Sommaire
Oui, la culture bretonne est un produit !
Évidemment la belle image jointe à l’article de Monsieur Thierry Guerin du 20 novembre 2020 sur le site NHU Bretagne ne peut que réjouir le chaland devant cet étal…
Je me permets de verser au débat ouvert une vision complémentaire et critique du titre.
Nous vivons dans l’histoire, dans l’énigme du temps, dans cet écoulement où la seule stabilité de cet univers reste l’impermanence de tout. La culture n’échappe pas à cette constante, elle coule elle aussi, comme un nuage, se désagrège, passe et se recompose… et il en est de même de notre identité.
Définition.
La culture est l’ensemble des connaissances, des savoir-faire, des traditions, des coutumes propres à un groupe humain, à une civilisation. Elle se transmet socialement, de génération en génération et non pas par l’héritage génétique et conditionne en grande partie les comportements individuels .
La réponse à cet article est née d’un doute, celui du bien-fondé d’une pensée, d’une pensée qui veut générer des actions, des actions qui se veulent efficaces et utiles, donc des actions qui prennent du temps. Le doute saisit la conscience et il peut stériliser tout élan. Une grande question humaine donc, celle du « que faire ? », le « que faire ? » qui ait un sens, qui soit utile pour moi, pour les autres, pour nos enfants, pour notre orgueil ou besoin de reconnaissance ?…
Mais quelle est cette pensée qui fait douter ?
Celle de l’idée bretonne m’interroge encore aujourd’hui sur les bords de l’Odet en 2020.
Morte la Bretagne ou plus précisément l’idée bretonne ?
En effet cette péninsule, ce nez de l’Europe n’a pas besoin de nous pour exister. Cette terre granitique demeurera bien au-delà de l’existence humaine fragile probablement. Le terme même de « Bretagne » est une simple étiquette temporaire face à l’univers et aux millénaires.
Oui ! La Bretagne est morte et ce sentiment m’a déjà envahi lorsque j’ai décidé de faire ma vie en Bretagne en 1982.
Morte la Bretagne en 2020 après le spasme formidable de 2013 des Bonnets Rouges ! l’encéphalogramme est apparemment plat, plus de réflexions locales, plus de comité, plus cette vibration, cette résonance qui laissait paraître un imaginaire, « imagine air », ce souffle nouveau, ce souffle vital qui ouvrait un arbre des possibles. Nous étions enivrés par cet alcool fort qui ouvrait des horizons. Comme toute ivresse, les lendemains restent difficiles et ténébreux.
Et les têtes, dans nos rues, changent car la Bretagne fait partie du monde.
Les danseurs vieillissent, dansant malgré leur arthrose devant la cathédrale Saint Corentin. Et La Bretagne de demain, quelle sera-t-elle, où est la relève ? Avons-nous encore une pensée bretonne ? Et de manière plus élargie, avons-nous encore la dignité de penser en général ?
Je fais partie de ces familles déracinées au début du XXe siècle. Mon arbre généalogique montre au-dessus de moi un faisceau d’ancêtres qui convergent vers Paris. Je suis le produit des migrants bretons, mais aussi de quelques bourguignons, franc-comtois, normands et picards, obligés ou fascinés par la capitale parisienne. Dans la banlieue de Paris, mes parents m’ont nommé Yves et j’étais déjà baigné dans le roman familial le plus récent : celui de mon grand-père Jacques HASCOËT, de Bretagne, du Pays Glazik, fils d’un autre Jacques et peut être aussi de manière plus inconsciente dans celui des LEBRUN de Plérin dont la famille de Yves LEBRUN quitta le Penthièvre pour rejoindre les usines de fabrication de boutons à Méru dans l’Oise.
Dans ce flux de l’histoire où nos grands-parents ont été fiers que nous réussissions ailleurs dans l’échelle sociale, nous nous sommes sortis de la glaise des terres ancestrales, nous avons appris à parler français et aussi d’autres langues et nous avons abandonné tout ce qui nous paraissait archaïque, nos habits, nos meubles, nos « penty, » nos légendes… Nous ne voulions surtout pas rester des ploucs ou des bouseux…Nous sommes entrés dans l’errance de cette folle accélération du monde. Il fallait s’en sortir, et dès la moitié du XIXe la Bretagne a laissé partir ses enfants de manière massive pour satisfaire le développement industriel d’autres régions.
Je suis revenu volontairement en Bretagne pour l’idée bretonne.
Mais la culture bretonne de mon grand-père Jacques était morte depuis longtemps déjà et la mondialisation, comme on dit, rabote toujours et encore toutes les différences (regardons simplement l’aspect des métropoles indifférencié sur tous les continents du monde et les façons de vivre.) A cela, s’ajoute aujourd’hui, tous les algorithmes qui vont dicter à nos plus jeunes générations leurs décisions les plus intimes sous une surveillance permanente des GAFA.
De manière insidieuse, nous sommes colonisés…
Black Friday (les québécois résistent encore en créant un « vendredi fou » !), Stop and Go, Click and Collect, et chez nous, Brest Business School, Sailling Valley pour prendre simplement quelques exemples.
La culture et la civilisation sont au centre de forces incontrôlables par les individus et l’économie dicte sa loi, et cela a été toujours le cas. Les modes alimentaires, vestimentaires, les comportements sont influencés par les dominants, pour être dans le vent. L’american way of life a fait fureur après la seconde guerre mondiale, Jean-Philippe Smet s’est appelé Johnny Hallyday et Hervé Forneri, Dick Rivers. Seul le brillant Alan Stivell initialisa par son talent le renouveau de la musique bretonne et il vendit des disques (produit marchand) … et par cela il réveilla nos consciences. La culture bretonne qui s’est vendue dans les années 70, a construit mon idée bretonne et a rempli mon vide ontologique.
La Bretagne est fade en ce moment, apathique, inaudible…est-elle en voie de dissolution ? Et nos hommes politiques paraissent bien dociles et assujettis.
Une des dernières découvertes anthropologiques montre que l’homme de Neandertal présent en Europe, adapté au milieu, disparu par hybridation en se fondant dans Homo Sapiens plus nombreux… L’existence d’une culture est assujettie à la loi du nombre. Peut-être la culture bretonne vit-elle ses derniers moments en phase de dilution et d’absorption ?
« La culture bretonne ne doit pas être un produit » désolé, Monsieur GUÉRIN avec tout le respect que je vous dois, je ne peux pas être d’accord avec vous !
Je suis très heureux de voir ce tee-shirt « Bretonne, What else ? », ces « triskels » et ces « Gwen ha Du » mais aussi ces «. BZH » et peut-être bientôt un « emoji Gwen ha Du», et aussi ces masques anti-Covid, autant de symboles qui se diffusent dans le monde, dans toutes les manifestations, notre identité.
Expatrié moi-même dans ma jeunesse, je ramenais avec moi dans le sud toutes ces babioles symboliques qui me permettait un ancrage dans mon déracinement, un ancrage pour mes images mentales et je collais un BZH au derrière de la 2CV d’étudiant. Ces « produits » signaient à l’époque mon appartenance. Et si nous avions pour la Bretagne un équivalent du film « Braveheart » (produit culturel de 3 heures avec Mel Gibson en 1995) ne serait-il pas utile à la prise de conscience, à la diffusion de l’idée bretonne ?
La diffusion culturelle est évidemment un outil de propagande au sens noble du terme.
« La culture bretonne ne doit pas être un produit » désolé une fois encore, monsieur Guérin mais pourquoi l’organisation Produit en Bretagne connaît-elle aujourd’hui un tel engouement (près de 420 adhérents en réseau) ?
« Culture et économie entretiennent des liens profonds de fertilisation croisée. La Culture forge un mode d’être au monde à la fois ouvert et original. Elle suscite un sentiment d’appartenance qui favorise la solidarité. La culture est aussi un vecteur économique à part entière, qui vit de ses productions et génère des emplois directs et, indirects. En Bretagne, elle participe de l’attractivité et du rayonnement du territoire. »
Une économie forte, productrice de valeur, fixe un tissu social et favorise donc un développement culturel mais nous pouvons affirmer aussi qu’une culture ambiante détermine aussi un type d’économie. Les bretons, souvent querelleurs entre eux ont aussi la belle qualité salvatrice de pouvoir s’organiser en réseau. En fait, leur séparation « économie- culture » est une vue de l’esprit analytique. Les phénomènes économiques sont d’abord psychologiques car tout simplement humain.
Nous avons tout même, tous les deux, la même inquiétude, Monsieur GUERIN.
Il transparaît dans votre texte le souci de la pensée bretonne. « Redécouvrons notre pensée » dites-vous, dans ce sens, je compléterais en disant « où est l’idée bretonne aujourd’hui ? »
Olier Mordrel définit l’idée bretonne dans son ouvrage : « Le sentiment breton est émotion, attachement. Il n’engage à rien. L’idée bretonne, au contraire est réflexion, mouvement et volonté. Elle se manifeste du moment que le Breton n’admet plus de subir une vie de vaincu, d’exploité et d’assisté, du moment qu’il veut vivre libre, sous sa responsabilité et conformément au destin qu’il a choisi. » . Et tout cela reste des bons mots et les difficultés commencent lorsqu’il faut mener l’action collective et trouver les moyens de cette action.
« Réflexion, mouvement, volonté… » dit-il.
A mon avis, une idée bretonne à partager, c’est-à-dire une vision, une utopie (je n’ai pas peur de ce mot-là) à construire ensemble, à actualiser pour faire société, doit être obligatoirement corrélée à un pouvoir autonome, à cette Assemblée de Bretagne espérée ainsi qu’à un budget lui aussi autonome… Une majorité de région européenne fonctionnent de la sorte. La France cloue au sol une grande partie des initiatives et du dynamisme de ses régions en s’accrochant à un pouvoir hypercentralisé inefficace et inadapté aux enjeux actuels.
L’État français n’a plus de vision d’avenir avec ses élites déconnectées et qui semblent perdues aujourd’hui. La crise sanitaire qui se déroule sous nos yeux offre le spectacle affligeant de cette bureaucratie asphyxié.
Je me sens comme vous, dans le vent iodé qui caresse nos plages, un homo britannus atlanticus, dans cette interdépendance péninsulaire…
Nous sommes des hommes atlantiques parce que nous aimons cette géographie et je crois beaucoup à l’interaction dans les mentalités entre l’homme et son territoire.
Je clôture provisoirement cette réflexion en convoquant un philosophe :
« Il n’y a pas la pensée et le monde, mais la pensée du monde. »
Et je paraphrase ce philosophe en disant : « Il n’y a pas la pensée et la Bretagne, mais la pensée de la Bretagne »
Et là, je vous rejoins bien, Monsieur GUÉRIN. Mais après la pensée, que faisons-nous ensemble vraiment d’efficace et comment initialiser un mouvement qui fasse « confluence » vers cette idée bretonne ?
Sources.
1 La Toupie – article « Culture »
2 Une fabuleuse aventure – Produit en Bretagne – Editions les oiseaux de papier – 2013 – page 71
3 NB :je précise que la mention d’un auteur quel qu’il soit n’implique évidemment pas mon adhésion à toute sa pensée, ses positions et ses actes.
4 Olier Mordrel – L’idée bretonne – Editions Albatros 1981 – page 44
5 Kostas Axelos – Le jeu du monde – Les éditions de minuit 1969 – page 101
1 commentaire
Demat deoc’h, j’aurais donc pris connaissance de votre article venu s’ajouter en contradiction au mien. Je l’ai lu évidemment et je dois vous avouer que le message principal de votre article m’échappe un peu du fait des contradictions qu’il peut laisser apparaitre. Vous me permettrez de maintenir mon point de vue: la culture bretonne comme aucune culture ne doit être un produit. Jamais. Si elle trouve une expression économique à travers un certain nombre de choses, un peu gadget, que j’ai et que je peux parfois avoir, l’économie n’en reprend là qu’une version caricaturale. Mon propos était donc celui-là: que la culture ne se réduise pas à sa caricature, qu’elle n’oublie pas sa profondeur.. Si l’économie est à vos yeux, principale, de la même manière qu’une identité d’une personne ne se réduit pas à ce qu’elle consomme, un pays ne se réduit pas à son économie. Et vous regrettez en plus que la Bretagne soit à votre sens, aujourd’hui moribonde, et là, étrangement, je ne serais pas tout à fait d’accord avec vous (décidément). Si beaucoup de choses manqueraient encore, je vois aussi qu’elle reste toujours aussi vivante sur bien d’autres aspects, notamment artistique et peut-être même linguistique, et qu’elle sait aussi se réveiller à l’occasion. Et quand bien même… Il peut paraitre étonnant à partir du constat que vous faites vous-mêmes et au nom de votre souhait de la voir plus vivante, que vous ne souscriviez pas à l’idée de réveiller ce qu’elle est, réellement. Car la Bretagne pour ma part n’est pas qu’une idée, c’est une culture, une pensée peut-être même spécifique auprès de laquelle s’enracinerait justement l’attachement si particulier des Bretons à leur Bretagne. Et çà, ce n’est en rien économique. Mais tout cela, serait un très très long débat.
La culture n’en reste pas moins et vous l’avez dit, quelque chose de vivant, de mouvant et mon propos n’est absolument pas de plaider pour l’utopie d’une lecture figée. Mon propos était de dire que, comme pour une identité, une culture s’enrichit des autres mais qu’elle doit rester vigilante à ne pas se perdre elle-même. Elle a déjà connut des expériences d’étouffement (francisation), ne serait-il pas maintenant normal et plus engageant de prendre justement soin à notre propre richesse en nous interrogeant tous sur l’expression que nous acceptons d’elle en nous, en vue de la maintenir déjà à travers chacun de nous, vivante? Les caractéristiques d’une culture disparaissent ou au contraire se maintiennent à partir du choix de chacun, par exemple d’apprendre ou ne pas apprendre le breton, d’oublier ou de se souvenir de certaines coutumes, etc… Trugarez deoc’h. Ken tuchant. A bientôt au détour d’un prochain article.