agriculture intensive en Bretagne

Pourquoi l’agriculture intensive s’est imposée en Bretagne ?

de NHU Bretagne

Pourquoi l’agriculture intensive s’est imposée en Bretagne : histoire d’une dépendance organisée

L’agriculture intensive en Bretagne.
La Bretagne est malade de son agriculture.
Algues vertes sur les plages, pesticides dans les nappes, souffrance dans les fermes. Depuis des décennies, notre pays subit les conséquences d’un modèle productiviste imposé à marche forcée.
Mais pourquoi la Bretagne ? Pourquoi ici plus qu’ailleurs ?

Pour comprendre, il faut revenir à l’après-guerre. À un choix politique assumé par le pouvoir central. À un système pensé à Paris, exécuté en Bretagne. Et il faut aussi regarder la vérité en face : si ce modèle perdure, c’est parce que nous tous — citoyens, consommateurs, élus — en sommes les rouages.

Une mission imposée à la Bretagne : nourrir l’Hexagone

Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, l’Hexagone est affamé. Le pays compte 40 millions d’habitants, les infrastructures sont détruites, les villes manquent de tout. Il faut nourrir la population, vite, et à grande échelle.

Paris, centre du pouvoir, déjà, et toujours, décide d’une stratégie claire : il faut industrialiser l’agriculture.
Le but n’est pas seulement de produire plus, mais de le faire plus vite, plus efficacement, avec moins de main-d’œuvre.

Dans ce contexte, la Bretagne apparaît comme un territoire « idéal ».
Peu urbanisée, encore largement agricole, dotée d’un climat propice à l’élevage, elle devient la candidate parfaite. Dès les années 1950, l’État central oriente la modernisation agricole essentiellement vers la Bretagne. Un slogan implicite s’impose : la Bretagne doit nourrir la France.

Et elle le fera. « Coûte que coûte. Ou « Quoiqu’il en coûte » dirait quelqu’un.

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L’agriculture intensive en Bretagne et des choix imposés : le remembrement et la fin du bocage

Mais pour produire davantage, il faut transformer les campagnes. Le bocage breton, fait de petites parcelles, de chemins creux et de haies, est jugé archaïque. Il ralentit les machines, entrave les grands élevages, limite les rendements.

Alors le pouvoir central impose le remembrement. Cette réforme foncière massive regroupe les parcelles, rase les haies, comble les zones humides. Elle s’accompagne de lourds investissements publics, de subventions à la mécanisation, de formation des jeunes agriculteurs à ce « nouveau monde ».

Entre 1955 et 1985, des dizaines de milliers de kilomètres de haies disparaissent en Bretagne. Le paysage change brutalement. Et avec lui, la biodiversité s’effondre. Moins d’insectes, moins d’oiseaux, plus de ruissellement, plus de nitrates.

Ce n’est pas une évolution naturelle, mais un choix politique.
Pris à Paris, appliqué localement avec l’appui des chambres d’agriculture et des syndicats dominants.

Des coopératives et des banques omniprésentes

Pour accompagner ce basculement imposé, un écosystème économique se met en place. Les coopératives, qui collectent lait, céréales ou porcs, deviennent les partenaires incontournables de l’agriculteur moderne. Elles lui fournissent les semences, les engrais, les produits phytosanitaires… et fixent les prix.

Les banques, elles, proposent les crédits. Crédits pour les tracteurs, pour les hangars, pour les mises aux normes. Le paysan devient dépendant. Il produit pour rembourser. Il rembourse pour continuer. La spirale est en marche.

Les syndicats majoritaires, souvent liés aux intérêts coopératifs, valident cette orientation. La FNSEA, toute-puissante, relaie les directives venues du ministère de l’Agriculture. Dans les écoles agricoles, on apprend à gérer une exploitation comme une entreprise. Pas à cultiver un jardin nourricier.

Le piège se referme : produire plus pour survivre

À partir des années 1980, l’intégration croissante au marché européen puis mondial renforce le phénomène. Il faut rester compétitif. Les normes sanitaires, environnementales et productives s’empilent. La pression est constante.

L’agriculteur ne choisit plus ce qu’il cultive. Il répond à des cahiers des charges. Il adapte ses pratiques aux exigences de la grande distribution, de l’export, des industriels de l’agroalimentaire.

Très vite, il devient prisonnier d’un modèle. Il doit produire toujours plus pour maintenir son niveau de revenu. Pour cela, il travaille dix, douze, parfois quatorze heures par jour. Il vit sous la menace d’un contrôle, d’une sécheresse, d’un retournement de marché.

Certains n’en ont « rien à péter de la rentabilité des agriculteurs … c’est de l’argent sale ».
Ceux-là habitent majoritairement en ville, ne connaissent rien ou presque, du quotidien d’une agriculture ou d’un agriculteur.
Quant à Sandrine, elle n’a pas de souci de rentabilité : chaque mois, quelque soit la météo, elle encaisse, en tant que députée, au moins quelques douze mille euros … d’argent public !

Quel est l’agriculteur breton qui n’en touche que la moitié ? Qu’il lève la main !
Et pourtant, il continue. Car il n’a pas le choix.

Une transition impossible sans aides massives

Beaucoup d’agriculteurs aimeraient changer de modèle. Revenir à des pratiques plus durables. Passer au bio. Retrouver une autonomie sur leur ferme. Mais la transition est un parcours du combattant.

Il faut trois ans pour convertir une exploitation au bio. Pendant ce temps, les aides sont incertaines, les charges restent élevées, et les marchés ne sont pas garantis. Les consommateurs disent vouloir du bio… mais ne veulent pas en payer le prix.

Et les autorités, elles, parlent beaucoup… mais agissent peu. Ici comme ailleurs.
On annonce des plans, des stratégies, des incitations. Mais les aides vont souvent aux plus gros exploitants, et ils ne sont pas tellement en Bretagne. Et les réglementations sont pensées pour des exploitations standardisées, pas pour des fermes diversifiées à taille humaine.

Le système n’aide pas les pionniers. Il les pénalise.

Pourquoi l’agriculture intensive s’est imposée en Bretagne ? Parce qu’il faut bien nourrir Paris

Les consommateurs : indignés le jour, complices le soir

À chaque alerte sur les algues vertes, à chaque scandale sur les pesticides, les médias pointent les agriculteurs du doigt. Ils seraient responsables de tout. De la pollution, de la souffrance animale, du mal-être rural.

Mais ceux qui accusent sont aussi ceux qui consomment. Ils veulent des produits pas chers, disponibles toute l’année, emballés sous plastique. Et ils achètent au supermarché, en promotion. Ils oublient l’origine, ferment les yeux sur les conditions de production.

Et s’ils boycottent le porc breton, ils consomment du porc espagnol, ukrainien ou brésilien. Issu d’élevages encore plus industriels. Le problème n’est pas seulement local. Il est global.

Tant que les habitudes de consommation ne changent pas, tant que la grande distribution impose ses marges, les agriculteurs resteront pris au piège.

Nous sommes 4,9 millions d'habitants en Bretagne et notre production agricole nourrit 25 millions de personnes

La Bretagne nourrit 25 millions de personnes… pour 4,9 millions d’habitants

C’est une réalité méconnue : la Bretagne, avec moins de 5 millions d’habitants, produit assez pour nourrir cinq fois sa population. Elle exporte sa production dans tout l’Hexagone, vers Paris et sa région en particulier, mais aussi en Europe et au-delà.

Chaque jour, des milliers de tonnes de viande, de lait, d’œufs, de légumes quittent le pays.
Et les pollutions, elles, restent ici.
Ce sont nos rivières, nos sols, notre littoral qui en subissent les conséquences.

La Bretagne est devenue une colonie agricole intérieure.
Un réservoir à protéines pour le reste de l’Hexagone.
Mais à quel prix ?

Peut-on faire autrement ?

La question mérite d’être posée honnêtement. Oui, ce modèle productiviste est à bout de souffle. Oui, il faut en sortir. Mais non, ce ne sera ni facile, ni rapide.

Interdire tous les pesticides ? Pourquoi pas. Mais avec quelles alternatives concrètes ?
Tout passer en bio ? Très bien, mais il faudra accepter des rendements plus faibles, des produits plus chers, une relocalisation des circuits.
Ce n’est pas avec deux bottes de radis et trois pots de miel produits sur un toit parisien qu’on nourrira 67 millions d’habitants.

Cela suppose une mobilisation collective. Des producteurs, des consommateurs, des politiques. Cela suppose aussi un changement culturel. Redonner de la valeur au travail paysan. Accepter de payer le juste prix. Repenser l’alimentation comme un bien commun, pas comme un simple produit de consommation.

Que ceux qui y sont tout à fait disposés lèvent la main !

Alors, sortir du piège, ensemble

Le modèle actuel est un piège. Pour les agriculteurs, pour l’environnement et pour la société.

Mais ce n’est pas une fatalité. Il est encore temps de construire une autre voie. Une agriculture bretonne plus résiliente, plus juste, plus respectueuse de la vie.

Cela demandera du courage.
Et une prise de conscience collective.
Car ce ne sont pas seulement les agriculteurs qui doivent changer.
C’est nous tous.



FAQ – Agriculture intensive Bretagne : six questions, six réponses …

1. Pourquoi la Bretagne a-t-elle été choisie pour développer l’agriculture intensive ?

C’est à la sortie de la Seconde Guerre mondiale que la Bretagne est désignée par l’État central comme région stratégique pour nourrir la France. Son climat doux, ses terres agricoles disponibles, son faible poids politique et industriel en ont fait une désignée d’office idéale pour y expérimenter la modernisation agricole. Ce choix n’a pas été fait par les Bretons, mais bien imposé depuis Paris dans une logique purement productiviste. La Bretagne est ainsi devenue, en quelques décennies, la « réserve alimentaire » de l’Hexagone.

Si la Beauce est le grenier de Paris, la Bretagne est son réfrigérateur. Sans l'agroalimentaire breton, les Parisiens pourraient de faim Alain Glon
Si la Beauce est le grenier de Paris, la Bretagne est son réfrigérateur. Sans l’agroalimentaire breton, les Parisiens pourraient de faim Alain Glon

2. Quelles ont été les conséquences du remembrement en Bretagne ?

Le remembrement, imposé par le pouvoir central à partir des années 1950, a profondément bouleversé le paysage breton. Il a consisté à regrouper les petites parcelles, arracher des milliers de kilomètres de haies et assécher les zones humides, dans le but de mécaniser et d’intensifier la production. Cette transformation radicale a entraîné une forte perte de biodiversité, une augmentation du ruissellement et de la pollution de l’eau. Elle a aussi rompu avec des siècles de traditions agricoles adaptées à l’écosystème local.

3. Les agriculteurs bretons sont-ils responsables de la pollution actuelle ?

Ils en sont les acteurs visibles, mais rarement les seuls responsables. Beaucoup d’agriculteurs ont été poussés dans ce modèle sans alternatives réelles, avec des aides, des crédits, des normes et une pression constante à produire plus. Ceux qui ont voulu faire autrement ont souvent été marginalisés, découragés ou pénalisés. Accuser uniquement les agriculteurs, c’est oublier les coopératives, les banques, les pouvoirs publics… et les consommateurs qui exigent des produits abondants et bon marché. Il s’agit d’un système complet.

4. Pourquoi est-il si difficile de sortir du modèle intensif aujourd’hui ?

Parce que ce modèle crée une dépendance économique, technique et sociale. Changer d’approche implique de prendre des risques financiers, de repenser entièrement l’organisation du travail et de subir une période de transition de plusieurs années. Le passage à des pratiques alternatives (comme le bio ou l’agriculture paysanne) exige du temps, du soutien politique et des débouchés solides. Or, les aides actuelles ne sont pas toujours adaptées, et la grande distribution privilégie encore le moins cher, au détriment du plus vertueux.

5. Quelle est la part de responsabilité des consommateurs dans ce système ?

Elle est considérable, même si elle reste rarement assumée. Chaque achat en supermarché, chaque choix alimentaire contribue à valider — ou non — le modèle dominant. Si le consommateur achète du porc à bas prix ou des fraises espagnoles hors saison, il cautionne indirectement l’usage de pesticides, la surexploitation des sols et la pression sur les agriculteurs. Changer nos habitudes de consommation, acheter local, de saison, et soutenir les circuits courts, c’est déjà agir pour une autre agriculture.

6. L’agriculture bretonne peut-elle vraiment changer de cap ?

Oui, mais cela suppose une volonté collective forte. La Bretagne dispose déjà d’un réseau d’agriculteurs engagés dans des pratiques alternatives, parfois exemplaires. Ce qui manque, ce sont les conditions pour généraliser ce mouvement : un meilleur accès à la terre, des aides équitables, une éducation à l’alimentation, une relocalisation des filières. Le changement ne viendra ni des injonctions morales, ni des effets d’annonce politiques, mais d’un engagement coordonné entre producteurs, consommateurs, collectivités et institutions.
Bref, ce n’est pas demain la veille !

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5 commentaires

Guillemain 4 août 2025 - 11h47

Votre article sur les agriculteurs bretons est bien documenté.
Ils furent dans les années 70 les acteurs visibles de la transformation du paysage agricole et rural. Certes ils n’ont pas été les seuls responsables. Mais disons la vérité : ils furent nombreux, très nombreux à suivre les incitations des autorités, des élus et des organismes bancaires. J’étais en 1971 cadre au Crédit Agricole des Côtes d’Armor et je me souviens de la folie du développement capitaliste de l’économie agricole à cette époque. Rares étaient les voix qui s’opposaient à cette folie. Et je veux citer ici André POCHON, agriculteur et éleveur passionné qui recommandait la culture du trèfle blanc pour nourrir le bétail. Il était moqué par ses propres « amis » paysans, et bien qu’administrateur de la Caisse Régionale, il n’était que peu écouté. Le système était ainsi fait : il fallait transformer les fermes en entreprises industrielles et commerciales. Et tant pis pour ceux qui ne suivaient pas. Parallèlement, le Crédit Agricole perdait son âme en oubliant le mutualisme et devenait un monstre de la banque et des assurances.
Claude Guillemain
Nous Citoyens de Bretagne
44 rue Léon Durocher
22730 Trégastel
Tel 0667030587

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glazig 4 août 2025 - 19h58

Il est loin le temps de bascule d’une agriculture en quasi autarcie à une agriculture dépendante des banques des firmes et des lobbys. Le modèle actuel n’en finit pas de détruire et de tuer et nous sommes clairement à nouveau à un point de bascule.
La pétition contre la loi Duplomb très suivie par les jeunes notamment en Bretagne 5 est symbolique de cette bascule. La violence physique exercée par certains contre ceux, journalistes, auteurs, agriculteurs bio ou autres qui dénoncent la destruction de nos plages ( c’est visible) est bien là. Et il semble qu’elle s’accompagne d’une violence verbale et d’une caricature des élus.
Le changement de société devenu urgent et indispensable si l’on veut s’en sortir ne peut passer que par l’extérieur,le consommateur notamment, il passe par une prise de conscience des agriculteurs qui participent à la casse. Il est temps.

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nhu Bretagne nhu Brittany
NHU Bretagne 4 août 2025 - 21h23

En effet. Tant que les consommateurs, dont nous sommes, achèteront des produits issus de cette agriculture, nous serons co-responsables de ses nuisances. Ou des nuisances des agricultures de l’autre bout du monde, en achetant des avocats du Pérou, des roses du Kenya, des oeufs d’Ukraine, du sarrasin de Canada …

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Émilie Le Berre 5 août 2025 - 9h48

Malheureusement s’il devait y avoir une bascule elle serait vers le pire. Le système actuel ira jusqu’au bout, il ne peut en être autrement.
Et là vous me demandez et au bout qu’y a t-il ? Je n’en sais rien.
Toujours est-il que l’alimentation est la variable d’ajustement dans les dépenses, voir le succès des hard-discounts venus d’outre-rhin. L’explosion des maladies chroniques sans jamais parler des causes mais toujours du traitement bientôt disponible sur le marché.
Je vais encore parler de mon expérience personnelle. Pendant plusieurs années, près de chez moi, toutes les semaines je prenais un panier de légumes chez un maraicher. Du bio mais sans le label car pour lui l’évolution du label posait question.
Voila que le covid arrive, arrivent aussi de nouveaux clients (ne pouvant plus se déplacer) chez mon maraicher avec les meilleurs intentions du monde. Vous connaissez la chanson :
« c’est formidable ce que vous faites, maintenant on va achetez en local, blablabla… »
Le maraicher, lui, s’adapte, investit, augmente sa production, tout ça sans aucune aide évidemment.
Que croyez-vous que s’est-il passé une fois que tous ces gens ont reçu leur 3 ou 4ème dose ? Plus personne !
Queques mois plus tard le maraicher m’apprend qu’il arrête, trop de travail, aucune aide, des gens inconséquents, des taxes basées en fonction de la surface cultivée et un rendement calculé selon les critères d’une agriculture chimique. Rideau !

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nhu Bretagne nhu Brittany
NHU Bretagne 5 août 2025 - 10h11

Exactement cela. Merci de votre témoignage

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