Les Bretons Canada-dry
Croyez-vous que chacun de nous
puisse porter à l’infini
les paroles de ce pays?
l’émoi des charpentes
dans le frimas des mois noirs
l’odeur des maisons abandonnées
la pierre refroidie des cheminées
le galop des rats
sur le plancher vermoulu
l’horloge des pluies
suintant des linteaux crevés.
Croyez-vous que le premier venu
puisse clamer le chancre du temps ?
les ardoises bleues délaissées
les mille sillons des jachères
les greniers désespérés
la fragilité des murs de pierres
leurs mains usées
glissant sur l’argile des averses
la dernière barrière fermée
sur les espoirs d’hier
la miséricorde des hortensias
le costume du pays Glazig
mité dans la remise.
Pensez-vous que chacun
puisse clamer tant d’amour
et de chagrin ?
Croyez-vous que chacun
puisse lever la voix
et hurler le beau de ce pays
la moisson des grains
gorgés de pain
la demeure paisible
au creux de la vallée
et le costume qui danse encore
malgré la flétrissure des broderies
le sonneur plein d’entrain
aux fêtes de nuit.
Croyez-vous que chacun
puisse se réclamer de cela ?
Ici chaque bonheur d’aujourd’hui
est le pendant d’une blessure du passé.
Ici la maigre et pénible survivance de la langue
est la réponse à la honte mise
dans l’esprit des enfants d’hier
une langue belle, riche, puissante.
Je vous le dis tout net :
cet assassinat est l’aboutissement
de l’intégration à la française.
En france
on ne tolère pas,
on tue;
on ne s’enrichit pas de l’autre,
on le fait taire
Ah ! le bruit de la mer,
la danse des galets,
l’orchestre des drisses,
tant de mots errants
sur l’épiderme de l’estran.
Croyez-vous que chacun
puisse entendre ce cri
et le restituer
avec la justesse des artisans
en horlogerie ?
La difficulté est bien là
en ces mots posés.
Non seulement
nous fûmes dépouillés
mais aujourd’hui encore
sommes tenus au silence.
Les grandiloquents de france
baragouinent deux mots anciens,
portent quelques souvenirs
mais ont le coeur tricolore.
Le Breton colonisé
fait le dos rond,
le Breton débretonnisé se tait,
le Breton réduit au silence
porte le fardeau de son agonie,
le Breton chanteur des haies et des moissons
s’est tue pour toujours.
Il a laissé la voie libre
à d’autres Bretons :
les Bretons Canada-dry.
Ils en ont la couleur et l’aspect
mais ils ne peuvent pas savoir
le chagrin de ce pays.
Ici un Français avec une grande gueule
peut faire taire tout un peuple.
Une mécanique bien huilée,
un cercle d’amis bien choisis,
et en avant;
on broie chaque jour la Bretagne
dans la bouche de ces imposteurs de france.
Un jour
à l’aube d’une grande marée
les Bretons les mèneront au large.
oh les repus Bretons Canada-dry,
ils ne sauront jamais
les murs emplis d’histoires anciennes,
de celles-là que l’on porte
de veillée en veillée
dans les nuits
à la fois peureuses et étoilées
de l’enfance.
Les Bretons Canada-dry,
le verbe haut,
ne savent rien de la culture d’ici.
Ils parlent,
ils parlent
et dénaturent chaque jour
la richesse du pays breton,
leur coeur enveloppé dans les plis
du bleu-blanc-rouge.
En fait ces personnes
sont des jacobins en costume glazig
ou léonard.
Ils se montrent
agneaux en boutoù koad,
et ne sont que loups
vêtus du tricolore.
Je les hais
de tout mon coeur.
Je les hais
Copyright © Yann Erwan Paveg