Depuis plusieurs mois, le mot « autonomie », lâché par le gouvernement français à propos de la Guadeloupe puis de la Corse fait couler beaucoup d’encre. Et donne des idées à certains qui, hier encore, sur le sujet du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes se contentaient de répéter en boucle les discours officiels sur l’Ukraine. L’idée, quoi qu’il en soit, progresse. Le colloque tenu le 19 novembre dernier à Carhaix le prouve. Avec une salle pleine et des intervenants de haute volée, il fera date.
Sommaire
Bonne autonomie, et mauvaise autonomie
En français, le mot autonomie a un sens extrêmement positif et valorisant lorsqu’il est associé à «de la personne », «de l’enfant », ou encore « énergétique ». Ce qui va de soi et qui paraît logique et cohérent. Par quel tour de passe, alors, par quel mécanisme pervers de la pensée, ce mot peut-il prendre subitement une connotation péjorative et dépréciative dès lors qu’il est associé au terme de « région » ?
Et alors que l’autonomie régionale est un concept normal et même évident dans tous les pays d’Europe, en tout cas chez les voisins immédiats de la France, il apparaît au pays autoproclamé des Droits de l’Homme comme chargé des pires desseins. Les héritiers de Robespierre, de l’abbé Grégoire et de Bertrand Barrère de Vieuzac, ceux qui théorisèrent l’éradication de la diversité linguistique et l’extermination de peuples comme les Vendéens, parce qu’opposés à leur vision d’un monde où l’uniformité serait la règle et la diversité l’exception en firent même un mantra.
L’abbé Grégoire a-t-il sa place au Panthéon ? par Michel Feltin-Palas
A tel point qu’une grande partie de la population bretonne, victime collective du syndrome de Stockholm, finit par prendre fait et cause pour son bourreau contre ceux qui voulaient l’en libérer et lui restituer ses droits et libertés confisqués. Les « autonomistes » furent longtemps présentés aux Bretons bien dressés par l’Etat français et ses séides comme des repoussoirs, voire des épouvantails. Le pouvoir utilisait alors le terme et l’image associée avec la même redoutable efficacité que le père Maunoir agitait ses taolennoù devant les yeux médusés des paysans du Kreiz Breizh, terrorisés à l’idée d’aller en Enfer s’ils continuaient à se rebeller contre les dragons de Louis XIV.
Vers la fin de la peur et de la honte de soi ?
Ce temps où la majorité des Bretons reprenait à son compte les leçons que lui soufflaient le petit maître parisien et ses relais locaux est-il dans le rétroviseur ? La peur de réclamer pour soi « les droits que les autres ont » est-elle désormais un réflexe du passé ? Le portrait du colonisé, un vestige archaïque et la panoplie de Bécassine reléguée dans les armoires familiales avec la honte de soi ?
C’est possible.
C’est en tout cas souhaitable.
Dans un précédent article, nous décrivions le climat de décomplexions et de libération de la parole qui avait suivi les promesses d’ouverture de négociations entre l’Etat français et les autorités élues de Corse sur l’évolution institutionnelle « allant jusqu’à l’autonomie » de l’île de Beauté, après que le mot tabou fût lâché quelques mois auparavant à propos de la Guadeloupe. Inutile donc d’y revenir. Il semble depuis ce temps que les choses avancent. En Bretagne aussi puisque, dans la foulée du vœu pour un statut d’autonomie voté par l’unanimité du Conseil Régional moins les voix du groupe Pennelle (RN), un collectif s’est réuni à Carhaix / Karaez, à l’appel et autour de M. Christian Troadec, maire de la capitale du Poher et des Bonnets Rouges et vice-président de la Région .
Le colloque de Carhaix : une réussite
Le collectif, qui réunit diverses forces politiques au rang desquelles Oui la Bretagne, le mouvement de Christian Troadec, Breiz Europa, celui de Frank Darcel, Douar ha Frankiz , mais encore des associations comme Bretagne Majeure d’Yves Lebahy ou l’Institut Culturel de Bretagne présidé par Jacky Flipot, ainsi que des individus, a organisé le 19 novembre dernier, sous l’égide de Bretagne Majeure, à Carhaix / Karaez, un colloque sur le thème , justement de l’autonomie pour la Bretagne.
Les formations représentées au Conseil Régional ont saisi le prétexte d’une maladresse de communication du collectif Pour une Bretagne Autonome, co-organisateur de la journée, pour ne pas répondre à l’invitation qui était lancée à tous les signataires du vœu sur l’autonomie. Certains en arguant de la présence de Maître Jean-Guy Talamoni, ex président de l’Assemblée de Corse, au motif qu’il fut l’avocat du FLNC. Aucun de ces responsables ne s’était pourtant offusqué à propos de la nomination au gouvernement français de Maître Dupont-Moretti, lui aussi avocat et défenseur des patriotes corses Yvan Colonna et Jean Castela.
Force est, au final, de reconnaître le succès du colloque.
L’Espace Glenmor de Carhaix / Karaez était rempli. Non de professionnels de la politique ou de responsables de partis politiques bretons ayant boudé l’événement, mais de Bretonnes et de Bretons animés de la volonté de voir leur pays accéder dans un futur le plus proche possible à des droits comparables à ceux de toutes les régions d’Europe situées dans des pays normaux, à commencer par l’Écosse.
La presse subventionnée par l’État central avec l’argent du contribuable, après des articles parfois condescendants et à la limite de la malveillance pour certains, a fait de cette journée événement un compte-rendu honnête et objectif. France 3 évoquant même de la présence de trois cents participant et soulignant l’excellent niveau des prestations.
Il est vrai que les deux plateaux qui se sont partagés la longue matinée du colloque ont permis au public de découvrir des personnalités aux arguments convaincants et complémentaires. Des propos du journaliste, rédacteur en chef à l’Express, Michel Feltin-Palas à Maître Jean Guy Talamoni, l’ensemble des interventions fut en effet d’une cohérence remarquable.
Économie et géographie.
On retiendra bien évidemment de l’exposé de l’économiste Yves Brun et de celles du géographe Yves Lebahy, des données édifiantes sur les compétences financières et le budget ridicule des régions françaises par rapport à la moyenne des régions d’Europe. L’ensemble des budgets des treize régions métropolitaines étant à peine équivalent à celui de la Catalogne du sud. On imagine les projets que pourrait développer une Bretagne ayant les mêmes compétences et le budget ne serait-ce que du Pays de Galles (19 milliards d’euros contre 1,6 pour la région Bretagne), une nation sœur dans l’archipel des pays celtiques.
Autonomie de la Bretagne : que le peuple s’invite au débat !
Histoire et politique.
Le juriste Yvon Ollivier rappela avec conviction l’histoire des rapports conflictuels entre les Bretons et un État central qui les dépouilla méthodiquement de leurs droits et institutions nationales. L’universitaire François Hulbert, dans un exposé brillant sur la « comédie de la décentralisation » prouva que tous les discours du pouvoir sur le thème ne visent qu’à endormir les peuples et que l’argent des Bretons, sert, année après année, à développer et à enrichir une seule région, mais une région pléthorique et apoplectique : l’île de France.
Le politologue Alan Le Cloarec retraça l’histoire de la légitime revendication bretonne depuis les débuts du XXe s jusqu’à nos jours. Djohar Le Clec’h-Sidhoum, docteure en droit, éclaira le public sur la notion de « bien commun », totalement éclipsée depuis la révolution bourgeoise de 1789, qui sanctifia à la fois la propriété privée individuelle et les biens de l’État, comme tous les régimes fascistes supprimèrent tout intermédiaire entre l’individu et l’État. Avec logique et cohérence, cet État s’est acharné à la destruction des structures de propriétés collectives héritées d’une forme de communisme traditionnel et historique telles qu’alleux et propriété indivise des terres, du type briéron.
M. Lluis Puig i Gordi , ministre catalan en exil, rappela que le référendum démocratique du peuple catalan de 2017 fut violé par un État espagnol dont les méthodes dignes des pires heures du franquisme furent saluées par l’État français et une Union Européenne que l’on a connue plus sourcilleuse sur les droits de l’Homme lorsque les Droits de l’Homme rejoignent les intérêts d’Oncle Sam, du grand capital, de l’Otan et de la Cia .
« Mieux vaut être dans le camp de ceux qu’on hait que dans celui de ceux qu’on méprise »
Maître Talamoni démontra de son côté la duplicité de l’État français et rappela que cet État devenu totalitaire n’accorde et ne reconnaît de droits aux peuples que sous la contrainte. Il expliqua qu’au printemps dernier, sous la pression du gouvernement français, les autonomistes corses, conduits par Monsieur Siméoni, ont exclu les indépendantistes de la table des négociations et appelé la jeunesse nationaliste au calme.
Une erreur grossière pour Maître Talamoni pour qui la seule attitude logique à adopter à l’époque aurait été de maintenir la pression et de bloquer l’île avec le concours des forces syndicales nationalistes. Le gouvernement français aurait sans doute été contraint d’engager de vraies négociations alors qu’à peine la tension était-elle retombée, MM. Macron, Darmanin en consorts s’empressèrent d’ « oublier », c’est-à-dire de trahir leurs promesses. « Les autorités françaises n’ont en définitive que mépris pour les autonomistes corses a-t-il poursuivi. Personnellement je préfère être dans le camp de ceux que le pouvoir hait que dans celui de ceux qu’il méprise. »
On le comprend et on l’approuve.
Il ajouta à l’adresse des Bretons qu’en Corse la réappropriation par le peuple de la culture nationale et le rejet de la honte de soi inculquée par l’État français précédèrent la victoire électorale qui elle-même précéda le combat institutionnel. Aux Bretons, à présent, de s’inspirer de ces conseils éclairants s’ils veulent un jour sortir de la nuit profonde dans laquelle les ont plongés les prétendues « lumières » d’une France qui se rêve éternelle et d’un État appelé à rejoindre les poubelles de l’Histoire.
Le plus tôt sera le mieux.
Gageons en tout cas que ce colloque de Carhaix / Karaez, malgré les défections des uns et les appels au boycott des autres, soit un premier pas sur le chemin de la liberté. Un chemin encore long, n’en doutons pas et parsemé d’embuches.
Mais le seul qui mènera à nous-mêmes : Ni Hon Unan !
1 commentaire
Il faudrait poursuivre dans cette voie: celle ou Bretonnes et Bretons peuvent directement participer.
Construire un projet juridique et des contenus proposant un avenir… Tenir compte de l’échec de l’occident qui nous touche aujourd’hui et faire en sorte de prévoir l’alternative à la centralisation… Il faudrait créer le projet du peuple breton afin de faire face au projet des politiques qui eux comprendront l’occident toujours dans cette même direction d’acculturation ( Paris dirige ). C’est bien le message de Loïc Girard Chesnais si je ne me trompe lors de l’ouverture du fil : de mémoire, il nous a fait comprendre que l’ on ne peut rien faire compte tenu de la tournure des évènement dans le monde, bref un beau prétexte à l’immobilisme. Personnellement je pense absolument le contraire et je pense même qu’il faut aller vite. Je ne crois plus à l’avenir de l’Occident tel que nous l’avons conçu.
Il faudrait pouvoir mettre quelque chose sur la table de consistant et de claire pour les Bretons et pouvant s’articuler avec l’avenir des pays celtes et la mer.
Des états généraux desquels sortirait un projet global pour la Bretagne…Un projet incontournable pour notre triste représentation politique.
Qu’en pensez-vous?