Sommaire
Les Pactes
J’avais fait un pacte avec le diable. Je tremblais d’effroi. J’avais horriblement peur. Je tremblais comme une feuille. J’étais rapidement trempé de sueur.
– Axel, je… commençait Archibald.
– Il faut que je te parle, l’interrompis-je. J’avais décidé de lui dire la triste vérité. De tout lui avouer.
– Il y a six jours, le 14 octobre, je suis arrivé ici et… Et Marthe m’a dit que…, je commençais à pleurer, que tu nous avais quitté. On t’a même enterré. Je ne pouvais pas supporter ta perte et … Et, je n’arrivais pas à le dire. Je voulais tellement que tu reviennes que : j’ai fait un pacte avec le démon ! Il m’a fait signer un bout de papier. Il m’a donné une montre (je la sortis comme pour lui prouver que son existence était bien réelle) et il m’a dit qu’elle avait le pouvoir de te donner de la vie. Mais je viens de me rendre compte, elle ne te rend pas ta vie ; c’est l’utilisateur qui t’en donne. Moi. Et la seule vie que je peux te donner… c’est la mienne. Je suis devenu vieux, et si je continue…
– Tu mourras, dit Archibald. Je levais la tête et le regardais droit dans les yeux.
– Oui, lui répondis-je. Je fus surpris de voir l’état de son visage. Je ne comprenais pas. Si quelqu’un avait fait une erreur, c’était moi. Si quelqu’un s’était trompé, c’était bien moi. Alors pourquoi est-ce qu’Archibald pleurait ?
– Je suis désolé, mon garçon, dit-il.
– Pourquoi tu serais désolé ? lui demandai-je.
– Parce que c’est de ma faute. Je savais que j’allais bientôt vous quitter, que je n’allais pas pouvoir te revoir. Alors quand cet homme à capuche m’a proposé cette montre, j’ai tout de suite accepté. La veille de ton arrivée, au soir, j’ai fait partir Marthe en lui demandant de me faire une tisane et j’ai sorti cette montre de ma poche. Mais, c’est seulement une fois que j’ai sentis mon cœur s’arrêter que j’ai compris comment elle fonctionnait. Quand tu penses à une personne, tu perds de la vie. Et quand tu tournes les aiguilles, tu transmets la vie à la personne choisie. Mais en pensant à moi même, je me suis tué avant même que ne je puisse tourner les aiguilles.
– Mais, pourquoi ne m’as-tu rien dis ? lui demandais-je. Je sentais ma colère monter. Je n’étais pas énervé à cause d’Archibald, mais parce que ce fichu diable s’était moqué non seulement de moi, mais aussi de mon oncle.
– Je ne savais pas Axel, je te jure que je ne savais pas, dit-il en essuyant ses larmes.
– Alors maintenant, on va tous les deux mourir ! Déclarai-je. J’étais tellement énervé (ou était-ce de la tristesse ?) que je pris un ouvre-lettre et le plantai dans la table. Il resta coincé là.
– On ne va pas tous les deux mourir, mon enfant, dit Archibald. Reste là, je reviendrai le plus vite possible.
– Mais où vas-tu, mon oncle ?, lui demandai-je. Laisse-moi venir avec toi, s’il-te plaît ?
– Non, reste-là, s’il-te plaît Axel. Je dois faire quelque chose, et je dois le faire seul, Archibald ne plaisantait pas. Il avait l’air très sérieux. Je restais dans le salon et je le regardais sortir. Marthe venait me rejoindre.
– Mais, où est parti ton oncle ? dit-elle un peu affolée. Elle me regardait avec un regard accusateur.
– Il est parti, lui dis-je.
– Mais où ? Axel, tu sais très bien que tu ne peux pas le laisser partir. Il est vieux, si quelque chose lui arrivait… Et moi, je ne serais même pas là pour m’occuper de lui. Et si…
– Tout va bien se passer Marthe. Ne t’inquiètes pas, la rassurais-je. On attendit dans le salon toute la journée. À une heure du matin, on décidait qu’il était grand temps d’aller se coucher mais on restait attendre pendant encore une heure ou deux. Le lendemain, on prit notre petit-déjeuner et on attendit encore dans le salon.
– Axel, ça te dit, une partie de cartes ? Axel ? Axel ! dit Marthe.
– Oui ? Que se passe-t-’il ? Tu l’as vu ? Je me penchais pour regarder par la fenêtre mais je ne vis rien.
– Non, je ne l’ai pas vu. Je te demandais si tu voulais jouer aux cartes ?
– De quoi ?
Marthe commençait à s’agacer. Elle dut répéter plusieurs fois.
– Excuse-moi, Marthe, je suis un peu sourd, lui dis-je. Décidément, ma vieillesse ne s’arrangeait vraiment pas. On jouait aux cartes pour se distraire, pour penser à autre chose.
*
On attendait en tout un peu plus d’une semaine. Marthe était épuisée et elle venait juste de se coucher. Je me demandais si je n’allais pas faire de même, quand on toqua à la porte. Je me précipitais parce qu’il pleuvait dehors, mais avec le vieux corps que j’avais, je prenais quand même quelques minutes. J’ouvris la porte et trouvai mon oncle. Il souriait tellement que je me mis aussi à sourire sans savoir pourquoi.
– Rentre, rentre, lui dis-je en le laissant passer. Une fois dans le salon, je m’assis sur le fauteuil et Archibald en face de moi sur le canapé. Je me tus. Si Archibald avait quelque chose à me dire, il me le dirait. On restait longtemps dans le silence, mais ça ne me dérangeait pas.
– Axel, commençait Archibald. On a tous les deux fait une erreur quand on est allé voir le diable ; moi le premier. C’est de ma faute. Toi, tu as juste retracé mes pas. C’est de ma faute. Mais si on peut faire un pacte avec le démon, c’est logique qu’on puisse faire un pacte avec Dieu. Il faisait une petite pause. Cela me laissait le temps de réfléchir. Pourquoi n’y avais-je pas pensé. Quand il le dit, cela paraissait tellement évident. Archibald me regardait en souriant et, comme s’il savait ce que j’avais pensé, il dit :
– Tu as le corps d’un vieux, mais pas encore toute la sagesse, il rit un peu. Je sentis mon cœur battre plus fort, j’avais un peu peur. Je croyais avoir deviné où il voulait en venir. Archibald continua :
– Dieu est un peu plus généreux que le diable (à mon tour de rire). J’ai fait un pacte avec lui. Je voulais que tu redeviennes jeune et il n’y avait qu’une seule façon de le faire. Dans quelques minutes, tout va changer. J’ai demandé à dieu de te faire revenir en arrière, un peu avant que tu ne rencontres le démon. Il me laissa bouche bée. Quand je trouvais enfin ma voix, je dis :
– Qu’est-ce qui te dit que je ne vais pas refaire la même erreur ? Ou est-ce que je garderais ma mémoire ?
– Tu ne te rappelleras de rien. Mon enterrement aura déjà eu lieu. Mais je te fais confiance. Et puis, moi, je me rappellerai de cette conversation, de toi mon petit, mon oncle terminait sur cette triste note en laissant une seule larme couler de chacun de ses yeux. Je me souvenais quand j’étais assis sur le même fauteuil et que c’était Marthe qui se tenait en face de moi et qui m’apprenait la nouvelle. Ce soir, c’était Archibald qui m’annonçait son sort. On se leva. Et on pleura.
– Mon garçon, mon fils, dit Archibald, dit mon oncle. Mon enfant, on se reverra. Il levait ses yeux au ciel pendant quelques secondes.
– Au revoir, mon oncle, je faisais mes adieux.
– Au revoir Axel. Petit à petit, Archibald disparut. Et moi aussi…
Le 17 Octobre
Je tournais dans mon lit sans pouvoir fermer l’œil. Je regardais la pendule qui était suspendue au dessus du rebord de la cheminée, elle disait une heure du matin. Deux heures… Trois heures… Quatre heures, et j’étais toujours éveillé. J’étais si triste que je sentais des larmes toutes chaudes glisser le long de mes joues. Pourquoi ? je pensais, pourquoi ?
– J’aimerais que tu puisses me revenir ! Je me rendis compte que j’avais parlé à voix haute. Tout d’un coup, un grand nuage gris cacha la lune qui apportait un peu de lumière à ma chambre. Un vent frais passa par ma fenêtre ouverte et me fit frissonner. Je portais mon regard sur le rebord de la cheminée où la flamme d’une petite bougie tremblait à cause du courant d’air. J’entendais un éclair éclater dans le ciel derrière moi mais je n’y portais pas une grande importance car mon attention était attirée ailleurs. J’avais vu un visage ! Je m’approchais du linteau de la cheminée et, à la lumière de la flamme, je vis, à ma grande surprise, le visage de mon oncle. Derrière la bougie, il y avait un petit cadre doré. Et je vis à l’intérieur une magnifique photo de mon oncle avec moi quand je vivais ici. Sur l’image, on portait des cannes à pêche et je tenais dans mes mains un petit poisson. C’était le premier poisson que j’avais réussi à peĉher. Je pensais aux bons moments que j’avais vécu avec mon grand-oncle et je l’aimais. Et oui, j’étais triste mais, je ne savais pas trop pourquoi, j’étais aussi heureux ou peut-être, devrais-je dire, apaisé. Et je dis à voix haute :
– Au revoir, mon oncle. Adieu Archibald…
Un Petit Quelque Chose
Le lendemain, le 18 octobre, je me préparais, je n’oubliais pas de prendre le petit cadre et de le mettre dans ma poche. Je me regardais dans le miroir comme je faisais chaque matin. Quand je décidais que j’étais assez bien habillé, je descendais dans la salle à manger. Marthe était assise sur la chaise à côté de celle qui était au bout de table, où je m’assis, à sa gauche. Marthe pleurait. Je pris sa main dans les miennes et on se regardait dans les yeux. On se dit des choses silencieusement.
– Tiens. Regarde ça. Je l’ai trouvé dans ma chambre, lui dis-je en lui tendant le cadre. Elle le prit dans ses mains, sourit et laissa couler une larme avant d’arrêter de pleurer.
– J’ai aussi quelque chose pour toi, me dit-elle avec un petit sourire. Marthe se pencha et prit un sac en cuir. Je l’attrapais.
– Merci, lui dis-je.
– C’est de la part de ton oncle. J’ouvris le sac, il y avait deux petits paquets et une enveloppe était posée dessus. On alla dans le salon pour prendre un ouvre-lettre. J’en trouvais un planté dans la table. Je le pris mais il avait laissé une marque dans le bois. On s’assit tous les deux sur le canapé. J’ouvris l’enveloppe et la lus à voix haute :
Mon cher, cher Axel,
Depuis quelques semaines je ne me sens pas très bien et à mon âge, ça ne peut être rien de bien. Je ne veux pas t’inquiéter, mais en même temps, la vie, comme toutes bonnes choses, a une fin et il faut savoir l’accepter, sinon tu ne peux pas dire adieu. Voilà mon testament. Un petit quelque chose, pour toi. À part pour certaines choses que je lègue à Marthe, je te donne tout. Ces deux objets ont une grande valeur pour moi. C’est pour ça que j’ai demandé à Marthe de te les offrir de ma part. Je pense tous les jours à mon petit-neveu. À mon très, très cher enfant. Je t’aime Axel. Au revoir, à toi et à ma chère Marthe.
Archibald
Et encore, Marthe et moi, nous pleurions. Quel bonheur, quel joie de lire la belle écriture de mon oncle. L’encre était verte et brillante. Je pris le premier paquet. C’était un beau livre en cuir. Il y avait écrit tout en haut dans une écriture dorée: Le Journal d’Archibald Dubois.
Le deuxième paquet était en fait une boîte grise un peu brillante. Je l’ouvrais et trouvais une sublime et magnifique montre argentée. Je la pris dans mes mains. La montre était lisse et glaciale. Je la serrais dans mes mains.
Épilogue: « on se reverra »
On était fatigué. Cela faisait déjà quelques semaines qu’on avait mal au dos. Depuis quelques jours, nous toussions sans arrêt. Je me couchais avec ma femme bien après le soleil. La lune était cachée par des gros nuages gris.
– Bonne nuit, Marthe, dis-je.
– Bonne nuit, Axel, me répondit-elle. On était des vieilles personnes. Dans la chambre à côté, j’entendais nos enfants : Archibald et Aurélie. Ils étaient venus passer quelques jours pour s’occuper de nous. Je sentais mon corps se relaxer. Je me tournais vers ma belle Marthe. On sourit. Et on dit au même moment :
– Il était grand temps.
Nos paupières se fermèrent. Nos cœurs s’arrêtèrent en même temps que nos vies se terminèrent. Mais nos âmes ne s’éteignirent point. Nos âmes partirent de notre chambre par la fenêtre qui était restée entrouverte et sortirent du beau manoir. Le manoir de mon enfance. Le manoir d’Archibald. Nos âmes rejoignirent les cieux et arrivèrent au plus bel endroit du monde. – C’est ça le Paradis ? me demandais-je. Et au loin, je les voyais. Ils étaient venus nous accueillir. Mon oncle, Archibald, dans son beau costume noir avec sa barbe bien taillée marchait avec une belle femme, qui pouvait seulement être ma grande-tante, et le fils qu’ils n’avaient pas pu avoir…