent la même mélodie, géographiquement et linguistiquement.
Une terre où les noms de lieux sont « de ce sol, de cette île… ».
Où ils sont, pardonnez mon biais, de la pure poésie.
Où ils nous appartiennent.
Et en Bretagne ?
Au Pays de Galles / Cymru, la dynamique autour de la signalétique bilingue s’accélère. Certaines appellations anglaises disparaissent même totalement pour laisser place aux noms gallois originels, porteurs d’histoire et d’identité.
Cette reconquête toponymique interroge forcément la Bretagne.
Ici aussi, les noms anciens portent notre mémoire collective. Ici aussi, ils disent qui nous sommes. Alors, une question s’impose. Quand les Monts d’Arrée retrouveront-ils officiellement, et partout, leur nom véritable : Menez Are ?
Ce nom est le seul qui vaille. Celui qui ancre notre pays dans sa propre langue, sa propre géographie, sa propre dignité.
Si Cymru ose, pourquoi pas la Bretagne ?
Toponymie au Pays de Galles / Cymru : article de Stephen Price chez notre confrère gallois Nation Cymru, traduit par NHU Bretagne
Signage targeted in Denbighshire. Image: Mudiad Eryr Wen / Signalisation prise pour cible dans le Denbighshire. Image : Mudiad Eryr Wen
