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Ethnocide : doit-on attendre un geste de la France ?
Début juillet dernier, l’ONU condamnait fermement le «pays des droits de l’Homme» pour sa politique linguicide vis à vis des langues dites «régionales », notamment à cause du mauvais sort fait à la loi Molac. A l’heure où les centres de formation linguistiques connaissent des difficultés et alors que l’État français joue la montre contre la diversité linguistique, il est temps de se rendre compte que c’est en maîtrisant leur destin que les Bretons et les autres pourront sauver cette part essentielle de leur identité.
Politique linguicide de l’état central.
La France a depuis longtemps suivi et appliqué avec constance, détermination et une forme d’arrogance qui surprend les observateurs internationaux, une véritable politique linguicide vis à vis des langues parlées sur son territoire autres que le français. Une politique qui trouve ses sources dans certains discours et textes de loi fondateurs de la Révolution, notamment les diatribes hallucinées d’un Bertrand Barrère de Vieuzac accusant le « fédéralisme et la superstition de parler bas-breton » ou celles d’un abbé Siéyès qui, pour la création de son Homme Nouveau, ne voulait voir qu’une seule tête et n’entendre qu’une seule langue. On rappellera pour mémoire la loi du 27 juillet 1794 condamnant à six mois de prison tout fonctionnaire utilisant par écrit la langue de ses ancêtres, et la politique mise en place par la Troisième République d’une répression féroce contre les petits Bretons, Basques ou Catalans coupables de communiquer à l’école dans la langue de leurs pères.
Pays de Galles et Bretagne.
Le rapport publié en 1947, par des personnalités galloises inquiètes du traitement réservé aux militants autonomistes ou indépendantistes bretons inquiétés pour la seule raison de leur engagement breton le soulignait encore. A l’époque où le Royaume Uni autorisait à généraliser les expériences pédagogiques en gallois, le gouvernement français fermait la seule école créée pendant la guerre où les cours étaient dispensés en breton, celle de Plestin-Les-Grèves / Plistin. Le rapport des députés et universitaires gallois accusait déjà la France d’avoir un siècle de retard sur le Royaume-Uni en matière linguistique.
Les choses n’ont hélas pas beaucoup changé au Pays des Droits de l’Homme, un pays qui aime beaucoup les hommes désincarnés et faussement universels, mais qui déteste les hommes pluriels, a fortiori s’ils sont enracinés, ce qui est le cas des Bretons comme des Corses.
Le sort indigne fait à la loi Molac
Les péripéties et les obstacles surmontés par le député Paul Molac dans ce qui s’apparente à un véritable parcours du combattant législatif, ont fait couler beaucoup d’encre en Bretagne et peu à Paris où la presse est aux ordres et subventionnée par l’État central avec nos impôts pour répéter tout haut ce que le gouvernement lui souffle dans l’oreille. Mais enfin, le véritable grand pas en avant vers la Démocratie qu’elle représentait fut salué largement par une population qui se rend compte que la disparition d’une langue est un appauvrissement pour l’Humanité entière. Il n’y a bien que dans les officines gouvernementales que circule l’idée incongrue que ce qui fait la richesse du monde serait son uniformité.
Le retoquage de la loi, pourtant votée par 274 députés sur 342, par un Conseil Constitutionnel aux ordres de Jean-Michel Blanquer , lui-même servile exécuteur des basses œuvres d’Emmanuel Macron, a sonné le glas des espoirs des démocrates . Par la décision intervenue le 21 mai dernier, la France renoua avec sa raideur idéologique et sa constance linguicide. Le Conseil Constitutionnel déclara inconstitutionnels l’écriture sur les livrets de famille des signes diacritiques et l’enseignement immersif dans une langue dite « régionale ».
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On peut s’étonner que l’Union Européenne, si prompte à multiplier les condamnations vis-à-vis de ses membres pour des comportements bien moins graves n’ait pas réagi à cette forfaiture. Elle aurait pourtant les moyens de prendre des sanctions appropriées contre un régime et un État qui n’ont toujours pas ratifié la Charte Européenne des Langues Minorisées.
Plus courageuse et sans doute moins inféodée à l’État français, l’ONU a pour son part réagi, avec fermeté et clarté, début juillet.
L’ONU hausse le ton.
Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement français, Fernand de Varennes, rapporteur spécial sur les questions relatives aux minorités, Alexandra Xanthaki, rapporteuse spéciale dans le domaine des droits culturels et Koumbou Boly Barry, rapporteuse sur le droit à l’éducation, pointent du doigt les dangers que fait peser la décision du Conseil Constitutionnel sur l’avenir des langues minorisées et sur leur enseignement en particulier. « Cette décision« , écrivent-ils, « peut porter atteinte à la dignité, à la liberté et à la non-discrimination ainsi qu’à l’identité des personnes de langues et de cultures historiques minoritaires de France. Ces langues sont pour la plupart classées par l’Unesco en danger de disparition. »
Le Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU estime que cette décision du Conseil Constitutionnel : « conduit non seulement à interdire l’enseignement en immersion dans les établissements publics de l’Etat, mais aussi à annuler à terme les contrats d’association avec l’Etat qui finance les postes d’enseignant et assure l’aide des collectivités locales pour leur fonctionnement. »
Selon l’ONU, par cette décision du Conseil Constitutionnel, la France viole ses engagements vis-à-vis du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention internationale sur les droits de l’enfant et du Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Une définition très large du «génocide »
La proposition de définition légale de « génocide » proposée en 1946 à l’ONU par le juriste international Raphaël Lemkin, rescapé des massacres contre les populations juives perpétrés pendant la guerre par les nationalistes ukrainiens de Stepan Bandera, était large. Elle incluait le principe de génocide culturel ou d’ethnocide dont l’État français se rend coupable depuis deux siècles vis à vis des peuples qu’il a colonisés et dépossédés de leurs institutions propres.
Hélas elle fut bloquée, sur pression de la France, qui justifie des violations aux chartes qu’elle a elle-même signée par l’affirmation qu’il n’existe pas sur son territoire de minorités nationales. On a rarement fait mieux en matière de cynisme. Qu’en serait-il si la définition proposée initialement par Lemkin avait été acceptée à l’ONU ?
Les autorités françaises se retrouveraient-elles jugées par des tribunaux internationaux pour génocide et crime contre l’Humanité ?
Ce qui ne serait que justice.
Ni Hon Unan*
Quel poids aura cette condamnation sans équivoque d’un État qui se fait passer pour un parangon de vertu, par une instance internationale aussi respectable ?
L’Union Européenne, qui joue en permanence des dames patronnesses de la Morale, rompra-t-elle un jour son silence complice vis à vis des agissements de Paris ?
Les Bretons, les Corses et les autres peuples colonisés de l’Hexagone trouveront-ils en eux l’énergie de la révolte ou au moins de la résistance ?
Le président Macron, deus ex machina d’un système à tuer les peuples, après avoir laissé le ministre Blanquer saisir le Conseil Constitutionnel, s’est fendu de larmes de crocodile à propos de langues dont il souligne la richesse qu’elles apportent au «patrimoine de la France». Puis a sollicité du député Yannick Kerlogot un « rapport » destiné à étouffer la grogne suscitée par un conseil des « sages » à sa botte comme tout l’appareil d’État.
Quant à Paul Molac …
interrogé par la presse à propos du camouflet infligé par l’ONU au « pays des droits de l’Homme », il souhaite une modification constitutionnelle, seule à même, selon lui, de mettre les langues « régionales » à l’abri du danger.
En réalité, tout, dans cette affaire, prouve que le dialogue avec un pouvoir sourd, muet, aveugle et engoncé dans une idéologie d’un autre âge, est stérile. Les peuples de l’Hexagone ne sauveront leurs langues que lorsqu’ils auront compris que la seule solution, pour eux, est de prendre leur destin en main. Le chemin vers la lumière est encore long. Mais c’est le seul possible.
* L’expression bretonne Ni Hon-Unan signifie « Nous-Mêmes » en langue française. C’est le nom de notre média : NHU comme Ni Hon-Unan