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La parution de mon article sur le suicide en Bretagne a suscité de nombreux commentaires auxquels je souhaite répondre, par souci de clarté.
Tout d’abord, on me fait observer qu’il est faux de prétendre que la Loire-Atlantique n’a jamais été brittophone, et c’est en effet excessif.
Nous savons qu’au Xe siècle, le breton était parlé jusqu’aux portes de Rennes, et que cette limite s’est déplacée progressivement vers l’ouest pour se stabiliser sur une ligne allant grosso modo de Saint-Brieuc / Sant Brieg à Vannes / Gwened, jusqu’à l’imposition du français comme langue nationale au XIXe siècle. Cette limite séparait la Basse-Bretagne de la Haute-Bretagne où l’on parlait le gallo qui est une langue romane, comme le français. Elle traversait donc le département des Côtes d’Armor en sa moitié, et celui du Morbihan dans ses deux tiers, comme on me le fait justement remarquer.
Comment interpréter cette migration progressive de la limite linguistique, autrement que par une « francisation » croissante du duché ?
Je n’ignore pas, bien sûr, que la presqu’île de Guérande / Gwenrann est restée une enclave brittophone jusqu’au milieu du XXe siècle, ce qui s’explique probablement par le fait que les paludiers commerçaient davantage avec le pays vannetais qu’avec le pays nantais, isolés qu’ils étaient par le marais de la Brière, et par la Loire.
Autrement dit, si le pays nantais fut brittophone, ce fut il y a fort longtemps et les migrants bretonnants qui s’y invitèrent au XIXe siècle pour y trouver du travail, ne pouvaient se faire comprendre.
Selon Bertrand Luçon, de Nantes à la côte, le breton a mis un millénaire pour disparaître, laissant sur le chemin des traces toponymiques. Autrement dit aussi, si la Loire-Atlantique fait partie de la Bretagne, c’est bien de la Haute-Bretagne.
Je me suis longtemps demandé si l’on pouvait parler d’une acculturation en Haute-Bretagne, comme c’est le cas en Basse-Bretagne et cette question est restée sans réponse car les ouvrages sur le sujet sont quasi inexistants. Je viens cependant de me procurer celui intitulé Aspects culturels de la Haute- Bretagne, ouvrage collectif publié en 1987 sous l’égide de l’Institut culturel de Bretagne. Je n’ai pas eu le temps encore de le lire mais en le parcourant, il ne fait aucun doute que les mêmes conséquences qu’en Basse-Bretagne y furent observées avec notamment une tendance matriarcalisante et un blocage de la
parole.
Venons-en maintenant au coeur de notre sujet qui est celui des conséquences de l’acculturation, avec cette séparation linguistique qui fut mouvante.
Pour ma part, j’établis un lien épidémiologique entre le phénomène d’acculturation et ses conséquences que sont le matriarcat, l’alcoolisme, la toxicomanie et le suicide.
Le processus psychologique en cause serait le suivant : la langue, ou plutôt le langage, est le lien par excellence qui nous unit à la réalité, et toute perturbation de ce lien sera génératrice de souffrance psychique. Ce lien permet à la fonction du père (mais aussi de la mère) de s’exercer, c’est-à-dire sa fonction éducative et protectrice au sein de sa famille. Lorsque la langue est bannie de façon autoritaire, c’est bien le lien à la réalité qui se trouve altéré.
Nous savons en outre qu’en Bretagne la femme a toujours bénéficié d’un statut favorable sur le plan du droit coutumier, pour des raisons qui sont d’ordre anthropologique, et qu’il serait trop long d’exposer ici. Et c’est elle qui, de façon naturelle, viendra supplanter la fonction masculine défaillante. Cependant le matriarcat, qui se définit par opposition au patriarcat, se trouvera dans l’incapacité de rétablir l’équilibre des forces oedipiennes, car celles-ci ne sont pas symétriques au sein du couple parental.
Le suicide en Bretagne nous amène naturellement à la question de la psychologie des sexes, et donc du genre.
Elle est actuellement fort débattue, tant dans les médias que dans les milieux scientifiques et il faut donc l’aborder avec la plus grande prudence. Pour ma part, je retiendrai volontiers que l’hémisphère cérébral gauche opère de façon analytique et le droit de façon analogique, que le premier est plus masculin car soumis à l’influence de la testostérone et le second plus féminin car soumis à celle de l’estrogène.
Enfin, la propriété essentielle du cerveau qui est sa plasticité, peut venir « brouiller les cartes »
Pour ce qui est de l’incidence du suicide en Bretagne, il faut souligner qu’il s’agit d’un phénomène sociologique pour lequel seules des hypothèses explicatives peuvent être formulées.
Pour ma part, je le fais entrer sans la moindre hésitation dans le même cadre épidémiologique que les autres conséquences de l’acculturation.
Ce n’est donc pas le matriarcat qui en est « responsable », mais la défaillance de la fonction masculine, qui tendra à se transmettre avec les générations. Les mêmes effets se retrouvent dans d’autres populations soumises aux mêmes contraintes culturelles.
En ce qui concerne les disparités que l’on constate entre les départements, je retiendrai deux éléments.
D’une part, l’incidence du suicide augmente de l’est à l’ouest et diminue aussi autour des grands pôles économiques que sont Rennes / Roazhon, Nantes / Naoned et Brest, ce qui pourrait expliquer le plus faible taux observé en Finistère.
D’autre part, nous savons qu’il existe une part d’imprécision dans la définition des causes de décès et je pense qu’il est plus prudent de considérer le taux breton dans son ensemble, et son origine dans sa globalité aussi.
Enfin, je dois préciser à nos lecteurs que mon ouvrage Le plus beau garçon de Brasparts, essai sur le matriarcat breton, n’est actuellement plus disponible en librairie.
J’ai pris la décision de le confier à un autre éditeur auquel je viens d’adresser le manuscrit quelque peu remanié. Je ne manquerai pas de tenir informé nos lecteurs, peut-être à l’occasion de la parution d’un nouvel article sur les effets de l’acculturation en Haute-Bretagne.