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Les Bretons sont-ils Français ? La question de plus en plus actuelle …
Les Bretons sont-ils Français est un sujet qui suscite d’houleux débats sur les réseaux sociaux, les deux camps défendant ardemment leurs positions, souvent de manière peu constructive et trop émotionnelle. Cette question, qui est également celle de l’existence ou non d’un peuple breton, requiert en réalité un développement bien plus vaste qu’il n’y paraît, auquel je vais ici tenter de m’adonner.
Bien évidemment, de facto, les Bretons sont des Français, tout du moins de papier, puisque nous possédons la citoyenneté de ce pays.
Cependant, même là, il s’agit d’une affirmation quelque peu hâtive.
En effet, souvenons-nous par exemple de la famille Le Goarnig, dont les enfants, au milieu du siècle dernier, n’ont pas été reconnus par l’État français en raison de leurs prénoms celtiques, l’administration municipale ayant été jusqu’à renvoyer leurs parents vers le « service des étrangers » pour étude de leur dossier. Une affaire qui sera portée devant l’ONU et la Cour européenne de La Haye, qui leur attribuera alors le statut de « citoyens européens de nationalité bretonne » (la classe).
L’on pourrait également mentionner le cas probable de ces Bretons qui ont, pour une raison ou une autre, abandonné la citoyenneté française pour en obtenir une autre. Ou encore celui des descendants des communautés bretonnes du Canada et des États-Unis. Que sont-ils ?
En vérité, les Bretons (plus particulièrement ceux de Basse-Bretagne) ont, longtemps et jusque très récemment, été considérés comme des étrangers par les Français eux-mêmes, et ce, y compris après l’« union » de 1532. V
oici un échantillon issu de l’océan de citations illustrant ce fait :
- « Enfin, ma fille, nos Bas-Bretons sont étrangers : je ne sais comme faisoit Bertrand du Guesclin, pour les avoir rendus en son temps les meilleurs soldats de France », Madame de Sévigné (1626-1696), dans ses lettres.
- « La Basse-Bretagne, je ne cesserai de le dire, est une contrée à part et qui n’est plus la France. Exceptez-en les villes, le reste devrait être soumis à une sorte de régime colonial. Je n’avance rien d’exagéré », Auguste Romieu, sous-préfet à Quimperlé, 1831.
- « Quand j’allais chercher mon lait, le soir, je n’étais pas rassurée, ce n’était pas des Français que j’avais peur, mais des Bretons », Lucien Bernot et René Blancard, dans Nouville: un village français (1953).
- « Les Bretons, ils sont considérés par certaines personnes comme des étrangers. Pour un logement à la ville de Paris, on m’a dit : “tout étranger qui vient, il lui faut deux ans de présence pour avoir droit à un logement” », témoignage d’une Bretonne dans les années 1970, récolté par les sociologues Patrick Prado et Guy Barbichon.
Les mentions des Bretons en tant qu’« immigrés », « étrangers », et même « nègres » ou « race » à part sont légion, que ce soit dans les archives, mais aussi les œuvres littéraires.
Toutefois, en quelques décennies seulement, de l’eau a coulé sous les ponts et, de nos jours, tout détenteur de la citoyenneté française est Français et… c’est tout.
Reconnaissance de l’existence d’un peuple breton, corse ou basque ? Que nenni.
Statistiques ethniques ? Interdites.
Même la langue française nous invisibilise : au Royaume-Uni, tous les citoyens sont « Britanniques », ce qui ne fait référence à aucune ethnie, et ceux-ci sont ensuite divisés en Anglais, Écossais, Gallois, etc…
En Russie, le terme « россияне » (rossianié) englobe aussi l’ensemble des citoyens, sans allusion à quelque peuple que ce soit, l’ethnie russe étant désignée par un autre terme : « русские » (rousskié), ainsi mise à égalité avec les autres peuples composant ce pays.
En France, au contraire, tous les citoyens se voient attribuer l’appellation de Français, et se retrouvent donc associés à l’ethnie dominante, qui n’est pourtant pas nécessairement la leur.
Un tour de passe-passe qui offre d’ailleurs à certains l’opportunité de nier l’existence-même d’un peuple breton.

Mais au fait, qu’est-ce qu’un peuple ou une ethnie ?
En vérité, il n’existe pas de définition stricte de ces concepts, et même l’ONU se garde bien de la préciser.
Le sociologue allemand Max Weber propose une qualification en ces termes : « Nous entendrons par groupements ethniques les groupements humains qui nourrissent une croyance subjective à une communauté d’origine, en raison de ressemblances physiques, de coutumes ou de souvenirs d’une migration ou d’une colonisation. Peu importe que cette communauté d’origine existe réellement ou non ».
Son homologue britannique et spécialiste du nationalisme Anthony D. Smith suggère quant à lui la définition suivante : « Une ethnie est une unité de population ayant un nom, un mythe d’ascendance commune, des souvenirs partagés, des éléments culturels, un lien à un territoire et un sentiment de solidarité ».
Ainsi, il s’agit d’une combinaison de plusieurs critères distinctifs, mais celui semblant être le plus communément retenu est un sentiment commun d’auto-identification.
Dans le cas des Bretons, il serait difficile de nous refuser objectivement ces qualificatifs : malgré l’absence, à notre grand dam, de réelles institutions politiques, nous disposons de deux langues qui nous sont propres, d’une histoire singulière, d’une culture, d’une mythologie, de codes sociétaux spécifiques, et même d’une génétique sensiblement différente. Le sentiment commun d’auto-identification est également présent.
Cependant, le tableau n’est pas aussi radieux qu’il y paraît. L’existence d’un peuple ou d’une ethnie est en effet soumise à variations, et ce, sans avoir à procéder à un génocide à proprement parler, puisque l’entièreté des facteurs ci-dessus mentionnés et permettant d’en dessiner les contours peuvent faire l’objet de modifications volontaires (par le biais de politiques intentionnelles) ou involontaires (sous l’influence du temps, du métissage par exemple).

Or, force est de constater que l’ensemble des indicateurs bretons sont en déclin :
- les langues bretonnes sont à l’agonie (1,1 million de locuteurs du breton en 1952, 100 000 aujourd’hui, situation quasi identique pour le gallo) ;
- l’histoire bretonne sombre dans l’oubli, faute d’enseignement ;
- le territoire breton se retrouve divisé, la Loire-Atlantique nous ayant été symboliquement arrachée ;
- la mythologie, qu’elle soit chrétienne ou païenne, est grandement abandonnée ;
- les codes sociétaux ont eux aussi été délaissés avec la modernisation de nos modes de vie ;
- la spécificité génétique bretonne est vouée à disparaître en raison du métissage des populations ;
- la culture persiste, mais est en partie réduite au rang de folklore muséifié, que l’on ne sort que pour les touristes et festivals ; elle n’est plus que minoritairement vécue au quotidien.
Seul le sentiment d’auto-identification semble stable depuis des décennies.
Dans une fascinante étude de Ronan le Coadic, intitulée Dualité d’auto-identification en Bretagne (2022), l’on trouve une synthèse des sondages ayant été réalisés sur la façon dont se perçoivent les Bretons.
Or, l’on constate que le pourcentage d’habitants de la Bretagne à se présenter comme « Plus Bretons que Français » ou « Bretons et pas Français », bien que minoritaire, était en 2018 exactement le même qu’en 1975 (22%). Un taux tout de même remarquable, compte tenu du matraquage institutionnel de la France « une et indivisible », où les identités régionales sont particulièrement niées.
Cependant, ces dernières années, notamment depuis la pandémie, la situation est susceptible d’avoir fortement changé. Les flux migratoires à destination de la Bretagne et en provenance de France ou d’ailleurs se sont accélérés, diluant toujours plus la population bretonne. Il est donc fort à parier qu’un tel sondage réalisé aujourd’hui afficherait des résultats moins enthousiasmants.

Par conséquent, nous pouvons objectivement l’affirmer : si le peuple breton existe bel et bien, et que les Bretons ne sont pas encore pleinement Français, ils apparaissent en bon chemin pour le devenir. Si rien ne change, que restera-t-il de nous dans quelques décennies ?
Quand l’on y pense, la majorité des peuples antiques dont nous entendons parler en cours d’histoire – Scythes, Goths, Huns, et autres – n’ont pas disparu par magie. Ils ont tout simplement été absorbés par plus grands qu’eux. Aujourd’hui, l’on parlerait d’assimilation.
La France, freinant des quatre fers sur le terrain de l’autonomie des régions, joue ainsi stratégiquement les prolongations, bien consciente que le temps et la démographie se trouvent de son côté dans la lutte contre les « irréductibles » peuples autochtones.
Aux Bretons donc de choisir leur voie : celle de la disparition, en passe de l’emporter, ou celle du réveil national. Ce dernier ne se produira pas sans une profonde remise en question de nos stratégies politico-électorales, de notre façon de « consommer » notre culture (coller un Gwenn ha Du sur sa voiture fait-il de nous un Breton ?), de la façon dont nous éduquons nos enfants, dont nous nous investissons dans la préservation de nos langues et traditions.
Alors, Bretons, serons-nous les Goths de demain ?
Illustrations NHU Bretagne
3 commentaires
Quel pays d’Europe similaire à la Bretagne se distingue ethniquement, moi je n’en connais aucun au vu des mouvements de population actuels, même s’ils sont à juste titre déstabilisants, vu l’évolution du monde c’est comme un torrent que l’on ne peut hélas pas stopper, vu rien que de part le dérèglement climatique ces migrations sont appelées à s’amplifier. L’émancipation de la Bretagne ne peut plus se faire sur une base ethnique, concept dépassé à moins de copier le pouvoir israélien qui pratique une épuration des palestiniens. Il y a assez d’autres thématiques qui justifient que la Bretagne puisse prendre son destin en main, géographiques, économiques, culturelles.
Emile MASSON ( den a gleiz ) (yezhoniour, prederour, bet enlakaet er bed politikel) skrivet gantañ kantved ‘zo : «…la langue bretonne est en Bretagne la question la plus importante de toutes… » e-barzh « La France incrée» Ar Falz n° 89 2016 … Poellek e oa an dud da vare-se bremañ Oups!
Pa vez lâret deoc’h n’eus tamm diforc’h ebet etre pouez an talbennoù sevenadurel Breizh; da lâvaret eo n’emañ ket ar yezh e penn an traoù ( tud kenleur )… dic’housanvus eo klevout kement-se
pa vez komprenet o doa livet gevier an hanter eus tud ar rummad ganet etre an daoù vrezel…Diaes eo …
Pa vez klasket digeriñ an nor d’an holl ha war en dro klask saveteiñ ar yezh …. Digomprenus eo ! ha dangerus ivez evit ar brezhoneg… Graet a-ratozh?
Pa vez taolet dispriz ouzh feiz an tud a oa ganto gwechall… Heugus ez eo!
Pa vez arveret an termenn « bedeladur » evel gwirionez an dazont hep ansav evel-just, ez eo kentoc’h un strategiezh da raskañ pezh a zo direnkus evit lod a fell dezho kreñv-tre gouarn ar bed….
Pa n’eus nemet un doare seven ha pilpouz d’en em zigareziñ da vezhañ breton…
Petra vo graet?
Dont en dro war zu ar gwirvoud nag eo:
» Humanisme » Nan! « Mab den » Ya! Hag aze ez eo ret deomp anavezout divizoù buhez ar mab den just a-walc’h…anat eo evit treuskas un dra bennak gwir d’ar yaouankiz…
Ideologiezh Nan! Traoù fetis Ya!
Progessisme nan ! Mont war-raok ne laran ket
Ekologiezh Nan! An Natur Ya hag al liamm kemmesket etre ar mab-den hag an natur pezh a zo disheñvel mik eus an « Ekologiezh »
Folklorisme Nan! Sevenadur ya ! N’eus ken nemet sevel traoù bihanoc’h e-pad ar goañv evit tud ar Vro ha mat pell ‘zo! N’omp ket ni tud penholierek….o klask ezporzhiañ hon sevenadur neketa!
Impalaeriezh Nan! Gwir etreboadel Ya!
Aet eo a-dreuz pep tra a c’hallje kempouez buhez ar pobloù. Toud an dud onest hag eeun plantet don o zreid ‘ba an douar a zo e kounnar me en o zouez!
Pezh a vez skrivet amañ a laka war-wel un doare naturel disaotret diouzh ideologiezhioù zo…. Ideologiezhioù a ra droug d’ar Vretoned ha d’ar pobloù-all…
Skuizh eo pobl Breizh gant sotoni an dilennidi Breizh… Warlerc’hiet eo an trede Emsav… yodet gant he ideologiezh dic’houest da vont war-raok mesket gantañ kudennoù ar bed ha kudennoù pobl Breizh.
Ur yezh n’eo ket Livet gant ul liv politikel na gant ur faltazi kevredigezhel se zo penn an hent!
Je suis bretonne et je ne dois d’explications à personne.
Si les gens ne comprennent pas mon comportement, qu’importe ? En exigeant de moi de ne faire que ce qu’ils comprennent, ils tentent de me dicter ma conduite. S’il s’agit d’être «asocial» ou «irrationnel» à leurs yeux, soit. Ils en veulent surtout à ma liberté et à mon courage d’être moi-même. Je ne dois d’explications ni de comptes à personne, tant que mes actes ne blessent ni ne portent préjudice aux autres. Combien de vies ont été gâchées par ce besoin d’«expliquer», qui implique généralement que l’explication soit «comprise», c’est à dire approuvée. On peut bien juger vos actes, et à partir des actes vos intentions réelles, mais sachez q’une personne libre ne doit d’explications qu’à elle-même — à sa raison et à sa conscience — et aux quelques personnes qui peuvent avoir un besoin justifié d’explication.