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L’acculturation des Bretons en Haute Bretagne
Pour faire suite à notre article sur l’acculturation des Bretons, qui concernait la Basse-Bretagne ou Bretagne « celtique », nous allons tenter de préciser ici ce qu’il en fut en Haute-Bretagne, ou Bretagne gallèse. La limite linguistique entre ces deux Bretagnes, qui de nos jours n’en font qu’une, se situe donc approximativement sur une ligne allant de Saint-Brieuc à Vannes.
En 1371, le duc Jean IV évoque bien une « Bretaigne bretonnant » et une « Bretaigne gallou ».
Une fois n’est pas coutume, nous citerons ici notre seule référence qui est l’ouvrage intitulé Aspects culturels de la Haute-Bretagne, de Corinne Boujot, Yves Defrance, Jean-Pierre Fleury et Gilles Morin, publié en 1987 par l’Institut Culturel de Bretagne.
Définition de l’acculturation.
Revenons sur notre article antérieur pour préciser ce que l’on entend par le terme d’acculturation : c’est l’adaptation d’un individu ou d’un groupe à la culture environnante. La culture environnante est ici la culture française qui a commencé à s’imposer lors de l’union du duché de Bretagne au royaume de France en 1532, et même auparavant, pour s’achever par l’instauration de la langue française comme seule langue nationale au XIXe siècle, et l’interdiction du breton à l’école, comme dans l’espace public.
On remarquera d’emblée que la culture semble s’identifier ici à la langue qui en est en effet le vecteur essentiel. Nous savons cependant que dans le cadre domestique, le breton continuera à se pratiquer jusqu’au milieu du XXe siècle, principalement dans les campagnes.
Et le gallo ?
Mais, en est-il de même du gallo qui est un dialecte d’origine romane, comme le français, et dont les « mauvaises langues » diront que c’est un patois ? Rappelons ici que le breton est une langue celtique brittonique, comme le gallois, qu’il faut distinguer du celtique gaélique que sont l’irlandais et l’écossais. Assurément oui, selon les auteurs, qui font le constat d’une double stigmatisation des Hauts- Bretons, d’une part celle de la langue avec l’imposition du français, et d’autre part celle de la culture, pour ne pas être de vrais Bretons.
Ainsi seraient-ils marqués par une double identité négative, en particulier pour ce qui est de la zone dite romano-celtique, dont on sait qu’elle s’est accentuée et déplacée vers l’ouest, entre les Xe et XXe siècles.
A cette confiscation de la langue sont attribuées des conséquences palpables : l’échec scolaire, notamment en français et en anglais, le français et le gallo étant confondus en un mélange diglossique, la réduction de l’expression orale et le mutisme, la honte intériorisée des enfants. Les anciens qui ne parlent que le gallo se sentent inutiles et gênants.
Alcoolisme et suicide.
Les décès par alcoolisme, qui furent si importants dans la deuxième moitié du XXe siècle, se concentrent justement en centre Bretagne, dans les départements des Côtes d’Armor et du Morbihan, où s’affrontent les deux cultures bretonnes.
Et que dire du suicide, sinon qu’il en va de même ?
Ainsi avons- nous peut-être la réponse à notre questionnement sur l’incidence accrue du suicide dans ces deux départements où la ruralité s’accorde volontiers avec la préservation de la culture ancestrale.
Il est noté en outre que l’attachement au breton et à la langue gallèse est d’abord l’affaire des hommes, les femmes étant plus promptes à adopter le français.
Comment l’expliquer ?
D’une part sur le plan de la psychologie, nous savons que le sexe féminin présente une disposition naturelle pour l’apprentissage des langues. D’autre part, nous savons aussi que les femmes ont encouragé la mutation culturelle, persuadées qu’elle allait leur permettre de sortir de la misère dans laquelle se trouvait la Bretagne, ce qui allait effectivement se vérifier. Ainsi se dessine, en Haute comme en Basse-Bretagne, une tendance matriarcalisante qui s’explique par ce que nous venons d’énoncer, mais aussi par les données de l’ethnologie, et même de l’anthropologie.
Ainsi, parler d’une acculturation pathogène, ou a minima contrainte des Bretons, c’est adopter une attitude partisane et prendre le risque d’une absence de neutralité, que nous laisserons à d’autres.
En revanche, il apparaît incontestable d’établir que la mutation linguistique s’est accompagnée d’une rupture dans la transmission de la fonction symbolique d’une génération à l’autre, dont nous savons qu’elle peut être génératrice de souffrance psychique, si ce n’est de psychopathologie, et ce d’autant qu’elle fût brutale et non mesurée.
Ainsi se trouve confirmé le lien entre le langage, c’est-à-dire la culture, et la fonction éducative trans-générationnelle.